À paraître : The Archaeological Challenge of Gender (Routledge)

Anne Augereau et moi-même avons le plaisir d’anoncer la parution le 8 octobre prochain du volume The Archaeological Challenge of Gender dans la collection Focus des éditions Routledge. Il s’agit d’une version anglophone et augmentée de Aux Origines du genre, publié au PUF en 2022. Les chapitres existants ont été repris, et six nouvelles contributions ont été ajoutées, dont on trouvera ci-dessous la liste en français, ainsi que les résumés. Et pour faire bonne mesure, la version francophone de ce volume augmenté sera à son tour publiée aux PUF dans les mois qui viennent.
Bruno Boulestin : « Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe (archéologique) sans jamais le demander »
La détermination du sexe à partir des os est une étape essentielle dans l’analyse des restes humains anciens, et sa fiabilité détermine la valeur des interprétations, notamment sociales, qui en découlent. Cependant, non seulement cette détermination n’est pas toujours possible, mais ses résultats sont toujours associés à un degré d’incertitude qui varie en fonction des méthodes utilisées. Parmi celles-ci, la plus robuste est la méthode paléogénomique, basée sur l’alignement de séquences sur les chromosomes sexuels (les approches antérieures basées sur la PCR, en revanche, comportaient des risques d’erreur importants). Les méthodes anthropologiques récemment développées fondées sur l’os coxal sont également très efficaces, mais leur portée se limite aux adultes et aux adolescents plus âgés. Les résultats obtenus à partir du crâne sont beaucoup moins fiables, et les approches basées sur d’autres os doivent être écartées. Enfin, le recul est insuffisant pour juger la pertinence des nouvelles méthodes protéomiques, et certains de leurs résultats apparaissent contestables. Dans tous les cas, il est essentiel de porter un regard critique lorsque la détermination du sexe est à l’origine d’une nouvelle interprétation.
Fabien Abraini : « Man the Hunter, cet homme de paille »
Le colloque et le livre Man the Hunter comptent sans doute parmi les œuvres les plus controversées de l’histoire de l’anthropologie. Largement rejeté pour son androcentrisme, Man the Hunter a régulièrement fait l’objet de nouvelles critiques négatives au cours des cinquante dernières années. Pourtant, rares sont celles qui portent réellement sur le contenu des débats ou du livre lui-même. Une image déformée de Man the Hunter, transformé en homme de paille, a occulté pendant des décennies la complexité de l’œuvre originale et bon nombre de ses aspects authentiquement progressistes. En réalité, celle-ci consacrait une place importante aux femmes et à leurs activités, la réciprocité économique entre hommes et femmes étant au cœur de l’hypothèse évolutionniste de Washburn et Lancaster. Cet article propose quelques pistes pour réexaminer cet ouvrage.
Ester Lopez-Montalvo et Nicolas Teyssandier : « Revisiter les sociétés du Paléolithique récent dans une perspective de genre. Limites et possibilités »
Ce chapitre examine de manière critique les défis méthodologiques liés à la reconstruction des rôles de genre au sein des sociétés de chasseurs-cueilleurs du Paléolithique supérieur. Il aborde la manière dont les préjugés androcentriques et l’application aveugle de modèles sociaux contemporains, tels que la division fixe du travail, ont historiquement façonné les interprétations qui présentent ces groupes comme dominés par les hommes. Il souligne la nécessité d’un cadre méthodologique rigoureux et réflexif permettant une étude plus équilibrée du genre, tout en reconnaissant les limites inhérentes aux données archéologiques dans ce domaine. En revisitant la culture matérielle, les représentations graphiques et les données issues de contextes funéraires spécifiques, il cherche à dépasser les hypothèses traditionnelles et à offrir une perspective plus nuancée sur les identités sociales et les dynamiques de genre dans les communautés préhistoriques. Cette approche préconise un examen attentif du potentiel et des limites des données archéologiques, en favorisant des interprétations qui évitent les biais présentistes et restent sensibles à la complexité et à la diversité des rôles de genre dans le passé.
Julien d’Huy et Jean-Loïc Le Quellec : « Ce que les mythes nous apprennent sur l’ancienneté de la domination masculine »
Ce chapitre examine le mythe largement répandu d’un matriarcat primitif, dans lequel les femmes sont décrites comme ayant autrefois détenu un pouvoir sacré ou politique avant d’être supplantées par les hommes. Plutôt que comme le reflet d’un ordre social historique, ces récits sont interprétés comme des constructions idéologiques qui projettent l’autorité féminine dans un passé mythique afin de légitimer la domination masculine dans le présent. À l’aide d’approches à la fois régionales et phylogénétiques, l’étude analyse des motifs récurrents dans les principales zones culturelles, révélant une structure mythologique cohérente qui remonte aux premières migrations de l’Homo sapiens hors d’Afrique. La diffusion mondiale et la cohérence structurelle de ces motifs soutiennent l’hypothèse d’un récit ancien et commun destiné à naturaliser les hiérarchies de genre dès le début de la dispersion humaine. Les résultats suggèrent que les normes patriarcales pourraient être apparues très tôt dans l’histoire culturelle de l’humanité.
Ester Banffy : « Sur la “Grande Déesse” néolithique dans l’Europe du Sud-est »
Cet article explore les origines et les interprétations des figurines en argile du Néolithique du sud-est de l’Europe, en se concentrant particulièrement sur les représentations féminines et les théories qui les entourent. Les preuves suggèrent que, bien que le mode de vie sédentaire et agricole originaire d’Anatolie, comportait des représentations symboliques des deux sexes, les figurines masculines ont disparu dans la région égéenne et les Balkans à la fin du 7e millénaire avant J.-C. Cependant, l’interprétation dominante des figurines féminines comme étant associées à une religion de la « Grande Déesse », souvent liée à la fertilité et au symbolisme agricole, semble trop simpliste. Le chapitre critique l’hypothèse historique du matriarcat, soulignant l’absence de preuves archéologiques raisonnables d’une société entièrement dominée par les femmes. Il examine la fluidité des rôles de genre et des pratiques culturelles, remettant en question l’idée que les figurines mettent intrinsèquement en évidence des systèmes religieux. En intégrant les données archéologiques aux résultats bioarchéologiques, l’article plaide en faveur d’une compréhension nuancée du genre dans les sociétés néolithiques, suggérant que la diversité des représentations renvoie à des croyances complexes plutôt qu’à une idéologie unique (matriarcale). En fin de compte, il soutient que les interprétations fondées sur les théories du début du XXe siècle devraient être réévaluées à la lumière des recherches récentes, en reconnaissant les rôles multiples du genre et les limites de la projection de concepts modernes sur les cultures anciennes.
Yan Sun : « S’épanouir dans l’ombre. Les femmes dans la Chine des Zhou occidentaux »
L’historiographie traditionnelle chinoise a longtemps dépeint la période des Zhou occidentaux (1045-771 avant notre ère) comme une société patriarcale structurée selon un cadre binaire de domination masculine et de subordination féminine, qui se manifestait tant dans la vie que dans la mort. Cependant, un examen attentif des vestiges archéologiques des dernières décennies, en particulier des restes funéraires et des bronzes, révèle d’importantes variations régionales et familiales dans la construction du genre et des relations entre les sexes. En tant qu’épouses, mères et filles, et grâce à leur propre initiative, les femmes pouvaient accumuler des richesses, affirmer leur statut et participer de manière significative aux structures du pouvoir. Ces découvertes remettent en question la hiérarchie masculine et soulignent la nature culturellement construite et dynamique de l’identité de genre dans la société chinoise ancienne.



Salut Christophe ! Je suis un maoïste du Québec et on établit notre stratégie syndicale ici. Évidemment, nous passons que le caractère productif et stratégique de certains travaux les rendent prioritaires. Nous tombons d'accord généralement sur tes analyses du travail productif et improductif. Mais j'ai deux questions, la première plus importante pour l'organisation des communistes en milieu de travail, la seconde moins. 1. Tu as effleuré dans cet ouvrage les travaux féministes marxistes sur le rôle de reproduction de la force de travail du travail gratuit des femmes. Je trouve que tu as bien fait cela, en laissant de côté des questions plus précises qui ne changeaient pas la véracité de tes thèses. Mais l'avis que tu sembles donner sans t'y attarder, sur ce féminisme marxiste, me questionne : tu ne sembles connaître (si on se fit à celles que tu cites dans tous tes travaux) que les autrices plus critiques de Marx et surtout celles que je dirais de la première génération des féministes marxistes : Dalla Costa, Federici surtout. Nous sommes d'accord avec toi pour leur reconnaître des faiblesses, et de plus en plus chez Federici ; particulièrement en termes de stratégie mais en termes de théorie. Nous sommes en fait beaucoup plus convaincus par le grand travail, plus orthodoxe et plus mature (il vient plus tard que la première génération), de Lise Vogel, Le marxisme et l'oppression des femmes : vers une théorie unitaire. Et je me demandais si tu l'avais lu. Parce que la question de l'organisation des femmes, notamment dans l'éducation et les soins nous semblent, selon la théorie de Vogel et des théories maoïstes, cruciale. Je te le conseille si tu ne l'as pas lu, parce qu'il est intransigeant scientifiquement, rigoureux, et surtout qu'il t'épargnera bien des lectures parce qu'il fait l'historique des théories utilisant le marxisme pour comprendre l'oppression des femmes. Il y a une belle édition récente de ce livre aux Éd sociales, avec beaucoup d'annexes qui parlent de la situation plus contemporaine. 2. Sur la question du caractère productif du travail, je ne t'ai jamais vu citer (j'ai pu manquer) les travaux de la revue Temps Libre. En particulier, son deuxième numéro disponible pour télécharger ici https://pouruntempslibre.org/temps-libre-ii/ a été le fruit d'un bon débat avec des auteurs contemporains (voir les réponses de TL dans la section « Hors-revues ») de leur site. Ils en arrivent, je crois, à des conclusions semblables aux tiennes sur les catégories de productif, improductif. Leur travail est rigoureux. Nous sommes notamment en désaccord avec eux sur leur compréhension du travail des femmes. Je me demande ce que tu penses de leur compréhension de ces deux questions. Ils sortiront en septembre un troisième volume qui fait une analyse de classe du Québec d'aujourd'hui, quelque chose de tellement rafraichissant dans les sciences sociales actuelles. Le même genre de travail est à faire dans chaque pays, dont en France, et tu me sembles la personne toute trouvée pour cette tâche ! Je me demande si retourner à l'économie contemporaine est un projet pour toi.
RépondreSupprimerMerci pour tous tes travaux camarade.
Bonjour
SupprimerMerci de ce commentaire... même s'il n'a qu'un rapport assez lointain avec le livre dont il est question dans ce billet. ;-)
Pour répondre en quelques mots, j'ai surtout creusé les aspects anthropologiques de la domination masculine, et je ne suis pas un spécialiste des questions théoriques et économiques liées au travail féminin moderne. Sur Federici, je me suis contenté de Caliban... : j'en ai critiqué les analyses historiques et le positionnement général, mais je n'ai aucune connaissance, ni aucune opinion, de ses idées sur les questions contemporaines. Lise Vogel, je l'ai parcouru en anglais (il n'était alors pas disponible en français). Je m'étais concentré sur la première partie, celle où elle analyse les prises de positions traditionnelles du marxisme (j'en avais notamment retenu l'idée intrigante qu'Engels aurait écrit L'Origine... pour contrer Bebel, mais je n'ai jamais trouvé d'argument à l'appui de cette affirmation, y compris auprès d'un ami qui connaît très bien le texte de Bebel). Et ayant entre-temps migré vers d'autres thèmes, je n'ai pas repiqué à l'affaire quand elle a été traduite en français.
En ce qui concerne Temps Libre et le travail productif, c'est bien simple, je n'avais aucune idée de leur existence. J'irai regarder, à condition que je trouve du... temps libre (oui, je sais, c'était trop facile, le coup est parti tout seul).
Amitiés