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« Une aristocratie préhistorique ? » (hors-série Paléo)

Après une longue gestation, les actes du colloque d'octobre 2019, concernant la possible existence de sociétés marquées par des inégalités de richesse au Paléolithique supérieur viennent de paraître sous forme papier, dans un numéro hors-série de la revue Paléo, avec de surcroît une superbe illustration de couverture ! Merci à Emmanuel Guy d'avoir piloté ce vaste projet – après avoir émis la thèse stimulante qui lui a donné naissance.

Il faut noter que tout comme les interventions du colloque, ces actes rassemblent des points de vue parfois divergents, voire franchement contradictoires, ce qui est assez rare et permettra à chacun d'évaluer les arguments en présence. La discussion de fin de session a d'ailleurs été retranscrite, dans laquelle ces points de vue s'expriment en partie – mais il nous aurait fallu des journées entières pour bien nous comprendre et faire correctement le tour des tenants et des aboutissants de cette passionnante question !

Les textes seront naturellement mis en ligne d'ici quelques semaines sur le site de la revue (plateforme OpenEditions).

Au sommaire :

  • Christophe Darmangeat, Emmanuel Guy : Présentation générale
  • Christophe Darmangeat : Faut-il prendre les signes extérieurs de richesse (et de pauvreté) pour argent comptant ?
  • Marie Mauzé : De la comparaison entre l’art pariétal en Europe et l’art de la côte nord-ouest (Amérique du Nord)
  • Brian Hayden : Foragers ou « festoyeurs » ? Inégalités au Paléolithique supérieur
  • Emmanuelle Honoré : Différences de richesse et inégalités sociales au Paléolithique : éléments pour une discussion
  • Dominique Henry-Gambier, Bruno Boulestin : Des tombes d’aristocrates paléolithiques ? Ce que nous dit (et ne nous dit pas) le traitement des morts
  • Sandrine Costamagno, Camille Nôus : Ressources alimentaires et inégalités sociales au Paléolithique : la question du stockage à large échelle
  • Laure Fontana : Économie des ressources animales et mobilité des groupes humains au Pléniglaciaire supérieur et au Tardiglaciaire (30 000–14 000 cal BP) en France : un système Renne au service d’une aristocratie paléolithique ?
  • Jean-Marc Pétillon : Économies littorales au Paléolithique récent dans le Sud-Ouest européen : un état de la question
  • Aurélien Simonet : Le site à Vénus de Brassempouy (Landes, France) : l’hypothèse de la semi-sédentarité au Gravettien
  • Jacques Pelegrin : Sur la motivation des tailleurs experts du Paléolithique supérieur
  • Claire Heckel : Créer de la richesse à l’ère glaciaire : perles en ivoire de l’Aurignacien français
  • Olivia Rivero : L’apprentissage artistique au Magdalénien et ses implications dans l’analyse des complexités sociales de la fin du Paléolithique supérieur
  • Emmanuel Guy : Réflexion sur la fonction sociale des « écoles artistiques »
  • Clément Birouste : Les images du Magdalénien, un naturalisme sans l’idée de Nature ?
  • Discussion finale (retranscription)

5 commentaires:

  1. (Marc Guillaumie)
    Cher Christophe Darmangeat,
    je reviens brièvement sur ce que vous dites du mot "premier", euphémisation maladroite ou hypocrite de "primitif". Vous avez raison, et Momo (plus haut dans ce blog) a raison : une des conséquences amusantes de ce malaise, ce sont les débats en 2006, au moment de nommer le musée du quai Branly. Ce qu'on voulait dire (mais sans le dire, surtout !) c'était "art nègre" ou "art primitif". Pourquoi les derniers chasseurs-cueilleurs ou les populations (ex-)colonisées seraient-ils plus "premiers" que d'autres ? Mystère. Mais était apparent le malaise qui résultait de cette contradiction entre la volonté de trouver une appellation "politiquement correcte", et le désir (inavoué, néo-colonialiste, ou plus sainement et simplement curieux) de parler de "l'art" (?) des gens qui ne sont pas comme nous... Vous m'avez compris... Les sauvages, quoi !
    Quant au vague de la définition du mot "peuple", je crois que notre conception des choses est dominée par l'essor des nationalités depuis le XIXe siècle. Un peuple n'étant défini ni par sa langue, ni par son territoire, ni par sa "culture", je pense que vous avez raison de voir dans "le peuple" l'ensemble des gens qui se reconnaissent comme en faisant partie. C'était le sens de la fête de la Fédération du 14 juillet 1790. Mais cela définit un ensemble flou, car il faut non seulement qu'on se reconnaisse (dans quelle mesure ?) mais qu'on soit reconnu par les autres : il y a aujourd'hui beaucoup de gens qui sont injustement niés en tant que Français, juste sur leur faciès.
    Biais supplémentaire : le peuple est censé être souverain ; or la souveraineté ne se partage pas ; dès lors, peut-il y avoir par exemple un peuple corse ? Ou bien, doit-on penser que le sens de "peuple" se réfère désormais au complexe langue / territoire / culture ? Ces sujets ont fait couler beaucoup d'encre... et de sang.
    ...

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  2. (M. G.)
    ... Dans votre long et passionnant article, vous touchez aussi à une question qui me hante depuis longtemps : est-ce qu'il y a une seule voie d'évolution, pour les sociétés humaines ? C'est-à-dire (conclusion qui s'impose, je crois) est-ce que nous sommes condamnés en tant qu'espèce, à court terme ? Vu comment ont été peu dissuasives l'interdiction internationale des bombardements de civils et la condamnation morale de la cruauté et des massacres, je ne vois pas comment nous pourrions échapper à une guerre nucléaire. Toute arme efficace a toujours été employée tôt ou tard, à grande échelle. Il y aura forcément un jour ou l'autre un dirigeant et ses adversaires, qui se jugeront assez malins pour utiliser cette arme, en croyant maîtriser la situation. (Je ne pense pas spécialement à Poutine : c'est une idée ancienne chez moi).
    Peut-être serez-vous choqué par une conclusion qui vous paraîtra éloignée de vos réflexions. Mais elle ne l'est pas tellement. Il y a une sorte d'emballement spéculaire, de mécanique folle des États et des empires.
    Cette idée m'était venue jadis à la lecture des mémoires d'un conquistador : "le Capitaine" (Cortez) offre à Moctezuma une coupe en verre, et ce dernier admire d'abord ce matériau inconnu. Puis il demande si c'est un objet courant en Europe, ou si le verre est réservé aux princes ? Sur la réponse négative, Moctezuma se désintéresse brusquement de cette coupe, qu'il avait trouvée merveilleuse... Quel snobisme ! (me disais-je) Quelle triste conformité avec l'idéologie élitaire courante ! Quelle prévisibilité ! Et cela, aussi dans maints détails de la vie quotidienne et de la guerre : les Indiens pratiquaient exactement comme les Européens, en ce qui concerne par exemple les ambassades, les armistices, les échanges d'otages. Là-dessus, entre Indiens et Espagnols, pas besoin de discuter longtemps pour se faire comprendre. Comme si, presque dans les détails, il y avait une seule voie tracée : les sociétés inégalitaires, puis l'apparition des États dans les plaines fertiles (Mésopotamie, Égypte, Chine) ou plus difficilement et plus tard en Amérique dans les bassins d'altitude (Cuzco, Mexico), la naissance d'une bureaucratie, d'un culte officiel, d'une langue administrative et diplomatique et d'une écriture, puis la lutte entre cités-états et la constitution d'empires, avec tout ce que cela implique sur les plans militaire, idéologique, etc. Ce qui me paraît étonnant, ce ne sont pas les différences entre les empires d'Europe et ces empires américains, entre les civilisations ou entre les "cultures", mais leur profonde ressemblance.

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  3. (M. G., fin)
    ... Voilà des populations presque totalement coupées des autres depuis des milliers d'années, et pourtant, nous pouvons parfaitement traduire leurs langues ! Aucun de leurs concepts, de leurs structures grammaticales ne reste vraiment opaque à nos yeux. Un paysan européen du Moyen-âge est peut-être plus éloigné de notre mentalité moderne, plus exotique pour nous, plus incompréhensible, que les politiciens romains du temps d'Auguste ou les généraux de l'empire aztèque.
    Bien que je me méfie des comparaisons naturalisantes, cela fait penser à ce que les biologistes appellent "convergence" : des organismes phylogénétiquement différents, soumis aux mêmes conditions environnementales, se ressemblent. Si l'on a un État, on est bien "obligé" d'avoir aussi des armées, un système de contrainte (religieux, moral, policier), des impôts, des relations internationales et au moins l'embryon d'un système bancaire, etc. Ou plutôt, dans une causalité réciproque, chacun de ces éléments corrobore les autres. Un système s'instaure, dont chaque élément est essentiel à l'ensemble. Et les États et les empires, étant incomparablement plus puissants et agressifs que les autres formes de société, dominent peu à peu toute la Terre, entrent en concurrence car ils ne peuvent pas faire autrement, et nous entraînent tous inévitablement vers la catastrophe dont ils ont désormais les moyens techniques.
    Il y avait peut-être d'autres voies. C'est l'honneur de l'anthropologie, de nous le montrer. Mais dès lors que l’État (bras armé des classes dominantes, donc aujourd'hui du capitalisme soumis à la baisse du taux de profit, donc contraint au développement sans limite) a triomphé sur la Terre, je ne vois pas comment nous y échapperons. Point n'est besoin d'espérer pour entreprendre : la lutte sociale, la résistance politique des classes et des populations exploitées est nécessaire. D'ailleurs, comment pourraient-elles faire autrement ? Comment pourrait-on accepter l'écrasement, même s'il paraît inéluctable ? Mais les forces de l'oppression sont tellement gigantesques, que la perspective est très sombre.
    Voilà des remarques peu gaies, et dont je ne sais pas si elles vous seront utiles.
    Avec toute mon amitié.
    Marc Guillaumie.

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    1. Bonjour Marc,

      "Est-ce qu'il y a une seule voie d'évolution, pour les sociétés humaines ?"
      Il y a incontestablement une voie d’évolution qui a prévalu, celle des « hommes qui se sont trompés » comme disent les Indiens Tarahumaras qui vivent dans les montagnes du Chihuahua, au Mexique.

      Heureusement bien d’autres tentatives de structuration sociale ont eu lieu parfois florissante. Un livre récent coécrit par l’anthropologue David Graeber et l’archéologue David Wengrow, « Au commencement était… », en recense quelques-unes. Si vous ne l’avez pas encore lu, je me permets de vous le conseiller (brève recension sur mon propre blog : https://chabreuil.com/Aurore/archives/1093-Chamboule-tout.html).

      Il ne nous reste plus qu’à redresse la barre !

      Bien à vous,
      Fabien

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  4. Merci, Fabien, pour cette référence et pour l'adresse de votre blog. Je n'ai pas (encore) lu D Graeber et D Wengrow, mais je vais m'y mettre !
    Que d'autres types de structures sociales aient vu le jour, c'est certain. C'est l'objet d'étude, ou un des objets d'étude, non seulement de l'anthropologie, mais de l'histoire depuis longtemps.

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