Pages

La mort ou le tchi-tchi ?

Pour la nouvelle année, il est de tradition que ce blog propose un petit cadeau à ses lecteurs ; celui de 2026 est gracieusement offert par Tangui Przybylowski. Il parle de sociétés secrètes africaines, mais aussi d’une vieille plaisanterie à propos d’un supplice appelé « unga », « tounga » ou « tchi-tchi », selon les versions. Le lecteur ignorant tout de cette vieille plaisanterie fera bien de combler cette regrettable lacune culturelle avant de lire le billet qui suit.

La mort ou le tchi-tchi ?

Tout comme la pénicilline, l’aspirine et les post-its, il est des découvertes faites fortuitement au gré de recherches ayant un tout autre objectif. Ce phénomène porte le doux nom de « sérendipité » ; et il vient de marquer à nouveau l’histoire de la science.

Tout en menant des recherches sur l’ancienneté des sociétés secrètes dans les forêts tropicales de la côte ouest-africaine, je suis tombé sur la très probable origine de la plaisanterie dite « la mort ou le tchi-tchi ? ». Non seulement cette plaisanterie, que l’on aurait cru sortie tout droit d’un très moderne esprit mal tourné, possède-t-elle une origine historique ancienne, mais plus encore, elle n’a pas toujours relevé du cadre de la galéjade.

Dans un bel ouvrage daté de 1916 et intitulé Sierra Leone: Its People, Products, and Secret Societies, Osman Newland témoigne des curieuses pratiques de la société secrète du Poro – qui restait alors une des plus puissantes du pays :

À une certaine époque, la section interne des « Poro » qui, entre autres rites, se livrait à des pratiques homosexuelles, contrôlait toutes les routes et tous les cols, exigeant un péage de ceux qui faisaient du commerce ou voyageaient, et offrant souvent la mort ou l'adhésion à leur société comme alternatives à leurs victimes. (Newland, 1916 : 127)

Quelque 322 ans plus tôt, Alvares d’Almada, un explorateur portugais qui voyageait sur les côtes de la Sierra Leone, mentionne déjà une société nommée Contuberia, qui rappelle le Poro par certains aspects. Le chef de cette société se promène la nuit sur les routes du village, accompagné de ses Solategi, à la manière des hommes que le Poro nomme Zo, Dazo, Bazo ou Tasso dans les différents lieux où il existe :

Et s'ils trouvent une personne venue de l'extérieur qui ignore la proclamation, ils la battent à mort, sauf si le roi vient à son secours en se jetant sur elle et en lui mettant son couvre-chef sur la tête ; ce qui lui confère le statut de Solategi et lui permet de voir et d'entrer dans cette Contuberia. (Alvares d’Almada, 1594 : 76)

L’auteur ignorait alors seulement ce qu’impliquait d’entrer au sein de la Contuberia et, étant donné la remarquable ressemblance de ces deux sociétés secrètes sur de nombreux aspects de leur organisation et de leurs coutumes, il est probable que celui que l’on recouvrait d’un chapeau dut par la suite éprouver quelques sensations plus fortes.

L’extension géographique remarquable atteinte par cette société secrète, qui s'étendait depuis le nord-ouest de la Sierra Leone jusqu’aux forêts de l’Ouest ivoirien en passant par l’entièreté du Liberia et de la Guinée forestière, laisse songeur sur le nombre d’hommes qui, depuis des générations, ont sans conteste opté pour le tchi-tchi.

3 commentaires:

  1. Du coup ce n'est pas très clair : est-ce que le tchi-tchi ne concernait que d'imprudents voyageurs étrangers, ou est-ce que les hommes du pays pouvaient également y être soumis ?

    Si la deuxième réponse, alors on aurait un exemple de culture du viol (littéralement) où les victimes seraient des hommes plutôt que des femmes.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. A priori, au moins pour le témoignage de Newland, les pratiques homosexuels (on ne sait pas exactement ce que ça recouvre, mais on a l'exemple Baruya en comparaison) concernent tous les hommes (les femmes sont exclues de ces sociétés là).

      Supprimer
    2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

      Supprimer