Bernard Lahire reloaded (twice)

Après le succès de librairie du monumental Les structures fondamentales des sociétés humaines, abondamment discuté (et largement salué) dans la communauté scientifique, Bernard Lahire transforme l’essai avec une nouvelle parution : Vers une science sociale du vivant. Là où l’ouvrage précédent accumulait sur plusieurs centaines de pages arguments et citations pour asseoir son propos, celui-ci va droit au but. Organisé sous la forme d’un dialogue avec Laure Flandrin et Francis Sanseigne, deux chercheurs qui partagent de longue date ses préoccupations, le livre a pour première qualité d’être très abordable – seules les premières pages, qui font référence à divers concepts et courants de pensée de la sociologie, pourront éventuellement intimider le lecteur ; mais ce sentiment se dissipera rapidement.
Tout au long de ces échanges, Bernard Lahire revient donc sur les idées qu’il avait longuement développées dans son maître-ouvrage, à commencer par la nécessité d’une réelle scientificité des sciences sociales et humaines et les voies (forcément matérialistes) que cette scientificité devra emprunter. Les quelques lignes qui, au passage, égratignent des courants certes en vogue, mais qui reposent sur des prémisses fort douteuses et qui, à la recherche de la vérité objective, entendent substituer l’expérience vécue ou le fait littéraire, sont parmi les plus réjouissantes et les plus réussies du livre. Bien entendu, l’auteur revient également sur la nécessité et l’intérêt de la comparaison inter-spécifique, de même que sur l’importance de la dépendance prolongée des juvéniles et de la relation de domination qu’ils entretiennent avec leurs parents comme « matrice » des autres relations de domination observées dans les sociétés humaines. Entre autres nombreuses questions, le texte aborde l’épineuse « nature humaine ». Il se nourrit également des réactions, tant profanes que savantes, qui ont suivi la parution des Structures fondamentales... – un chapitre spécifique est consacré à « Répondre aux critiques, lever les malentendus ». Il se conclut par une tentative nouvelle de formulation synthétique visant à mettre en regard les propriétés essentielles des sociétés humaines et celles du vivant en général.
Paru il y a quatre mois, le livre a semble-t-il rencontré moins d’écho, en tout cas sur le plan médiatique, que son grand frère. Le succès imposant de ce dernier, de même que la proximité de temps entre les deux publications, a peut-être nui a sa visibilité. Gageons toutefois que cette relative discrétion ne sera que temporaire. Dans les années à venir, Vers une science sociale du vivant deviendra un point d’entrée obligé vers ces thématiques et il sera lu par tous ceux, chercheurs, étudiants ou simples curieux, qui voudront les aborder par un texte aussi accessible que profond.
Et pour faire d’une pierre deux coups (comme Bertin, ajouteront les fins esprits), il me faut signaler l’excellente et très complète interview récemment donnée par l’auteur sur la chaîne Elucid – en quelque sorte, la version orale du livre dont traite ce billet.
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