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Caliban et la sorcière (Silvia Federici), ou l'Histoire au bûcher - 2/2

AVERTISSEMENT
Cette note de lecture a été écrite à quatre mains. Nous avons fait le choix de la scinder en deux parties :
Nous sommes bien conscients de longueur inhabituelle (et sans doute rébarbative) de cette note, mais nous y avons été contraints par sa matière elle-même. Caliban... est un gros livre, sur lequel il y a, hélas, beaucoup à dire, et encore plus à redire. Dès lors, pour éviter ce qui serait forcément apparu comme un procès d'intention, nous n'avions d'autre choix que de relever certains des raccourcis, biais, glissements, voire mensonges purs et simples qui émaillent le texte. Nous espérons mettre ainsi en lumière à la fois les procédés sur lesquels est fondé cet ouvrage et, au-delà de son radicalisme affiché, la nature réelle de la perspective politique dans laquelle il s'inscrit.
Christophe Darmangeat et Yann Kindo

Accumulation primitive et rapports sociaux de sexe

Le livre de Federici soulève la question du rapport historique et logique entre la dégradation de la position des femmes, dans le monde du travail et dans la société en général, et la mise en place de la société capitaliste. On vient de voir qu’à cette question, et ne serait-ce que sur un strict plan factuel, il apporte d’innombrables éléments de réponse biaisés, voire franchement fantasmés. Mais on doit aussi remarquer que le livre ne se présente pas comme une discussion scientifique. À aucun moment, en effet, tout au long de ses plus de 400 pages, il ne prend la peine d’évoquer les différentes thèses en présence, les autres explications possibles, ni de les discuter en soulignant leurs éventuelles faiblesses et en montrant en quoi le point de vue qu’il propose est plus satisfaisant ; seule l’idée de l’auteure est exposée (mieux vaudrait dire : assénée).
La question qu’il soulève est en elle-même tout à fait légitime. L’ensemble des historiens s’accorde depuis longtemps sur le fait que les siècles qui séparent la fin du Moyen Âge de la révolution industrielle, en Europe, sont ceux d’un recul global, de fait comme de droit, de la condition féminine. Sur le plan juridique, ce recul connaît en France son point extrême avec le Code Napoléon, qui consacre pour les femmes la situation de mineures à vie. Le mouvement vient de loin : les premières attaques contre les droits des femmes à exercer certains métiers remontent au XIIe siècle Indépendamment même du fait que la chasse aux sorcières ait réellement été un moyen de mettre l’ensemble des femmes au pas (une idée, on l’a vu, fort contestable), et sans idéaliser le moins du monde la place des femmes au Moyen Âge, il n’en reste pas moins que la transition du féodalisme au capitalisme s’est manifestement accompagnée, en Europe, d’un renforcement général de la domination masculine.
Cependant, et quitte à énoncer une évidence, ce constat ne suffit pas, à lui seul, à en déduire que la mise au pas des femmes était une condition nécessaire à l’accumulation du capital. Les coïncidences ne sont pas une corrélation, et les corrélations ne sont pas non plus des causalités (qui peuvent elles-mêmes être de natures très diverses). Avant de conclure, il faudrait donc envisager les différents rapports possibles entre les deux phénomènes et évaluer leur vraisemblance.
Un élément permet certes d’écarter d’emblée la simple coïncidence : il s’agit du rôle essentiel joué par la promotion du droit romain, sur laquelle insiste toute l’historiographie, mais dont Federici, sauf erreur et assez étrangement, ne souffle mot. La redécouverte de ce droit à la fin du Moyen-âge correspondait à un double besoin : d’une part, celui éprouvé par la bourgeoisie montante, qui y trouva (ou y retrouva) un instrument particulièrement adapté à codifier la propriété marchande (par opposition au droit féodal, qui admettait une multiplicité de droits sur une même terre) ; de l’autre, celle des États en reconstruction, pour qui ce droit codifiait le nouveau périmètre de la puissance publique . Or, le droit romain était aussi celui qui consacrait l’infériorité juridique des femmes, en donnant au chef de famille (masculin) une puissance exorbitante sur le reste de la famille (épouse, enfants non mariés et, à l’origine, esclaves) – sur ce sujet, on pourra consulter cet article très intéressant d'Alain Bihr.
Il y a donc bel et bien un rapport de causalité entre la gestation du capitalisme et la dégradation de la condition féminine en Europe. Tout le problème est de savoir la nature exacte de cette causalité, une question qui est loin d’être aussi simple que voudrait le faire croire Caliban.... Comme, ainsi qu’on l’a dit, il n’y a pas trace de discussion d’autres thèses dans le livre, celui-ci se limite à décliner deux arguments fondamentaux.

Le natalisme, fruit d’une crise démographique ?

Jean-Baptiste Colbert,
un fervent populationniste
Le premier, sans doute le plus original, est que le capitalisme naissant aurait été confronté à un risque de pénurie de main d’œuvre (risque réel ou fantasmé, le texte n’est pas clair sur ce point et de toutes façons n’avance pas de sources pour établir l’existence de cette panique). Ainsi, c’est au niveau social le plus élevé, celui de l’État, qu’une stricte politique nataliste fut mise en place afin de déjouer cette possible crise. Une législation de plus en plus féroce enferma donc toujours davantage les femmes dans le rôle de reproductrices, tandis que les pratiques pouvant faire baisser la natalité étaient de plus en plus sévèrement punies.
Mais si le fait (la politique nataliste, la répression de la contraception et de l’avortement) est avéré, on a du mal à être convaincu par les causes invoquées. Federici écrit, par exemple :
« La question du travail devint particulièrement urgente au XVIIe siècle, quand la population en Europe continua encore à décliner, amenant le spectre d’un effondrement démographique similaire à celui qui avait eu lieu dans les colonies américaines dans les décennies suivant la conquête » (p. 332)
Or, cette affirmation, une fois de plus, ne repose sur aucune preuve tangible. L’avis général, si ce n’est unanime, des spécialistes fait état d’une croissance démographique lente à partir du début du XVe siècle, et l’on cherche en vain les travaux établissant un « déclin », dont il faudrait de surcroît que les contemporains aient eu une plus ou moins claire conscience.
La réalité des faits suggère donc que la politique nataliste menée par les États devrait éventuellement être attribuée bien moins aux problèmes réels du capitalisme naissant qu’aux angoisses peu justifiées de ses promoteurs, ce qui est déjà fort différent. Mais surtout, dans un contexte de fortes rivalités militaires, point n’est besoin de recourir à des raisonnements forcés autour de l’accumulation primitive pour expliquer que les États de l’époque moderne, dans la compétition qui les opposait, souhaitaient disposer de la population la plus nombreuse possible. -Dans cette hypothèse, la politique nataliste aurait plutôt correspondu aux nécessités politiques du moment, et pas particulièrement à des exigences profondes du nouveau système économique.
Au passage, on ne peut qu’être étonné en lisant à propos de cette politique nataliste menée par les États que « même ensuite, jusqu'à nos jours, l'État n'a pas ménagé ses efforts pour reprendre aux femmes le contrôle sur la reproduction » (p. 186). On ne sait pas très bien à quoi cette phrase est censée faire allusion mais il y a là, pour le moins, une généralisation atemporelle bien hâtive, qui balaie d’un même revers de main Malthus et la pilule, et sonne étrangement à l’heure de la légalisation de la PMA. Dans la plupart des pays développés, les femmes ont acquis tant le droit au divorce qu’à celui à la contraception et à l’avortement, sans qu’on ait l’impression que l’État, en tant que tel, mène une lutte continue pour les leur reprendre. Qu’il existe des courants politiques réactionnaires qui militent en ce sens, et que de tels courants, hélas, remportent parfois des victoires, est une chose. Mais présenter de tels reculs (ou menaces de reculs) comme le résultat d’une volonté politique générale des États, c’est une fois encore regarder les faits avec des verres singulièrement déformants. Ce qui menace aujourd’hui la possibilité des femmes de contrôler pleinement leur corps, ce sont les résidus d’arriération religieuse et les politiques austéritaires dans le domaine de la santé, et non une supposée essence éternellement nataliste du capitalisme.

Travail domestique et rentabilité du capital

Passons au second argument, depuis longtemps formulé par le courant du féminisme matérialiste auquel se rattache Federici : en fournissant du travail domestique, donc gratuit, pour reproduire la force de travail, les femmes auraient contribué à relever d’une manière décisive le taux de profit :
« Le développement de la famille moderne manifestait le premier investissement à long terme effectué par la classe capitaliste dans la reproduction de la force de travail au-delà de son accroissement numérique. Ce fut le résultat d’un compromis, conclu sous la menace d’une insurrection, entre la garantie de salaires plus élevés, permettant d’entretenir une épouse ‘non-travailleuse’, et un taux d’exploitation plus intensif. Marx en parle comme du passage de la ‘plus-value absolue’ à la ‘plus-value relative’ (…) » (p. 200)
La prise en charge par les hommes
du travail domestique est indispensable...
mais en elle-même, ne poserait
aucun problème au capitalisme.
Passons sur les inexactitudes (un taux « plus intensif », ou le prétendu « passage » d’une forme de plus-value à l’autre) et sur les affirmations sans fondements (la famille comme « investissement » effectué par la classe capitaliste, la conclusion d’un « compromis » octroyant, sous la menace d’une insurrection, des « garanties » aux travailleurs masculins). Il ressort de ce passage une idée somme toute incontestable : toutes choses égales par ailleurs, la fourniture de travail gratuit (il serait plus exact de dire quasi-gratuit) par une fraction de la classe travailleuse, pour la production d’une marchandise utilisée dans la production – en l’occurrence, la force de travail – représente un gain supplémentaire pour la classe capitaliste. Toute la question est de savoir ce que l’on peut en conclure.
Traditionnellement, le courant féministe matérialiste y a vu l’indication que la subordination des femmes et leur relégation dans la sphère du travail domestique étaient une dimension vitale pour le capitalisme : le taux de profit ne pourrait supporter que le travail des femmes soit rémunéré au même niveau que celui des salariés masculins. Or, ce raisonnement en apparence convaincant repose sur une série de glissements, ou d’hypothèses implicites, qui n’ont rien d’évident.
Sans reprendre tous les arguments que l’un d’entre nous avait déjà développés à ce propos, disons que si le travail domestique quasi-gratuit a sans aucun doute représenté (et représente encore) une aubaine pour le capitalisme, rien ne permet d’affirmer que celui-ci ne se serait pas fort bien accommodé d’une autre configuration. Il est notamment tout à fait envisageable que si ce travail, pour une raison quelconque, avait dû être rémunéré, les salaires masculins auraient alors été (encore) moins élevés qu’ils ne le furent. Autrement dit, en raisonnant toutes choses (en particulier le salaire masculin) égales par ailleurs, la fin du travail domestique quasi-gratuit provoquerait une baisse du taux de profit. Mais rien ne prouve que toutes choses, en particulier le salaire masculin, auraient dû, ou devraient, rester égales par ailleurs.
Terminons en relevant l’affirmation aussi osée que péremptoire, selon laquelle en ce qui concerne les progrès de productivité, l'impact du travail gratuit des femmes éclipsa de loin la division du travail et la Révolution industrielle – soit une remise en cause complète de la vision traditionnelle de l’histoire économique :
« Il faut souligner cet aspect, étant donné la tendance existante à attribuer le progrès que le capitalisme apporta à la productivité du travail à la seule spécialisation des tâches. En réalité les avantages que la classe capitaliste tira de la différenciation entre travail industriel et agricole au sein du travail industriel lui-même [sic], célébré par Adam Smith dans son ode à la fabrication d’épingles, sont bien peu de choses en comparaison de ceux qu’elle retira de la dévalorisation du travail des femmes et de leur position sociale. » (page 234, nos soulignés)
Bien évidemment, c’est en vain qu’on attendra la moindre justification de cette affirmation « radicale » par des données quantitatives.

Les femmes et les enclosures

Thomas More, qui dans son livre L'Utopie,
dénonça les conséquences des enclosures
L’idée que la mise en tutelle des femmes a pu constituer une dimension importante, voire essentielle de l’accumulation primitive, bien qu’elle ne nous apparaisse pas comme la plus vraisemblable, n’est pas absurde a priori, et pourrait être discutée ; encore faudrait-il que ce soit sur la base de faits non biaisés et d’authentiques raisonnements. Au lieu de cela, ceux-ci sont souvent remplacés par de purs effets rhétoriques. On sait que l’acte emblématique de l’accumulation primitive a été les enclosures, cette mise en clôtures des terres communales qui a ruiné la petite paysannerie en Angleterre. Sous la plume de Federici – qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse –, la subordination des femmes doit donc absolument être elle aussi, une « enclosure ». Cette affirmation maintes fois réitérée tout au long de l’ouvrage aboutit à une formulation telle que celle-ci, à propos de la chasse aux sorcières et du colonialisme :
« Il s’agit également d’une stratégie d’enclosure qui, suivant les contextes, pouvait être une enclosure de la terre, du corps, ou des relations sociales. » (p. 382).
Le lecteur qui n’a pas encore perdu la raison se dit alors que soit le terme « enclosure » est un fourre-tout censé pouvoir qualifier à peu près n‘importe quoi ; soit il est utilisé dans son sens normal, à savoir « l’instauration de barrières » (y compris pour les corps ou les relations sociales, donc). Mais alors quelles sont concrètement ces « enclosures » qui privatisent et enferment ainsi les corps des femmes ? Même lorsque les formulations paraissent moins brumeuses, les raisonnements qui les sous-tendent ne sont guère plus admissibles. Ainsi :
« Dans ce nouveau contrat social/sexuel, les femmes prolétaires remplaçaient pour les travailleurs mâles les terres perdues lors des enclosures, devenant leur moyen de reproduction le plus fondamental et un bien commun que tout le monde pouvait s'approprier et utiliser à volonté. (…) dans la nouvelle organisation du travail, chaque femme (à part celles qui étaient privatisées par les bourgeois) devenait un bien commun, dans la mesure où, dès lors que les activités des femmes étaient définies comme du non-travail, leur travail commençait à apparaître comme une ressource naturelle, disponible à tous, tout comme l’air que l’on respire ou l’eau que l’on boit » (p. 195-196, souligné par l’auteur)
Le clou est enfoncé quelques lignes plus loin :
« Dans l’Europe précapitaliste, la subordination des femmes aux hommes était modérée par le fait qu’ils avaient accès aux communaux, alors que dans le nouveau régime capitaliste les femmes elles-mêmes devenaient les communaux, dès lors que leur travail était défini comme une ressource naturelle, en-dehors de la sphère des rapports marchands. » (ibid., souligné par l’auteur)
En quoi, dans la nouvelle société, chaque femme non bourgeoise devenait-elle une ressource « commune » ? Mystère. Si, comme l’explique par ailleurs Federici à l’envi, les femmes et leur travail ont été, au cours de cette évolution, appropriées de manière plus privative qu’auparavant par les hommes (père puis mari), il faudrait plutôt en conclure exactement l’inverse. Si l’on comprend bien – ce qui n’est pas chose aisée – et que l’on rapproche les métaphores économiques utilisées à différents endroits du livre, les femmes deviennent alors au cours de la période considérée de très oxymoriques « biens communs enclos », en quelque sorte. Et l’on se dit qu’en fait tout cela nous éclaire plutôt obscurément… Cette confusion assez grossière entre gratuité et communalité n’a qu’une explication : la volonté d’établir à tout prix un parallèle entre les clôtures des champs et le sort des femmes, pour s’adresser à l’imagination à défaut de la raison.

L'idéalisation des sociétés précapitalistes

Pour en revenir au fond de la thèse, s’il est un aspect pour lequel on peut de manière assez sûre établir un lien de cause à effet entre la montée des rapports capitalistes et les modifications des rapports sociaux « de reproduction », c’est l’émergence de la famille nucléaire. On a pu, par exemple, expliquer de manière très convaincante comment la marchandisation des relations économiques tend à dissoudre les anciennes formes familiales, plus étendues, et à favoriser l’unité socio-économique composée d’un couple et de ses enfants. Il est en revanche beaucoup plus difficile de situer, dans ce mouvement, la place et la nécessité de la domination masculine, ainsi que celle de la relégation des femmes aux tâches domestiques. On a déjà évoqué la prudence qui s’imposait sur les conclusions à tirer de l’impact du travail domestique sur la rentabilité du capital. Mais il faut également remarquer qu’en soi, il est parfaitement indifférent au capital que ce travail domestique soit effectué par des femmes à titre exclusif ou principal, plutôt que par des hommes. Du travail gratuit est du travail gratuit, quel que soit le sexe de celui qui l’effectue, et la plus-value n’a pas davantage de genre qu’elle n’a d’odeur.
« Danse paysanne »,
extrait d'Heures de Charles d'Angoulême,
fin du XVe siècle.
Dès le début de l’ouvrage, Silvia Federici nous dit qu’ « avec la société capitaliste l’identité sexuelle devient le vecteur de fonctions spécifiques » (p. 23) Pourtant, la spécialisation des femmes dans le travail domestique n’a pas été créée ex nihilo par le capitalisme naissant ; et quand bien même il l’a manifestement renforcée, celle-ci représentait un héritage qui semble aussi ancien que les sociétés humaines elles-mêmes. Or, sur le plan des rapports entre les sexes, Federici peint volontiers un tableau idyllique mais fallacieux des sociétés précédentes, afin de mieux faire ressortir la noirceur de la nôtre.
C’est d’abord ce Moyen Âge pour lequel la place des femmes est copieusement idéalisée :
« Les femmes serves étaient moins dépendantes de leur compagnon mâle, moins différenciées d’eux socialement et psychologiquement, et moins asservies aux besoins des hommes que les femmes ‘libres’ ne devaient l’être par la suite dans la société capitaliste. » (p. 40)
Pourtant, l’auteure précise juste après que la limite à la dépendance de la femme par rapport à son compagnon reposait sur… l’autorité du seigneur, propriétaire des terres et des personnes :
« C’était le seigneur qui commandait le travail et les relations sociales des femmes, décidant par exemple si une veuve devait se remarier et qui devait être son époux, revendiquant même dans certaines régions le jus primae noctis, le droit de coucher avec la femme du serf lors de la nuit de noces ».
Cette forme de dépendance et d’asservissement ne semble donc a priori guère plus enviable que celle qui lui a succédé. Page 179, et à propos du XVIIe siècle, on lit : « Un nouveau modèle de féminité émergea à la suite de cette défaite : la femme et l’épouse idéale, passive, obéissante, économe, taiseuse, travailleuse et chaste ». Certainement. Mais en quoi est-ce fondamentalement différent du modèle de féminité proposé aux XIe/XIIIe siècle dans les romans qui mettaient en scène l’amour courtois, tel que le décrit Georges Duby dans un recueil au titre significatif ?
« L’homme en effet, qui prend femme, quel que soit son âge doit se comporter en senior et tenir cette femme en bride, sous son étroit contrôle. (…). L’accord porte en premier lieu sur ce postulat, obstinément proclamé, que la femme est un être faible qui doit être nécessairement soumis parce que naturellement pervers, qu’elle est vouée à servir l’homme dans le mariage, et que l’homme est en pouvoir légitime de s’en servir » (Georges Duby, « L’amour en France au XIIe siècle », Mâle Moyen Âge, Flammarion, 1988,  p. 37).
Et ce n’est pas pour rien qu’un spécialiste de l’histoire médiévale du genre, bien que sans nier la dégradation postérieure de la position féminine, peut conclure son ouvrage sur le sujet de la manière suivante :
« Dans de nombreux domaines, [la distinction de sexe du XIIe au XVe siècle] se traduit par une domination masculine et une dévalorisation du féminin. (…)
Dans les modes de représentation, le féminin est du côté du charnel et le masculin, du spirituel. (…) L’infériorité et la dévalorisation de la femme entraînent son exclusion du sacerdoce, de l’université ou du pouvoir urbain. Elle est plus présente en enfer qu’au paradis. (…) Elle reçoit moins d’instruction, occupe peu de place dans les lettres, les arts et la culture. Sur un plan juridique, elle demeure une éternelle mineure, dépendante des hommes. Dans les crimes et délits, elle est davantage victime que coupable. (…)
La forte mixité et la faible division des tâches dans les activités laborieuses n’empêchent pas des salaires masculins plus élevés, une plus faible proportion de femmes dans les métiers lucratifs et reconnus socialement et la possession des outils les plus sophistiqués par les hommes. » (D. Lett, Hommes et femmes au Moyen Âge, Armand Colin 2013, p. 211-213)
Mais ce sont aussi, et surtout, les sociétés colonisées, telles celles de l’Amérique précolombienne, qui font l’objet d’une fascination rétrospective qui tient largement du fantasme. On apprend donc non sans surprise que les femmes y étaient « en position de pouvoir (…) [ce qui] se reflète dans l’existence de nombreuses divinités féminines ». (p. 401) Si les mots ont un sens, il s’agissait donc de matriarcats. Une telle révélation, qui contredit toute les connaissances ethnologiques, ne s’encombre d’aucune référence (et pour cause), et ne s’appuie que sur un argument réfuté depuis longtemps, nombre de sociétés ayant adoré des divinités féminines tout en étant parfaitement patriarcales.

Le capitalisme et la situation des femmes

Le biais dans un sens se double d’un biais dans l’autre sens : dans la vision des faits que propose Federici, le capitalisme est unilatéralement présenté comme un système dégradant la position des femmes. Cette dégradation, vue comme une condition nécessaire de son enfantement, est également censée marquer toute son évolution postérieure, jusqu’à nos jours. Mais une telle version des effets ment au mieux par omission.
Une campagne pour l'égalité hommes-femmes,
menée par le gouvernement d'une société
éminemment capitaliste... auprès des capitalistes.
Pour commencer, la période dont traite Federici concerne moins le capitalisme lui-même que les formes sociales hybrides qui l’ont précédées – le XVIe siècle était certes en train d’engendrer le capitalisme, mais on était encore suffisamment loin du compte pour que la bourgeoisie ait été obligée, dans les siècles suivants, de renverser le pouvoir politique par la force afin d’imposer la nouvelle structure sociale.
Ensuite, Federici elle-même en vient à montrer (p. 57 et suivantes), pour une fois avec des exemples précis, que le processus de monétarisation de l’économie du XIIe au XVe siècle poussa de nombreuses femmes des campagnes à migrer vers les villes, où elles eurent accès à toute une gamme d’emplois variés et à plus d’autonomie…. ce qui est parfaitement contradictoire avec la thèse générale du livre.
À partir de la révolution industrielle, et de manière de plus en plus marquée au XXe siècle, le système capitaliste a incontestablement produit un effet émancipateur sur la condition des femmes, de manière éclatante au cœur des pays les plus riches. Nous vivons dans la première de toutes les sociétés humaines connues qui ait secrété l’idéal de l’égalité des sexes – c’est-à-dire de l’indifférenciation sociale des genres. Même si cet idéal est encore loin de connaître une réalisation pleine et entière, nos sociétés n’en demeurent pas moins les seules à avoir, sur le plan juridique, fait tomber une à une toutes les barrières qui séparaient juridiquement les femmes des hommes, en particulier en ce qui concerne l’accès réservé à certains emplois. Le fait que les principaux États de la planète, depuis des décennies, promeuvent (au moins en paroles) l’égalité hommes-femmes participe à ce mouvement. Au demeurant, c’est aussi un des éléments qui permettent de penser qu’un tel programme n’est guère subversif pour le grand capital, que ces États servent avec zèle.
On peut là aussi, bien sûr, discuter des raisons pour lesquelles cette évolution s’est produite ; et l’un de nous, dans un livre paru il y a quelques années, en a proposé une explication d’ordre matérialiste. Mais dans le texte de Caliban…, la discussion n’est même pas envisageable – ne serait-ce que pour tenter de comprendre le renversement par rapport aux tendances constatées à la Renaissance : cette dimension majeure de la réalité est purement et simplement évacuée. Sous la plume de Federici, le capitalisme devient un système qui, de manière systématique et pour des raisons congénitales, ne peut que reléguer les femmes dans la sphère domestique et organiser leur oppression.

Sus au matérialisme historique

On ne saurait terminer ce compte-rendu sans relever les quelques passages dans lesquels Federici entend explicitement critiquer Marx et, surtout, reconsidérer la place du système capitaliste dans l’évolution sociale. Ainsi, il apparaît que « Marx n’aurait jamais pu penser que le capitalisme ouvrait la voie de l’émancipation humaine s’il avait envisagé cette histoire du point de vue des femmes. » (p. 21). En laissant ainsi entendre que si Marx attribuait au capitalisme un rôle historique progressif, c’est parce qu’il aurait amélioré la situation des travailleurs, Federici montre qu’elle n’a pas compris une de ses idées les plus élémentaires (ou qu’elle feint de ne pas l’avoir comprise, mais le résultat est le même). Tout le raisonnement de Marx, tout le caractère « scientifique » de son socialisme reposait sur l’idée que le capitalisme, en développant les forces productives, mettait en place, pour la première fois dans l’évolution sociale humaine, les conditions du socialisme. Ainsi qu’on vient de le dire, il faudrait ajouter à cela que le capitalisme a également jeté les fondements de la disparition de la division sexuelle du travail, c’est-à-dire de l’émancipation des femmes.
Un data center. Dans le raisonnement de Federici,
la croissance et le progrès technique apportés
par le capitalisme n'ont nullement rassemblé
les conditions d'une société socialiste mondiale.
Mais Federici balaye cela d’un revers de main. Après avoir recommandé page 39 de ne pas idéaliser « la communauté servile médiévale » comme modèle d’organisation collective du travail, c’est pourtant ce qu’elle fait un peu plus loin, en y voyant un modèle de « communisme primitif » sur la base duquel il aurait été possible pour l’humanité de s’économiser le stade capitaliste de son développement – on retrouve ici le type de logique qui était celui des Narodniki russes contre lesquels s'est construit le mouvement ouvrier révolutionnaire. Federici affirme aussi hardiment que les luttes « prolétariennes » de la fin du Moyen-Âge auraient fort bien pu être victorieuses (p. 107) – sans toutefois informer le lecteur du type de société qui aurait pu sortir de telles victoires hypothétiques –, et le texte propose une vision pour le moins originale de l’évolution sociale des derniers siècles :
« Le capitalisme fut la contre-révolution qui réduisit à néant les possibilités ouvertes par la lutte antiféodale. Ces possibilités, si elles étaient devenues réalités, nous auraient épargné l’immense destruction de vies humaines et de l’environnement naturel qui a marqué la progression des rapports capitalistes dans le monde entier. » (p. 36)
Quant à l’idée, fondamentale chez Marx, que le capitalisme représentait par rapport au féodalisme « une forme supérieure de vie sociale », c’est « une croyance (…) [qui] n’a toujours pas disparu ». (p. 36). Au cas où l’on ait un doute, l'idée est répétée un peu plus loin :
« Il n’est pas possible d’assimiler accumulation capitaliste et libération des travailleurs, femmes ou hommes, comme nombre de marxistes l’ont fait (…) ou de comprendre l’apparition du capitalisme comme un moment de progrès historique. » (p. 118)
Que ressort-il de cela ? D’une part, que volontairement ou non, Federici appauvrit le propos de Marx, lui faisant dire que le capitalisme représente une émancipation, là où il défendait l’idée qu’il met en place les conditions d’une émancipation future, ce qui est plus qu’une nuance. Mais surtout en prétendant, sans aucune espèce de justification, que les sociétés du Moyen-Âge auraient pu accoucher directement d’une société socialiste et que le capitalisme, de ce point de vue, a constitué non une avancée mais un recul, Federici jette précisément par-dessus-bord le matérialisme dont elle dit se réclamer. Aux orties, le lien étroit entre les formes de la production matérielle et les rapports sociaux ; l’idée, mille fois développée et illustrée, que le capitalisme, par la grande industrie, l’avancée des techniques et des sciences, la création du marché mondial, la concentration et l’internationalisation de la production, a pour la première fois dans l’histoire humaine jeté les bases d’une société égalitaire ; aux orties également, l’idée symétrique que sur la base d’une production limitée, la règle « à chacun selon ses besoins » ne peut que rester lettre morte, et que :
« ce développement des forces productives (qui implique déjà que l'existence empirique actuelle des hommes se déroule sur le plan de l'histoire mondiale au lieu de se dérouler sur celui de la vie locale), est une condition pratique préalable absolument indispensable, car, sans lui, c'est la pénurie qui deviendrait générale, et, avec le besoin, c'est aussi la lutte pour le nécessaire qui recommencerait et l'on retomberait fatalement dans la même vieille gadoue. » (Marx, L’idéologie allemande, Éditions sociales 1982 [1845], p. 95).
Seule reste l’affirmation plate et, au fond, un rien réactionnaire que le capitalisme n’a apporté que des maux et que les sociétés humaines, en quelque sorte, « c’était mieux avant ».

Conclusion

La dernière question au sujet de Caliban…, mais non la moindre, est celle de savoir pourquoi un livre aussi discutable a reçu si peu de critiques et tant de louanges, jusque dans des milieux qui se réclament du marxisme.
Un premier élément d’explication tient au fait que les historiens académiques considèrent, de manière regrettable, que relever les nombreuses erreurs d’un texte destiné au grand public et dont l’auteur n’est pas rattaché à leur discipline est une perte de temps.
Mais, plus profondément, la réponse s’impose d’elle-même : Caliban…, malgré toutes les faiblesses de ses paroles, chante une musique qui plaît. Pour commencer, il apparaît comme un avatar supplémentaire des innombrables récits sur le matriarcat primitif – l’auteur n’hésite d’ailleurs pas à reprendre à son compte les conceptions dépassées de Bachofen et Engels sur la « défaite historique du sexe féminin » ; mais ici, le récit a été modernisé. En plus de la naissance des classes sociales, cette défaite est censée également dater du capitalisme : le dernier paradis perdu ne l’a été qu’il y a quelques siècles – et manifestement, aux yeux de l’auteur, il existe encore dans de nombreux endroits du Tiers-Monde qui résistent à la « mondialisation néolibérale ». Le récit, comme tant d’autres avant lui, joue implicitement sur le sentiment trompeur qu’un passé dans lequel les femmes auraient occupé une position favorable constituerait un socle pour leurs combats futurs.
Mais comment, au-delà même de l’absence de sérieux et d’honnêteté dans la restitution du matériel historique, des « marxistes » peuvent-ils souscrire, parfois avec enthousiasme, à un récit qui tourne le dos aux analyses les plus élémentaires du matérialisme historique ? C’est en quelque sorte un signe des temps et une preuve supplémentaire que les rapports sociaux sont plus forts que les mots et les références abstraites. L’idée que, dans la marche à un monde débarrassé de l’exploitation, le capitalisme a représenté une étape nécessaire de l’évolution sociale, apparaît évidente à des militants qui entendent s’appuyer sur la force collective du prolétariat international, cette classe exploitée que le capitalisme a précisément fait naître. Mais, dans un contexte où ce prolétariat est plongé depuis des décennies dans l’atonie politique, nombreux sont ceux qui refusent désormais de voir en lui une force et qui en viennent à considérer que son existence (et, plus généralement, celle de l’ensemble des transformations matérielles et sociales apportées par le capitalisme), n’est qu’un détail sans importance – voire, un obstacle sur la voie d’un socialisme dorénavant envisagé comme une idéalisation des sociétés anciennes.
Il y a plus. La conviction que la domination masculine constituerait une dimension vitale pour le capitalisme légitime (ou paraît légitimer) le sentiment que combattre pour l’égalité des sexes reviendrait ipso facto à combattre le capital. Nous vivons une période où il est infiniment plus facile[1] de militer sur le terrain du féminisme – le plus souvent, dans des milieux qui ne sont pas les plus exploités – que sur celui des idées communistes, et auprès des travailleurs du rang. Dès lors, il est tentant de se persuader que la lutte féministe constituerait un substitut tout à fait acceptable à la lutte communiste. C’est malheureusement faux et si, comme c’est le cas ici, sous couvert de « radicalisme », ce renoncement s’accompagne d’un regard de Chimène pour des divagations antirationalistes, d’une idéalisation des sociétés précapitalistes et de l’abandon des raisonnements les plus fondamentaux du marxisme, la démission prend des allures de débâcle.


NOTE : dans une version ultérieure de ce texte, nous avons remplacé l'adjectif « facile » par la locution «  admis sur le plan social » qui, bien que plus empruntée, nous paraissait à la fois plus juste et plus précise. Puisse cette modification lever certains malentendus.

31 commentaires:

  1. Parabenizo fortemente os autores pela exposição. Uma crítica marxiana a esse livro era necessária.

    Saudações do Brasil.

    Atenciosamente,

    Lucas Parreira Álvares

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    1. Muito obrigado!

      E você nem precisa ser marxista para criticar este livro (mesmo que seja melhor). Basta verificar os fatos...

      Saudações fraternas (Não falo português, tradução do Google !)

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    2. Verdade, camarada. Isso é verdade.

      Abraços

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  2. Merci pour ce compte rendu critique. Cela est vraiment inquiétant qu'une chercheuse universitaire se permette de manipuler autant les faits pour les besoins de la cause ... :-/

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  3. Salut!

    La marxiste (ou post-marxiste) allemande Roswitha Scholz a écrit aussi une critique des positions de Frederici. Elle est Du groupe Exit! (ex-Krisis) mais, hélas, ses textes sont seulement en allemand et portugais (est très difficile comprendre, mais le group Krisis est bien connu ici, il y a éditions de Kurz et Anselm Jappe etc). C'est aussi intéressant que Jappe défend lá même thèse que Frederici sur lê capitalisme comme fruit de la défaite des luttes paysannes médievales

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    1. Je ne connais pas ces travaux – et j'avoue bien volontiers que j'ai tendance à fuir les gens qui écrivent de manière obscure. Un gars a demandé un jour : « un intellectuel, si ça ne sert pas à expliquer simplement les choses compliquées, ça sert à quoi ? » et je trouve qu'il avait bien raison.
      Après, il y a sûrement certaines idées dans tout cela que l'on peut discuter (personnellement, je n'ai aucun avis sur les luttes paysannes du Moyen Âge et leur rôle dans la naissance du capitalisme). Ce que nous avons voulu critiquer chez Federici, c'est d'une part, son utilisation désinvolte, voire franchement mensongère, des faits, d'autre part des raisonnements forcés, qui tournent le dos au B-A-BA du marxisme sur des points fondamentaux. Après, comme disait Marx, même une truie aveugle peut parfois trouver des truffes...

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  4. "... j'ai tendance à fuir les gens qui écrivent de manière obscure..." C'est bien dommage pour vous. Votre réponse est facile, populiste, antiintellectuelle (mais malheureusement courante). Il y a des choses compliquées qu'on ne peut pas simplifier par le discours, à moins de tomber dans les banalités. Ce n'est pas à l'"intellectuel" (un animal? une espèce à part?) de mâcher le travail des autres hommes.

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    1. Pour votre propre édification, je ne peux donc que vous conseiller d'éviter à l'avenir la lecture d'un blog d'inspiration populiste, anti-intellectuelle, et où il arrive trop souvent qu'on comprenne ce qu'on y lit.

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  5. Les auteurs de cette critique ne connaissent visiblement pas les luttes féministes en Amérique latine et en Afrique.... De la marche des Margaridas, à la Via Campesina, la Marche Mondiale des Femmes, WECAN etc... qui sont des luttes pour se réapproprier la terre, protéger l'environnement, tisser des solidarités, construire des communs, refuser les microcrédits et pratiquer l'entraide...
    Visiblement leur biais est occidentocentré. La PMA est un luxe boboïde.

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    1. Oui, je l'avoue bien humblement : je suis ignorant sur ces sujets, et je crois pouvoir dénoncer Yann qui, à ce que je sache, ne l'est guère moins que moi. Quant à savoir en quoi cette nôtre ignorance, ainsi que notre supposé occidentocentrisme, justifie qu'un auteur truque les chiffres historiques, fasse l'éloge de la pensée magique et propose un raisonnement aussi discutable qu'anachronique sur l'avènement du capitalisme il y a cinq siècles, mystère et boule de gomme.

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  6. Bonjour, je voudais m‘attarder sur les points de votre article que je ne comprend pas, ceux avec lesquels je suis en désacord :

     „la politique nataliste menée par les États devrait éventuellement être attribuée bien moins aux problèmes réels du capitalisme naissant qu’aux angoisses peu justifiées de ses promoteurs, ce qui est déjà fort différent „
    Comment les promoteurs du capitalisme pourraient -ils etre sinificativement différents du capitalisme ?

    „Dans cette hypothèse, la politique nataliste aurait plutôt correspondu aux nécessités politiques du moment, et pas particulièrement à des exigences profondes du nouveau système économique. „
    Comment séparer clairement les nécessités politiques et économiques ? Sont elles entre des mains différentes ? Ont -elles des intêres différents ?

    « même ensuite, jusqu'à nos jours, l'État n'a pas ménagé ses efforts pour reprendre aux femmes le contrôle sur la reproduction » Vous semblez douter de cette afirmation.
    En italie des années 70 pendant les luttes pour „le droit a l‘avortement“ certaines groupes féministes ne souhaitait abslolument pas sa légalisation mais plaidaient pour sa dépénalisation, et ne virent pas en la légalisation une réelle victoire car l‘avortement passait par les institutions du droit et de a médecine, dont les femmes sont structurellement exclues. Elles voillent cette légalisation comme un moyen de désamorcer la crise sans pour autant donner aux femmes les moyens légaux et médicaux de pratiquer les avortements. Il suffit de voir aujourd´hui le nombre de médecins italien utilisant leur clause de conscience pour refuser de pratiquer un avortement pour comprendre la pertinence de ces craintes. Il y a fort a parier que c‘est a ce genre de phénomene que S.Federicci fait justement allusion.

    „le système capitaliste a incontestablement produit un effet émancipateur sur la condition des femmes, de manière éclatante au cœur des pays les plus riches. Nous vivons dans la première de toutes les sociétés humaines connues qui ait secrété l’idéal de l’égalité des sexes – c’est-à-dire de l’indifférenciation sociale des genres.“

    „  le capitalisme, par la grande industrie, l’avancée des techniques et des sciences, la création du marché mondial, la concentration et l’internationalisation de la production, a pour la première fois dans l’histoire humaine jeté les bases d’une société égalitaire „

    Ces affirmations ne sont-elles pas seulement de belle fable pour endornir les enfants ?

    „Le fait que les principaux États de la planète, depuis des décennies, promeuvent (au moins en paroles) l’égalité hommes-femmes participe à ce mouvement. Au demeurant, c’est aussi un des éléments qui permettent de penser qu’un tel programme n’est guère subversif pour le grand capital, que ces États servent avec zèle. „

    Ce ne sont pas les principaux état de la planetes qui promeuvent l‘idée de l‘égalité homme/femmes, mais les luttes sociales au seins de ces état. Et on sait bien que le capitalisme peut déformer et récupérer beaucoup de lutte a son profit.

    Pourquoi dites vous qu‘il est infiniment plus facile de militer sur le terrain du féminisme que sur celui de la lutte communiste ?

    Enfin dernier point, je n‘ai toujours pas compris pouquoi il existe tant de débat pour savoir si le capitalisme est une étape nécesaire ou non dans l‘avènement du socialisme. Je passe certainement a coté de quelque chose d‘important, mais il me semble que c‘est une querelle de clocher. Pouvez vous m‘expliquer l‘enjeu de ce débat ?

    Je vous remercie d‘avoir lu ce commentaire jusqu‘au bout, et de votre éventuelle réponse.

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    1. Cela fait beaucoup de questions ! Je fragmente les réponses (synthétiques) pour plus de clarté.

      1. la politique nataliste menée par les États devrait éventuellement être attribuée bien moins aux problèmes réels du capitalisme naissant qu’aux angoisses peu justifiées de ses promoteurs, ce qui est déjà fort différent „
      Comment les promoteurs du capitalisme pourraient -ils etre sinificativement différents du capitalisme ?

      Je crois comprendre que votre question est en réalité : "comment les promoteurs (ou les dirigeants) du capitalisme pourraient-ils mener une politique ne correspondant pas aux intérêts du capitalisme ?".
      Eh bien, il y a au moins deux bonnes raisons. La première, c'est que pour mener une politique juste, mieux vaut disposer des instruments d'information et de décision pour la mener (et cela ne suffit pas toujours). Les autorités du XVIe siècle avaient-elles une vision claire et informée des évolutions démographiques ? Et des besoins de la (future !) industrie ? On peut au moins poser la question. Mais surtout, faire de ces autorités les défenseurs du capitalisme, c'est quand même aller bien vite en besogne alors qu'on est quand même encore en plein ancien régime, et à deux ou trois siècles des révolutions bourgeoises. Si ces Etats représentaient réellement les intérêts de la classe capitaliste, pourquoi diable celle-ci a-t-elle ultérieurement pris la tête de soulèvements sociaux pour les abattre ?

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    2. 2. „Dans cette hypothèse, la politique nataliste aurait plutôt correspondu aux nécessités politiques du moment, et pas particulièrement à des exigences profondes du nouveau système économique. „
      Comment séparer clairement les nécessités politiques et économiques ? Sont elles entre des mains différentes ? Ont -elles des intêres différents ?

      C'est surtout que si le capitalisme a (peut-être, je ne me prononce pas sur cette question faute de compétences) eu besoin d'une politique nataliste, cela n'autorise pas à conclure que toute politique nataliste avait nécessairement pour cause (ou fonction) les besoins du capitalisme. Et (simple hypothèse) les besoins militaires des grandes puissances d'ancien régime peuvent très bien constituer une explication alternative. Avant de retenir l'explication par les besoins du capitalisme (futur !) il faudrait examiner les explications alternatives et dire pourquoi elles ne peuvent être retenues, ce que ne fait pas Federici.

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    3. « même ensuite, jusqu'à nos jours, l'État n'a pas ménagé ses efforts pour reprendre aux femmes le contrôle sur la reproduction » Vous semblez douter de cette afirmation.
      En italie des années 70 pendant les luttes pour „le droit a l‘avortement“ certaines groupes féministes ne souhaitait abslolument pas sa légalisation mais plaidaient pour sa dépénalisation, et ne virent pas en la légalisation une réelle victoire car l‘avortement passait par les institutions du droit et de a médecine, dont les femmes sont structurellement exclues. Elles voillent cette légalisation comme un moyen de désamorcer la crise sans pour autant donner aux femmes les moyens légaux et médicaux de pratiquer les avortements. Il suffit de voir aujourd´hui le nombre de médecins italien utilisant leur clause de conscience pour refuser de pratiquer un avortement pour comprendre la pertinence de ces craintes. Il y a fort a parier que c‘est a ce genre de phénomene que S.Federicci fait justement allusion.

      Qu'il existe des cas d'Etats bourgeois qui, d'une manière ou d'une autre, ont freiné ou empêché le recours à l'avortement, c'est une évidence. Mais cela n'autorise pas à en faire une généralité. Ces Etats ont certes rarement été pressés de contrarier la fraction conservatrice de l'opinion, et aujourd'hui encore, ils peuvent être tentés de lui donner des gages et de revenir en arrière. Mais tout en même temps, la plupart de ces Etats ont légalisé (et en France, remboursé !) la contraception. Présenter le capitalisme comme nataliste en tout temps et en tout lieu, c'est une caricature.

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    4. 4. „le système capitaliste a incontestablement produit un effet émancipateur sur la condition des femmes, de manière éclatante au cœur des pays les plus riches. Nous vivons dans la première de toutes les sociétés humaines connues qui ait secrété l’idéal de l’égalité des sexes – c’est-à-dire de l’indifférenciation sociale des genres.“

      „ le capitalisme, par la grande industrie, l’avancée des techniques et des sciences, la création du marché mondial, la concentration et l’internationalisation de la production, a pour la première fois dans l’histoire humaine jeté les bases d’une société égalitaire „

      Ces affirmations ne sont-elles pas seulement de belle fable pour endornir les enfants ?

      Que voulez-vous que je réponde à cela ? Où est votre argument ?

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    5. „Le fait que les principaux États de la planète, depuis des décennies, promeuvent (au moins en paroles) l’égalité hommes-femmes participe à ce mouvement. Au demeurant, c’est aussi un des éléments qui permettent de penser qu’un tel programme n’est guère subversif pour le grand capital, que ces États servent avec zèle. „

      Ce ne sont pas les principaux état de la planetes qui promeuvent l‘idée de l‘égalité homme/femmes, mais les luttes sociales au seins de ces état. Et on sait bien que le capitalisme peut déformer et récupérer beaucoup de lutte a son profit.

      Qu'il ait fallu pousser les Etats bourgeois aux fesses pour qu'ils se décident (partiellement et avec pusillanimité) à reprendre à leur compte les revendications autour de l'égalité hommes-femmes, c'est un fait. Que l'ensemble de leur action en ce domaine soit le fruit des luttes sociales, c'est je crois très exagéré - je ne connais pas suffisamment bien l'histoire pour être affirmatif, mais j'ai du mal à imaginer, par exemple, que le droit de vote des femmes ou leur pleine autonomie juridique ait partout été arrachée par la lutte. Elle correspond aussi, et c'est cela qu'il faut arriver à comprendre, à des nécessités propres du système.
      Quant aux luttes "récupérées", justement : si une lutte peut être récupérée par le système, c'est donc que ses objectifs ne lui sont pas intrinsèquement hostiles. Ce que les révolutionnaires communistes expliquent depuis plus d'un siècle et demi, en soulignant que l'égalité juridique entre hommes et femmes, pour légitime qu'elles soit, n'est en rien une revendication "anticapitaliste". Autrement dit : le capitalisme ne récupère que les luttes (ou les objectifs des luttes) qui sont compatibles avec son fonctionnement. L'expropriation des actionnaires et la mise sous tutelle des moyens de production par la collectivité des producteurs, voilà par exemple une revendication que le capitalisme ne risque en aucun cas de récupérer.

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    6. 6. Pourquoi dites vous qu‘il est infiniment plus facile de militer sur le terrain du féminisme que sur celui de la lutte communiste ?

      Nous avons corrigé cette formulation dans le post-scriptum, en disant qu'il serait plus juste d'écrire "admis sur le plan social". Que dire d'autre que c'est une évidence ? Faites un sondage. Demandez "pensez-vous qu'hommes et femmes devraient être socialement égaux ?" et "pensez-vous que les possesseurs de capitaux devraient être expropriés sans indemnités, l'économie devrait être collectivisée, dirigé par un plan élaboré à l'échelle planétaire, et les frontières politiques abolies ?" Vous pensez vraiment que la seconde question recevra autant de OUI que la première ?

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    7. 7. Enfin dernier point, je n‘ai toujours pas compris pouquoi il existe tant de débat pour savoir si le capitalisme est une étape nécesaire ou non dans l‘avènement du socialisme. Je passe certainement a coté de quelque chose d‘important, mais il me semble que c‘est une querelle de clocher. Pouvez vous m‘expliquer l‘enjeu de ce débat ?

      Evidemment, deux siècles après la révolution industrielle, la question est quelque part réglée par l'Histoire : le capitalisme est là, il a transformé les rapports sociaux à l'échelle de la planète, et on pourrait dire que la question de sa nécessité historique est scolastique. En réalité, l'idée que l'humanité aurait pu (et même dû !) se passer du capitalisme revient aujourd'hui en force dans les milieux dits progressistes, qui face à la situation critique dans laquelle nous vivons, sont tentés de se tourner vers le passé plutôt que vers l'avenir. Les plus radicaux ne s'arrêtent d'ailleurs pas en si bon chemin, et contestent la révolution néolithique, puisque après tout, tous les ennuis sont venus de là.
      On peut reprocher bien des choses à ces courants divers et varier, mais leur point commun est invariablement de ne pas vouloir transformer la société en s'appuyant sur la lutte collective des salariés contre les capitalistes. Contester la société, ils le veulent bien, mais choisir un camp dans la lutte des classes modernes, pas question. Ou alors, ils le font, mais de manière totalement inconséquente - parce que quoi ? On va proposer aux centaines de millions de travailleurs salariés urbains de redevenir des petits paysans ? C'est cela l'avenir ?
      Pour conclure, une citation qui a presque deux siècles, mais qui n'a pas pris une ride :
      « À en juger toutefois d'après [ce qu’il propose], ou bien ce socialisme entend rétablir les anciens moyens de production et d'échange, et, avec eux, l'ancien régime de propriété et toute l'ancienne société, ou bien il entend faire entrer de force les moyens modernes de production et d'échange dans le cadre étroit de l'ancien régime de propriété qui a été brisé, et fatalement brisé, par eux. Dans l'un et l'autre cas, ce socialisme est à la fois réactionnaire et utopique. »

      Bien cordialement

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  7. Merci d‘avoir pris le temps de me répondre. Je vais faire plus court ce coup ci !

    Pour 1 et 2, vous dites que finalement il y a beaucoup plus de parametre a prendre en compte.

    3. 5. Je pense que nos vision de l‘évolution de la société ne sont pas du tout les même, c‘est ce qui me qualifier certaines de vos affirmation de fables (sans arguments!).
    Je pense qu‘il est très difficile d‘affirmer que la premiere société égalitaire du monde et depuis toujours a été sécrété a un certain moment en Europe, je trouve cette affirmation problematique, mais ce n‘est pas tant le sujet qui m‘intéresse ici.

    6. Il y a beaucoup de manière de formuler les choses, mais formulé comme ca cela va évidament dans votre sens... !

    J‘avais oublié une question dans mon premier commentaire :

     „si le travail domestique quasi-gratuit a sans aucun doute représenté (et représente encore) une aubaine pour le capitalisme, rien ne permet d’affirmer que celui-ci ne se serait pas fort bien accommodé d’une autre configuration.  „

    Selon vous, est-ce exagéré de dire qu‘a cet époque là (et bien que la capitalisme aurai pu s‘accomoder d‘autre chose), le travail dommestique des femmes ai constitué une forme d‘accumulation primitive ?

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    1. De rien !

      Pour 1 et 2, je rappelle surtout le B-A-BA d'un raisonnement (quelle que soit la discipline) : ne pas attribuer un effet à une cause sans avoir examiné les autres causes possibles et, si elles s'excluent mutuellement, ne retenir que la plus probable, en expliquant pourquoi elle l'est. Toutes choses absentes du livre qui, en plus de falsifier des données essentielles, affirme à longueur de page sans prouver.

      Sur le fait que "Je pense qu‘il est très difficile d‘affirmer que la premiere société égalitaire du monde et depuis toujours a été sécrété a un certain moment en Europe, je trouve cette affirmation problematique, mais ce n‘est pas tant le sujet qui m‘intéresse ici."
      Il y a une manière très simple de sortir d'un débat basé sur des impressions subjectives : c'est de convoquer les faits. Depuis deux siècles, le monde capitaliste a évolué (certes lentement, de manière contradictoire, avec des reculs temporaires, mais la tendance générale ne fait aucun doute) vers une situation d'égalité juridique entre sexes. Au passage, et c'est une idée essentielle, cette atténuation, voire cette complète suppression des discriminations juridiques, a touché toutes les dimensions de la vie sociale. Le monde bourgeois, au moins en principe, est celui de l'égalité devant la loi. Pouvez-vous citer d'autres cas historiques (ou préhistoriques) d'une telle situation, hormis des exemples très ponctuels dans le temps et/ou dans l'espace ? Si oui, alors effectivement, je dis une bêtise. Si non, le caractère "problématique" n'est pas dans mon affirmation, mais dans votre mode d'argumentation !

      Selon vous, est-ce exagéré de dire qu‘a cet époque là (et bien que la capitalisme aurai pu s‘accomoder d‘autre chose), le travail dommestique des femmes ai constitué une forme d‘accumulation primitive ?
      Là dessus, je serai assez prudent, parce que j'avoue ne pas avoir creusé la question de l'accumulation primitive. Il me semble qu'elle recouvre deux aspects : d'une part, la constitution d'un capital initial, d'autre part la formation d'une classe de travailleurs privés de leurs moyens de production et donc obligés de vendre leur force de travail. Dès lors, je ne vois pas bien en quoi (hormis par des effets rhétoriques, ce que fait le texte de Federici), le travail domestique participerait de l'un ou de l'autre. Si l'on dit que la formation d'une classe de travailleurs n'aurait pas été possible sans travail domestique, cela me paraît vrai (il faut bien nourrir, loger, éduquer la force de travail), mais la question est : ce travail domestique devait-il impérativement devenir l'apanage des seuls femmes ? Je crois que cela s'est fait ainsi, pour une foule de raisons historiques, mais que le capital aurait tout aussi bien pu voir le jour avec un travail domestique partagé équitablement entre les sexes. Donc, à votre question, j'aurais tendance à répondre quelque chose du genre : "Oui, si l'on veut, en un certain sens, mais... et alors ?".

      Bien cordialement

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  8. Bonjour,
    Dans une revue altermondialiste, Sylvia Frederici détale encore une fois sa vision rétrograde du monde, bien plus inspiré par l'écologie profonde que par le marxisme:
    "Je ne pense pas à un corps qui appro­prie, qui veut man­ger le monde, mais à un corps qui veut s’y connec­ter. Aux XVIe et XVIIe siècles et à la Renaissance, le corps n’était pas envi­sa­gé dans un iso­le­ment com­plet, ce n’é­tait pas une île : il était ouvert. Il pou­vait être affec­té par la lune, par les astres, par le vent. Ce corps est expan­sif parce qu’il n’est pas sépa­ré de l’air ou de l’eau. Il est aus­si inti­me­ment connec­té au corps des autres. L’expérience amou­reuse ou sexuelle en est un exemple, mais elle n’est pas la seule à nous mon­trer com­ment nous sommes conti­nuel­le­ment affecté·es et com­ment notre corps change. La tra­di­tion du mau­vais-œil, par exemple, a à voir avec la capa­ci­té des autres à nous faire souf­frir, ou à nous rendre heureux·se, à nous chan­ger. On ne peut pas pen­ser le corps dans les mêmes termes que les capi­ta­listes et que la science d’au­jourd’­hui, à savoir un corps machine, un agré­gat de cel­lules dans lequel chaque cel­lule, chaque gène pos­sède son propre pro­gramme, comme si ce corps n’é­tait pas orga­nique. Mon point de vue et mon pro­jet consistent à mettre en avant une vision du corps qui soit exac­te­ment à l’opposé de la vision domi­nante dans la science contem­po­raine. On tente d’i­so­ler tou­jours plus le corps, en le met­tant en petits bouts, cha­cun ayant sa carac­té­ris­tique. C’est une frag­men­ta­tion. Ça me rap­pelle le fra­cking : quand les scien­ti­fiques pensent le corps, ils opèrent une sorte de fra­cking épis­té­mo­lo­gique qui le désa­grège.Il faut recon­nec­ter le corps avec les ani­maux, avec la nature, avec les autres. C’est le che­min vers notre bon­heur et notre san­té cor­po­relle parce que le mal­heur inclut, pré­ci­sé­ment, une enclo­sure du corps. Il n’y a pas seule­ment une enclo­sure de la terre, comme je l’ai écrit dans Caliban et la Sorcière, mais aus­si des corps. On nous fait sen­tir tou­jours plus que nous ne pou­vons pas dépendre des autres et qu’il faut en avoir peur. Cet indi­vi­dua­lisme exa­cer­bé, qui s’est accen­tué avec le néo­li­bé­ra­lisme, est vrai­ment pitoyable. Il nous fait mou­rir parce qu’il envi­sage la vie du point de vue de la peur et de la crainte, au lieu de consi­dé­rer la rela­tion aux autres comme une grande richesse." Donc en gros, science = capitalisme.Décidément le postmodernisme ça ne casse vraiment pas des briques !
    https://www.revue-ballast.fr/silvia-federici-le-feminisme-detat-est-au-service-du-developpement-capitaliste/
    Cordialement

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    1. Merci de cet extrait en effet éloquent. Je retiens aussi de l'ensemble de l'interview cette capacité à produire des phrases d'apparence très radicale, mais dont on se demande quand même bien ce qu'elles veulent dire.
      Je note aussi l'éngigmatique : « Et comme tou­jours, le troi­sième objec­tif est de dépas­ser les dif­fé­rentes divi­sions qui existent encore entre les femmes : raciales, sexuelles, d’âge, etc. ». Je me demande si le « etc. » inclut les divisions de classes, auquel cas le féminisme "radical", après avoir fait le tour de lui-même, finirait bien par mordre la queue du féminisme bourgeois si honni par ailleurs...

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    2. Très juste, c'est un débat sans fin, dont les espaces commentaires sont insuffisant pour en discuter en profondeur. D'ailleurs si ça t'intéresse: https://www.youtube.com/watch?v=8havvo4S0Co (une conférence intéressante de Stéphanie Roza d'après son livre "La gauche contre les lumières"), il me semble que ça rentre en résonance avec ce que toi et Yann avez essayé de dénoncer dans vos articles.
      Cordialement

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  9. Bonjour (je suis l'anonyme du 16 avril)

    1 : Au passage, et c'est une idée essentielle, cette atténuation, voire cette complète suppression des discriminations juridiques, a touché toutes les dimensions de la vie sociale. Le monde bourgeois, au moins en principe, est celui de l'égalité devant la loi.


    C‘est a dire que j‘ai du mal a voir ce qu‘il y a d‘égalitaire (entre les sexes ou dans les autre dimention de la vie sociale) dans le systeme capitaliste, a partir du moment ou il fonctionne sur l‘appropriation par la classe possédante du travail de la classe laborieuse. Je trouve au contraire qu‘il est pronfondément inégalitaire, même juridiquement.

    Si j‘ai bien compris mes lectures, Marx dit que c‘est seulement parce qu‘il y a le présupposé de l‘égalité des hommes qu‘on peut donner une valeur d‘échange aux marchandises.
    C‘est quelque chose que j‘ai beaucoup de mal à comprendre. Je ne comprend pas de quelle sorte d‘égalité il parle, ou de quels hommes il parle. J‘ai l‘impression qu‘il s‘agit d‘une égalité restreinte pour un group restreint : les travailleurs. Ils doivent etre égaux pour que le cout social moyen de production puisse exister sans de trop grandes differences, et que les marchandises puisent séchanger., mais du coup c‘est une „égalitée“ très forcée puisque soumise au coup social moyen de production, et néfaste puisqu‘elle débouche sur leur mise en concurence, ils sont égaux car ils sont interchangeable, mais l‘égalité s‘arrete la non ? (je divague peut etre completement, c‘est assez confu pour moi.)


    2 Donc, à votre question, j'aurais tendance à répondre quelque chose du genre : "Oui, si l'on veut, en un certain sens, mais... et alors ?".

    „et alors ?“
    Vous dites que c‘est le travail dommestique qui est important à considérer et non le fait qu‘il soit assigné aux femmes. Mais le fait est qu‘il l‘a été et qu‘il l‘est encore largement. C‘est comme ca que l‘histoire s‘est déroulée et comprendre l‘histoire aide à comprendre le présent (là normalement il y a consensus !).
    Je trouve qu‘il est important de connaitre et reconnaitre une phase d‘accumulation primitive, qui va certainement changer de forme selon le contexte historique, mais qui va marquer les structures sociales bien au dela de cette seule phase.
    C‘est ce qui m‘a intéréssée dans la these de Caliban et la sorcière.

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    1. Pour le premier point, je vois effectivement que tout n'est pas très clair ! Dans une certaine mesure, c'est assez courant, et cela vient du fait que tout comme moi, vous avez toujours vécu dans une société d'égalité juridique. Du coup, vous avez beaucoup de mal à mesurer ce que cela signifie quand celle-ci n'existe pas. Pour commencer, il faut vraiment comprendre la différence entre égalité juridique et égalité économique. Vous pouvez avoir les mêmes droits et être néanmoins exploité par votre voisin, parce qu'il possède les moyens de production et pas vous. Pour autant, dire que l'égalité juridique est sans importance, c'est une erreur profonde, parce que l'inégalité juridique légitime et consacre toutes les autres. Dit à l'envers, supprimer l'inégalité juridique est toujours le préalable nécessaire (même si non suffisant) à supprimer l'inégalité réelle. Diriez-vous par exemple que l'abolition de l'esclavage a été finalement quelque chose de secondaire, étant donné que le capitalisme continue d'exploiter la main d'œuvre désormais libre ? (Et, question subsidiaire, l'auriez-vous dit dans une société esclavagiste ?). Pour la situation des femmes, c'est pareil : en 2020 en France, penser que l'égalité juridique avec les hommes est un point de peu d'importance, c'est une chose, mais auriez-vous pensé la même chose à l'époque du code Napoléon ? Ou encore aujourd'hui, en Algérie, en Iran ou en Arabie Saoudite (liste non limitative, malheureusement) ?

      Un conseil de lecture qui me vient spontanément : le roman « Histoire d'un paysan » d'Erckmann-Chatrian. Un des très rares sur la Révolution française. D'un pur point de vue littéraire, ce n'est sûrement pas un chef d'oeuvre, mais il aide je crois à toucher du doigt ce que voulait dire vivre dans une société structurée par des privilèges juridiques, et à quel point proclamer que ceux-ci n'avaient pas de raison d'être a été une avancée colossale vers l'émancipation.

      Quant à l'accumulation primitive, je crois qu'il y a deux discussions en une. Si c'est pour faire un raisonnement purement historique, pourquoi pas ; à condition, comme nous l'écrivions dans le billet, de le faire sur la base de données non faussées et de vrais raisonnements. Mais dans cette affaire, il faut bien être conscient que l'accumulation primitive, pour Federici (et ceux qui la suivent ?), c'est avant toute chose la porte dérobée par laquelle on finit - assez rapidement d'ailleurs - par jeter par dessus-bord tout le raisonnement marxiste, en tant que repère pour les luttes présentes et futures.

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  10. Bonjour,

    Vous écrivez : « Aux orties, le lien étroit entre les formes de la production matérielle et les rapports sociaux ; l’idée, mille fois développée et illustrée, que le capitalisme, par la grande industrie, l’avancée des techniques et des sciences, la création du marché mondial, la concentration et l’internationalisation de la production, a pour la première fois dans l’histoire humaine jeté les bases d’une société égalitaire ; aux orties également, l’idée symétrique que sur la base d’une production limitée, la règle « à chacun selon ses besoins » ne peut que rester lettre morte ».

    J’ose donc avouer que je suis mille fois ignorante, et vous demander : pourriez-vous m’indiquer quelques source (qui ne soient pas l’ensemble des thèses marxiste développées depuis 150 ans) qui me permettent de bien saisir cette idée ?

    J’ai terminé il y a quelques jours votre « Communisme primitif... », donc pour ce qui est de mes quelques restes d’idéalisation des sociétés précapitalistes et de légers doutes sur la condition passée des femmes, c’est bon, c’est fait:). D’ailleurs, au final, peu importe, et vous apportez suffisamment de nuances dans ce livre pour qu’on puisse quand même continuer à se dire si on le souhaite « c’était mieux avant à un moment quelque part », mais le fait est qu’on y est plus.

    Donc "où est on" est la question:), et c’est pourquoi je m’intéresse aussi à votre pensée sur l’évolution des sociétés (cf mon commentaire récent sous le billet « domesticus »). Je viens de relire vos 2 articles de la revue de l’Afis, que je comprend mieux maintenant que j’ai d’autres billes en tête, je commence à bien saisir ce sujet - en gros en ce moment, le matin avant que ma journée commence, je vous lis :)

    Je ne comprend pas encore par contre comment le marxisme relie « où est-on », « on va t’on » et « où veux t’on aller », d'où ma question aujourd'hui.

    J'ai retrouvé chez moi un bouquin acheté il y a des années mais pas lu, « Abrégé du Capital de Karl Marx » de Carlo Cafiero, mais je ne me dis qu'il y a peut-être mieux à lire en premier (ce serait dommage par exemple que m’intéressant à l’évolution sociale, je lise Morgan en premier, je ne sais pas si la comparaison est valable mais vous voyez l’idée).

    Merci !

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    1. Bonjour

      Commençons par l'ignorance : le billet traitait d'une auteure qui se dit marxiste, et qui est lue prioritairement par des gens qui se réclament aussi de ce courant. D'où ma manière de rappeler ce qui, pour ce type de gens, est censé constituer un savoir (je n'ose écrire un capital) de base. Il n'y a aucune honte à ne pas connaître ces raisonnements, surtout si on veut combler ses lacunes ! Et si cela peut vous consoler, je me sens moi aussi ignorant de mille choses, et pire, chaque fois que je parviens à trouver une réponse, je me découvre mille ignorances nouvelles !
      Pour ce qui est de vos questions, je vous recommanderai bien deux lectures. Même si elles sont anciennes et forcément un peu datées, elles contiennent les raisonnements qui restent au coeur de l'approche marxiste
      Sur le passé et la manière de comprendre l'évolution sociale, La conception matérialiste de l'histoire de Plekhanov : https://www.marxists.org/francais/plekhanov/works/1904/00/plekhanov_19040000.htm
      Sur la manière dont le socialisme futur est préparé par l'évolution réelle du capitalisme - et non par les utopies imaginées par tel ou tel cerveau généreux, lubies qui font d'ailleurs un retour en force depuis quelques années, Socialisme utopique et socialisme scientifique de Engels : https://www.marxists.org/francais/marx/80-utopi/index.htm
      Et je dis ça comme ça, mais si vous n'avez rien de mieux à faire le week-end prochain, il y a un événement qui est la fête annuelle de Lutte Ouvrière, où se déroulent (entre autres) des dizaines d'exposés ou de conférences qui abordent ses questions sous un angle ou sous un autre. Ce serait en plus l'occasion de m'y rencontrer – attention toutefois, j'y suis souvent accompagné de quelques compères et instruments produisant un assez fort volume de décibels. ;-)

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    2. Merci pour votre réponse. Oui, l'horizon de l'ignorance qui avance en même temps que celui de la connaissance, c'est assez fascinant comme phénomène !

      Les gens autour de moi qui ont lu "Caliban", ou qui lui donnent du crédit par confiance interposée (confiance en quoi, that's the question, que personnellement je me pose depuis quelques années et qui me fait peu à peu découvrir d'autres horizons), ne se réclament pas du marxisme. Mais j'ignore ce qu'il en est pour l'ensemble du lectorat de ce bouquin (en Italie notamment).

      Merci pour vos conseils de lecture, c'est précieux, je ne serais pas allé de moi-même vers ces lectures-là. Votre phrase "Sur la manière dont le socialisme futur est préparé par l'évolution réelle du capitalisme - et non par les utopies imaginées par tel ou tel cerveau généreux" est tout à fait interpellante pour moi, ça m'a fait ma soirée :)

      Pour la fête de LO, j'ai noté la date pour l'année prochaine !
      Belle journée, bien à vous.

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  11. Hi Christophe,

    Thank you very much for writing this critical analysis (I read the english translation published elsewhere).
    It may interest you to know that Caliban and the Witch has been a bestseller at 'progressive' bookstores in London & NYC for the past few years and has much wider readership than purely Marxist or Academic types. It's fairly common to hear discussions of this book in all kinds of progressive circles (eg, 'womens subjugation was actually a precondition for capitalism as described in Caliban and the witch'... etc.).

    While I really enjoyed the book and learned a lot about a variety of fascinating historical events, I came away feeling that many of the 'definitive interpretations' were grasping at straws and conjecture at best.

    Really appreciate you taking the time to write a structured critique on the topic (and not resorting to ad hominem attacks like so much of critical analysis today). Will be sharing this analysis with anyone who mentions Caliban to me!

    You might also consider publishing the english translation somewhere more prominent :)

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    1. Dear Alessandro
      Thanks for the compliments. In fact, to be publishable, this review would have to be reread (and corrected) by a competent specialist of the period, which neither Yann nor I are. Unfortunately, for various reasons, these specialists have written little about this book, which tells a story that appeals and that many people have been prepared to believe without examining it with a sufficiently critical eye.

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