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Propos (très) provisoires sur la guerre

Comme le savent ceux qui suivent ce blog, depuis quelques mois, je creuse le thème de la guerre primitive, en défrichant une partie de l'immense littérature qui se rapporte à ce sujet. Et comme il y a un moment où on ne peut profiter de ses lectures qu'en fonction des questions qu'on se pose, il faut arriver à formuler correctement, si j'ose dire, les questions en question.

J'ai donc échafaudé les grandes lignes d'une classification de la violence collective qui permette d'intégrer non seulement le feud et la guerre, mais aussi, notamment, la chasse aux têtes. Une fois mes idées un peu clarifiées, je suis allé lire ce qu'Alain Testart avait écrit sur le sujet, ce que je m'étais interdit de faire avant de procéder à cette réflexion. Il avait traité ce thème dans ce qui devait constituer le tome 3 de ses Principes de sociologie générale – rappelons que ce texte, jadis disponible en ligne sur son site, en a été retiré à sa mort ; il devrait paraître à l'automne, chez CNRS Éditions. J'ajoute que cette partie, signalée non rédigée, contient des propositions assez générales, et qu'elle n'entre pas dans les détails : il s'agit au moins autant d'un programme de recherche que d'une étude achevée.

Toujours est-il que je dois l'avouer tout de go : je me suis aperçu que mon esquisse de classification, en tout cas pour ses critères principaux, rejoignait parfaitement la sienne. Je ne vois à cela que deux explications : soit je me souvenais de son travail (sans me souvenir que je m'en souvenais), soit il y a quelque chose de pertinent dans cette approche, et les esprits (grands ou pas) se rencontrent – il va de soi que j'écarte l'éventualité que nous ayons tous deux convergé sur une mauvaise piste. Donc, même si dans les détails, il y a encore bien des problèmes à régler (et probablement, à découvrir), je me dis que ce premier pas semble plutôt encourageant.

L'idée fondamentale de cette classification est d'utiliser deux critères croisés, qui se rapportent tous les deux aux buts des opérations.

Le premier concerne la nature de ces buts : que recherche-t-on par l'affrontement ? S'agit-il de se venger ? De s'approprier quelque chose chez l'ennemi ? Mais quoi, et pour quel usage ? Evidemment, la réalité est toujours complexe, et le maniement d'un tel critère peut s'avérer problématique : on pense bien sûr aux buts non avoués, autrement dit aux buts qui sont de simples prétextes (venger une gifle ou l'assassinat d'un archiduc). Mais je ne crois pas que ce soit le problème principal. De manière beaucoup plus fréquente, se pose la question des buts présents, mais rares dans une société donnée, voire de la distinction entre le but principal et un sous-produit secondaire – typiquement, dans les sociétés sans richesse, la capture de jeunes femmes ou la conquête territoriale. Une autre question, sur laquelle je ne m'étendrai pas ici, est celle des guerres que Testart appelle « politique », et dont il fait une catégorie à part entière. Il s'agit de guerres qui visent de manière ultime l'appropriation, mais où celle-ci ne s'effectue pas de manière directe : il faut auparavant défaire le pouvoir adverse (ou établir le sien). Je n'y ai pas assez réfléchi, mais en première intention, il me semble que si cette catégorie devait être reconnue, elle devrait constituer un sous-ensemble des guerres d'appropriation.

Le second critère est celui de l'étendue, ou de la portée, des buts du conflit. Pour en saisir l'intérêt, il suffit de se souvenir de la difficile question de la différenciation entre feud et guerre, dont j'ai déjà longuement discuté dans mes travaux et sur ce blog. Le feud, tout comme la guerre, met aux prises deux collectivités, et a pour objectif l'homicide. La démarcation entre les deux phénomènes ne tient pas à la nature « politique » des communautés - un problème sur lequel j'ai déjà beaucoup écrit – ni, comme le pensait Testart, de leur taille : une même communauté peut se livrer au feud ou à la guerre selon les circonstances. A la suite de Bruno Boulestin, je considère que la meilleure définition d'une opération de feud est de limiter les homicides à l'équilibrage (ou à la compensation) des pertes précédentes. En quelque sorte, un feud est donc une guerre où l'on se limite à combler un différentiel de victimes avec l'adversaire - réciproquement, une guerre vindicatoire est un feud dépourvue de l'idée d'équilibre, et où l'on cherche à tuer sans limites.

Cette différence entre « engagements à finalité limitée » (pour reprendre la désignation proposée par A.Testart) et opérations sans limites se retrouve aussi dans la chasse aux têtes. A priori, dans une telle expédition, on ne vise qu'un bénéfice ponctuel : l'idée est de récupérer une ou plusieurs têtes issues d'une maison, ou tout au plus d'un village. Et un tel objectif se différencie assez nettement de celui qui consisterait à quérir un nombre illimité de têtes - et dans un cas limite, à exterminer ceux chez qui on les prélève. Pour le dire de manière un peu provocatrice, un tel objectif serait même contradictoire avec l'idée qui est au fondement de la chasse aux têtes (en tout cas, la plupart du temps) : les têtes sont considérée comme une ressource nécessaire pour assurer la bonne reproduction de la société qui se les procure – qu'il s'agisse de reconstituer le stock d'âmes, de donner des noms aux adolescents, etc. Exterminer ceux chez qui on les prélève serait tarir une source d'approvisionnement considérée comme vitale. Tout comme avec le couple feud / guerre, on perçoit donc que l'appropriation (ici, des têtes) peut s'effectuer dans deux cadres assez nettement différents, l'un étant limité a priori, l'autre non.

Quelques remarques supplémentaires :

  1. La « chasse aux têtes » est un terme consacré, mais sur le plan analytique, c'est une catégorie discutable. Même si on la restreint à la seule « chasse » proprement dite, c'est-à-dire au cas où l'acquisition de la tête constitue bel et bien l'objectif en soi de l'opération, il n'y a aucune raison de la considérer séparément des autres occasions où l'on se procure des corps humains, entiers ou partiels, morts ou vivants, parce qu'on les considère comme une ressource à titre magico-religieux. Ainsi, la chasse aux têtes des Jivaros relève sans nul doute de la même catégorie que la chasse aux dents des Yagua de l'ouest amazonien. On peut aussi se demander si elle n'est pas finalement très proche de la quête des Aztèques, des Iroquois, voire des Pawnee (à vérifier) pour des victimes sacrificielles. De même, il faut se demander s'il n'existe pas des cas d'exo-cannibalisme qui correspondraient à cette même logique.
  2. De même qu'il n'existe pas de frontière nette entre feud et guerre, et que le premier peut évoluer en la seconde via des formes intermédiaires, il existe également des formes intermédiaires (et indécidables) entre les diverses autres catégories d'engagements à finalité limitée et non limitées. Cela relativise, mais n'invalide absolument pas, la pertinence de cette distinction.
  3. Une autre manière d'appréhender la distinction entre les engagements à finalité et les autres consiste à les confronter à la définition de la guerre donnée par Bruno Boulestin :
    état conflictuel entre deux ensembles distincts de personnes (groupes) qui se perçoivent globalement et réciproquement comme ennemis et entretiennent un rapport social d’hostilité, chaque groupe tentant d’établir sa supériorité sur l’autre par le moyen de la lutte armée.
    Cette définition paraît tout à fait de nature à écarter les engagements à finalité limitée. Le point crucial est la volonté d'établir sa supériorité. C'est cet élément qui est absent dans les opérations qui relèvent tant du feud que de la chasse aux têtes standard. En d'autres termes, ce sont des combats qu'on ne mène pas pour vaincre l'ennemi, ni même en soi pour l'affaiblir, mais seulement pour effectuer un prélèvement. Ils n'ont pas comme objectif de modifier significativement et durablement le rapport de forces – même s'il peut arriver qu'un feud, par exemple, finisse par tant affaiblir l'un des protagonistes qu'il soit dans l'incapacité de le poursuivre, telle n'est pas l'intention recherchée.
  4. une classification complète parviendrait à intégrer non seulement le feud et la guerre vindicatoire, mais également les autres formes collectives de règlements armés des différends judiciaires, à commencer par la bataille régulée. Ademettons pour le moment qu'on puisse considérer de telles formes comme des variantes d'engagements à finalité limitée – si dans le feud, la limite porte sur le nombre de cibles, dans la bataille régulée, elle concerne la violence que l'on peut déployer sur un nombre quelconque de cibles

Esquisse (toute provisoire) de classification

NB : Cette classification évacue pour le moment la possible catégorie de guerre « politique », dont je ne sais pas très bien comment la traiter.
Nature de l'objectifEngagement à finalité
limitéenon limitée
Vengeance
Appropriation
  1. Humains
    1. Ressource réelle
      1. Adoption / intégration
        • Accroissement capacités reproduction (F)
        • Accroissement capacités politico-militaires (H)
      2. Dépendance / exploitation
        • Pour revente (moyen d'acquérir des biens)
        • Pour force de travail pérenne
    2. Ressource imaginaire
      1. Appropriée
      2. Offerte à une entité tierce (sacrifice)
  2. Non humains
    1. Immeubles : territoire
    2. Meubles : objets, bétail

Reste ensuite à remplir le tableau – ce que le format de ce blog m'empêche de faire sans le rendre illisible. On pourra notamment y faire figurer les formes déjà citées de conflits judiciaires (feud, batailles régulées), ou les formes canoniques de la chasse aux têtes. Mais naturellement, les questions – et les ennuis – ne font que commencer.

15 commentaires:

  1. Bonjour Christophe

    A propos de la chasse aux têtes. J'ai l'impression que tu as tout à fait raison de ne pas les séparer arbitrairement des prélèvements d'autre parties du corps. Mais je me dit en même temps qu'il n'y a pas de raison non plus de distinguer le prélèvement de parties de corps humains du prélèvement d'autres objets/biens. Ce qui semble les distinguer a priori c'est qu'un bien a une valeur marchande qu'une partie de corps humain n'a pas. Mais j'ai souvenir que les Gaulois chassaient des têtes à la guerre et les payaient des fortunes. On peut aussi imaginer un sorcier quelconque vendre ses décoctions à base de foie humain à des gens prêt à payer très chair ;-) C'est ce que certains féticheurs font en Côte d'Ivoire avec des corps d'enfants ou autres (notamment ceux des albinos, très prisés pour leur pouvoirs).

    D'un autre côté il y a des objets qui ne possèdent aucune valeur marchande et constituent parfois des des prises de guerres et même des buts de guerre premiers. Chez les guéré, on partaient à la guerre pour capturer des masques. On ne peut pourtant pas l'échanger contre quoi que ce soit. Son seul intérêt, c'est d'être porté par l'homme qui l'a capturer pour servir de trophée. Il reconnaîtra à l'aspect du masque (sa couleur, les éléments de sa composition : dents de panthère, anneaux de bronze) son grade et sa classe et pourra en assumer les prérogatives (en plus de passer pour un grand guerrier).

    Je n'ai pas encore d'idée arrêter là-dessus. Mais il me semble qu'on aurait sans doute meilleur compte en distinguant dans les prises de guerre tous ce qui ressemble à des trophées entre ceux qui est une richesse et ce qui n'en est pas une. Par exemple c'est tout à fait différend de ramener une tête pour la vendre contre son poids en or, ou de la capturer pour montrer qu'on est le plus fort et qu'on est super habile pour décoller une partie du corps humain d'une autre.

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  2. Hello,

    Tout cela me paraît bien prometteur. Quelques remarques à chaud, pour essayer de faire tourner les neurones.

    1) Croiser motivations et étendue semble une bonne idée de départ, avec la réserve que l’étendue est en partie au moins fonction de la motivation. Mais de toute façon, ça se verra dans le tableau.

    2) Je crois effectivement que l’essence même de la différence entre finalité limitée et non limitée, c’est la volonté de dominer (établir sa supériorité) ou non. Que les deux critères coïncident n’a en fait rien d’étonnant. Après, du point de vue de la formulation du critère, sans vouloir prêcher pour ma paroisse, je pense que l’opposition entre volontés d’établir sa supériorité ou non est plus précise que celle entre finalités limitée ou non : une guerre dont le but est de prendre un territoire a une finalité limitée (on envahit telle partie et on s’arrête). La notion de limite est à géométrie variable.

    3) Pour la nature de l’objectif, vengeance OK, mais appropriation me paraît une catégorie un peu trop fourre-tout pour être opérante, même avec des subdivisions. Et ce qui me gêne encore plus, c’est qu’elle classe à un même niveau supérieur des choses qui rentrent dans la richesse (et donc qui ne doivent, en théorie, pas exister dans le monde I) et d’autres qui n’en sont pas. Je crois vraiment qu’il faut faire péter cette classe.

    4) Tu as raison, il faudrait mieux cerner ce que l’on rentre dans les motivations politiques. Mais, cf. point précédent, je ne pense pas qu’on puisse les ramener à une appropriation. Prenons un exemple brûlant, la guerre en Ukraine : elle n’est sûrement pas économique, tous les observateurs s’accordent sur ce point, et de fait elle est classée comme politique. Mais le but de Poutine n’est pas de s’approprier l’Ukraine : là, l’appropriation n’est que très secondaire. Le but principal, c’est de l’empêcher de s’éloigner de la Russie et de se rapprocher des Occidentaux, parce que c’est une pièce maîtresse de l’influence de la Russie en Europe.
    Ça soulève en passant la question des guerres dites de religion. Sans que l’on puisse dire d’elles qu’elles sont politiques, il y a tout de même une même idée derrière, celle d’imposer sa vision des choses, de mettre sous sa coupe, son influence. Il faudrait peut-être réfléchir à classer tout ça dans une même supercatégorie à définir (« guerre d’influence » ? Pas terrible, mais je n’ai pas mieux sur l’instant).

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  3. 5) Pour la chasse aux têtes, je suis aussi d’accord que, malgré des spécificités à éclaircir, on peut la regrouper avec ce qui concerne les autres parties du corps, voire les corps entiers. D’ailleurs, je la classe pour ma part avec la guerre fleurie des Aztèques dans la motivation que j’ai appelée dans le papier de Paléo « se procurer des principes ou des substances nécessaires à l’identité des agents sociaux ou à la continuation du monde ». Il y a effectivement sans doute d’autres choses à rentrer là-dedans.
    À propos du commentaire de Tanguy, d’abord Jean-Louis Voisin avait écrit il y a bien longtemps un papier intitulé « Les Romains, chasseurs de têtes », et il s’était fait tomber sur le paletot : les Romains récupéraient les têtes pour se faire payer et faisaient des trophées, mais ils ne chassaient pas les têtes. Il faut vraiment distinguer les différents niveaux, ce qu’avait très bien fait Testart dans son papier sur la question. Comme le rappelle Christophe, la chasse aux têtes, c’est si (et seulement si) « l’acquisition de la tête constitue bel et bien l’objectif en soi de l’opération ». Ce n’était le cas ni chez les Gaulois ni chez les Romains (et chez les Gaulois, au grand jamais on aurait vendu ou acheté une tête, dixit les auteurs antiques).
    Pour les Guéré, je ne connais pas du tout, mais ça mériterait d’être creusé : si vraiment prendre des masques, dont tu dis qu’ils constituaient par ailleurs des trophées, était un but premier de la guerre, c’est a priori une bizarrerie…

    6) Finalement, dans les motivations ça ferait « économique » (prendre des richesses), « d’influence » (politique + ?), « se procurer des principes ou des substances » (je ne vois pas comment résumer ça en un mot) et « vengeance ». Est-ce qu’on peut tout rentrer là-dedans, où est-ce qu’il manque quelque chose, c’est à voir.

    To be continued...

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  4. Bonjour Bruno,

    Pour l'antiquité, je n'en suis absolument pas spécialiste. Mais la remarque de principe n'en dépend pas tant que ça. Pourquoi distinguer les buts de guerre (ou même ses sous produits) suivant qu'ils sont des parties de corps humain ou d'autres choses ? Je ne vois aucune raison a priori de les distinguer. Peut-être qu'il existe dans les faits une tendance très claire dans les données qui montre qu'on chasse des parties de corps humains pour des raisons religieuses/idéologiques ; tandis que l'on recherche généralement des biens pour des raisons économiques. C'est à voir, mais je n'ai pas l'impression que ce soit une règle absolue.

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    1. Hello Tangui,

      Non, ce n'est pas la distinction que je fais, et il y a un contre-exemple évident : quand on fait un raid esclavagiste, le but spécifique est bien de récupérer de l'humain et c'est clairement économique. Donc l'opposition partie de corps ou corps = raisons religieuses/idéologique et biens = raisons économiques ne peut pas fonctionner. L'opposition, elle est entre biens (richesse, pour simplifier, si tant est que ça simplifie quoi que ce soit) et ce qui n'en est pas. Ainsi, un humain peut être motif de conflit pour des raisons économiques en tant qu'il est une richesse si c'est pour de l'esclavage, comme un motif de conflit pour raisons idéologiques chez les Aztèques (on chasse l'homme pour le sacrifier, parce que c'est indispensable si on veut que le soleil se lève le lendemain matin).

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    2. Pour une tête, c'est pareil : elle peut avoir une fonction économique si elle sert à se faire payer (comme pour l'esclave, on peut en tirer profit), une fonction démonstrative (preuve qu'on a tué) ou une fonction commémorative de victoire (trophée). Mais dans ces trois cas, ce sont des fonctions secondaires : aucune n'est la motivation du conflit. C'est totalement différent dans le cas de la chasse aux têtes, ou, plus largement, de la récupération des principes/substances, où là l'acquisition des éléments humains est l'objectif premier. Là encore, on ne peut pas faire de distinction sur la base humain/non humain.

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    3. C'est bien ça. J'avais mal compris alors. Pour les Guéré et les masques. ça ne semble pas être un but premier des guerres, mais un trophée extrêmement prestigieux. Si un village est déserté lors d'une attaque, les masque sont pillés (c'est effectivement un sous-produit), si des masques guerriers s'affrontent, le gagnant tue le porteur adverse et saisit également son masque comme trophée. Mais ce qui en ressort, c'est que c'est un sous-produit tellement prisé et tellement systématique des guerres qu'il en devient presque un but premier.

      Mais ça rejoint le débat qu'on avait sur les casus belli. On fait ouvertement la guerre (chez les Guéré) pour les droits sur les femmes et les vengeances (meurtres véritable ou présumé par sorcellerie). C'est en possédant un tel motif qu'on peut partir à la guerre et fédérer ses parents dans ce but. Mais certains participants ne se privent pas non plus de saisir des captifs pour en faire des domestiques/esclaves(?) ou de piller des objets religieux. Pour leurs motifs à eux (donc des motifs qui peuvent éventuellement amener un conflits vers une véritable guerre - par exemple un ensemble de griefs possédés par diverses personnes qui finissent par se réunir sous un autre motif et donner lieu à une guerre) il n'est pas seulement question de but de guerre mais de cause de guerre. Quand on parle de but depuis le début du débat, on parle des buts explicites. Mais il peut y avoir des causes de la guerre qui ne sont pas nécessairement les mêmes que les buts officiels.

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    4. La distinction que tu fais entre but et cause est intéressante et il faudrait y réfléchir. Est-ce que finalement la cause ne serait pas un meilleur critère que le but ? Mais il y a tout de même le problème, réel malgré ce qu'écrit Christophe, de la distinction entre la motivation alléguée (prétexte) et le but réel, non avoué.
      De ce point de vue, ce que tu dis sur les Guéré rappelle ce que l'on trouve régulièrement en Amérique du Nord, surtout dans les Plaines : les jeunes guerriers fougueux cherchent à se faire un nom et à gagner des honneurs, et ça devient quasiment le but premier des raids, même si ensuite ça passe par des prétextes (voler des chevaux en particulier). Du coup, c'est comme ce que tu racontes : on est certes dans le but économique au moins en partie, mais au fond du fond, la cause peut-être encore plus première c'est l'honneur guerrier (tiens, on le rentre où, celui là ?).

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    5. Je précise que ces coutumes sont encore en partie vivantes chez les Guéré. Pas plus tard que le mois dernier il y a eut un meurtre atroce dans un village voisin de celui où je réside. Une femme a été décapitée et plusieurs parties de son corps découpées et emportés (sexe, seins et tête). On ne sait toujours pas pour quelle raison (peut-être un conflit foncier). Mais les habitants du canton ont immédiatement présumé des pratiques de sorcellerie. Il s'en est suivit une expédition punitive. Les parents de la femme, d'un autre village (C'est une société patrilocale) sont venu brûler 7 maisons, semble-t-il sans faire de distinction. Il n'y a pas eut de mort simplement parce que les gens avaient fuit. En retournant sur les lieux, un des fuyards s'inquiétait "Ils n'ont pas touché à ma valise ?" c'est-à-dire sa valise contenant ses affaires du culte (masque et costume). Cela dit je n'ai pas eut de confirmation sur le fait qu'ils ont ou non chipé sa valoche.

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  5. (Marc Guillaumie).
    Juste une remarque, et après cela j'arrête, car je ne suis pas du tout spécialiste.
    Ne pourrait-on pas distinguer l'objectif (déclaré) de la finalité implicite (ou raisonnablement supposée par l'observateur, car mesurable dans d'autres discours), et des conséquences réelles qui, elles, sont tout à fait autre chose ?
    Exemples : On prétend venger un archiduc (A), mais on veut surtout faire reculer une coalition ennemie (B), et on déclenche une guerre qui est un effroyable désastre pour tout le monde (C).
    Ou la Saint Barthélémy : On prétend sauver l’Église et venger le Christ insulté, ou même sauver l'âme des mécréants en les zigouillant (A) ; mais on veut surtout affirmer la puissance politique de la Ligue (et accessoirement piller et satisfaire des pulsions sadiques) (B) ; on commet un effroyable massacre et on engage le Roi dans une voie politique qu'il n'avait peut-être pas souhaitée (C).
    C, ce sont des faits.
    A et B, ce sont des discours.
    Il y aurait lieu peut-être de distinguer le discours de la propagande (A) du discours de la "real-politik" (B) qui lui-même est rarement univoque : il y a des finalités chez les dirigeants, rarement une seule finalité. C'est-à-dire de distinguer différents acteurs dans le même camp. Ou différents niveaux dans le déclaratif, différentes aires de diffusion de ces discours. Il me semble que les finalités ne sont presque jamais 1) claires et 2) unanimes.
    Je ne suis pas spécialiste, et c'est peut-être à tort que je suppose ceci : quand on se livre à la "chasse aux têtes" ou à une razzia d'esclaves, etc., on commence par se persuader que les victimes méritent ce qui leur arrive. Qu'elles sont viles, répugnantes, pas vraiment humaines donc pas vraiment victimes. Ou qu'elles nous menacent, qu'elles nous ont fait du tort. Ou que leur existence même est une insulte à l'ordre sacré du cosmos, etc.
    Il me semble qu'il est difficile de démêler ce qui est d'ordre politique, des motifs religieux ou de vengeance, ou de simple rapine, dans le cas de la St-Barthélémy. C'était (heureusement !) un cas exceptionnel, et j'extrapole peut-être abusivement, en utilisant cet exemple.
    Mais idem pour les conquistadores : avidité, amour de l'or dont ils ne faisaient pas mystère ; horreur sincère devant les sacrifices humains ; goût de l'aventure et de la rébellion qui est sensible dans leur discours, mais pas conscient à mon avis. Le résultat, c'est que l'Espagne s'approprie d'immenses territoires. Mais ce n'était pas voulu, à l'origine : Cortez par exemple agit malgré les ordres.
    De même, César conquiert le Gaule presque contre la volonté du Sénat. Donc, même au sein des classes dirigeantes, il y a des "finalités" différentes. Et on doit peut-être distinguer finalité à court terme chez César (conquérir la Gaule) du long terme : s'assurer fortune et prestige, pour agir à Rome.
    Voilà. Encore une fois, je ne suis pas spécialiste de ces questions passionnantes. Je souhaite à Christophe Darmangeat et à tous une bonne poursuite de ce débat, que je continuerai à lire avec intérêt.
    M. G.



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    1. Bonjour,

      J'avais fait une remarque similaire à Christophe à propos des casus belli avec un exemple pas si différent du votre : les croisades, libérer le tombeau du christ et pourquoi pas au passage fonder un royaume et piller d'immenses richesses. Evidement le second motif parait beaucoup plus réaliste que le premier. ça rassure de voir que ça ne titille pas que moi. Même si je ne suis pas non plus spécialiste des questions relatives à la guerre, ça semble indispensable que cette question soit mise sur la table d'opération (à un moment ou à un autre...).

      En prime, j'ai l'impression que c'est à l'origine de pas mal de confusions dans la compréhension du problème de la classification des types de guerres - il est question de ça ici. Puisqu'on se concentre sur les buts de guerre, il faudrait ouvrir le dossier "moyens de la guerre" pour y caser les motifs de guerre secondaires qui permettent éventuellement de lever des armées : promettre un butin aux guerriers vainqueurs, les forcer dans la conscription, leur donner un salaire, leur promettre la gloire, etc.

      Peut-être que les buts de guerre ne diffèrent entre les "propriétaires de la querelle" - pour reprendre une expression d'un billet passé - et le reste des participants que dans les sociétés de classe, ou peut-être pas.

      Bref, désolé à Christophe de lui compliquer la tâche avec des questions et pas de réponse.

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    2. Oui, tout ça rejoint les questionnements dans les commentaires au-dessus, et surtout révèle un vrai problème que pose le(s) critère(s) but/motivation/causes. Hiérarchiser (cause primaire, secondaire, etc.) est possiblement une solution, mais en pratique sûrement pas si évidente que ça à faire. On sent tout de même qu'il y a sans doute bien un critère pertinent à sortir de tout ça, mais sous quelle forme ?

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    3. J’ai bien du mal à saisir toutes les implications de ce texte, aussi je vais en rester à un niveau très élémentaire.
      D’une part, à propos des trophées : pour BB, un trophée a pour fonction de commémorer une victoire. C’est évidemment son sens élémentaire mais il ne l’épuise pas. Prenons un groupe A qui attaque un autre groupe B, prend une tête, s’en retourne et pique la tête prise à l’entrée de son village. S’agit-il d’un trophée au sens plus haut ? Probablement pas : il s’agit d’effrayer tout groupe de B qui contre-attaquerait. Les amas de têtes coupées dressées par Tamerlan avaient pour but premier d’effrayer les adversaires.
      Les têtes coupées ne sont pas toujours conservées : une fois leur rôle tenu, elles sont parfois jetées sans regret.
      D’autre part, pour une différence entre guerre/feud et coupe de tête : n’importe quelle tête fait l’affaire lorsqu’on chasse les têtes : guerriers, femmes, vieillards, enfants, etc. Les Indiens des Plaines avaient toute une hiérarchie sur la façon de combattre (le summum étant de toucher l’adversaire avec une canne puis de pouvoir partir sans être tué) ; je ne pense pas qu’il y ait quoi que ce soit de semblable dans la chasse aux têtes. En revanche un feud de revanche pour un meurtre cherche à faire payer, à tuer, le meurtrier ou, si ce n’est pas possible, un substitut, un avatar. Le but n’est pas le même dans les deux cas, même si le résultat l’est.
      L’idée des trophées monnayable chez les Guéré me trouble. Qu’on acquière une grande renommée (et plus parfois, une fonction) parce qu’on est un chasseur de tête, d’accord mais qu’on en acquière parce qu’on exhibe un trophée acheté m’étonne ; c’est un trait d’un monde marchand développé
      Enfin, et pour finir, l’idée que « tu as tout à fait raison de ne pas les séparer arbitrairement des prélèvements d'autre parties du corps. » comme le dit Tangui ne me semble pas juste. Je dirais même le contraire : les autres parties du corps ne sont que des substituts de la tête. La tête a ceci de particulier que le crâne se conserve bien (contrairement au pied ou à la main ou, surtout, aux organes internes comme le cœur) et est donc susceptible de représentations et de cérémonies. Si on coupe souvent une main au lieu de la tête, c’est que couper une tête est affaire d’expert et demande un minimum de temps.

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    4. Bonjour Maurice,

      Pour le point sur les Guéré tu m'as mal compris.

      Les masques ne sont précisément pas monnayable. Leur acquisition par la guerre peut être source de renommé et de pouvoir pour au moins deux raisons :
      1° D'une part les masques sont souvent pris au combat. Les porteurs de masques sont les "généraux" de l'armé, ils constituent également les premières lignes lors des affrontements. Donc quand tu capture un ennemi, tu lui prend son masque et avant de le tuer ou de le laisser partir tu lui demande le nom du masque. Pour la qualité du masque il est aussi possible que tu l'apprenne à ce moment, sinon ils ont tout un tas d'attributs esthétiques qui traduisent leur importance. Soit leur classe (Glaklaé "grands masques" ; Glazinhé "petits masques" ; masque policier, danseur, mendiant, etc.) soit leur grade/âge (si le masque est blanc c'est qu'il est ancien et il a d'autant plus d'autorité). Le guerrier qui le capture le conserve pour lui ou le cède à un de ses parents (son fils par exemple) qui va le porter et éventuellement a acquérir le pouvoir. Cela dit il n'est pas certain que cela puisse se faire aussi mécaniquement car on constate encore aujourd'hui que des masques qui sont parti à l'étranger, et ont reçu là-bas une monté en grade, sont dégradé à leur arrivé par leurs compères qui ne l'estiment pas légitime. Il est possible que ce genre de limite s'appliquait également aux masques rapportés des guerres. Cela étant, si on peut dégrader un masque il est impossible de le faire changer de classe. Donc dans tous les cas l'essentiel de son pouvoir est conservé.
      2° Deuxièmement, si la guerre dont le masque a été rapporté est d'une grande importance, le masque et par contrecoup son possesseur en tireront d'autant plus de renommé. Le masque le plus ancien ou ayant participé aux plus grandes guerres ou au plus grand nombre de guerre - ou de façon générale, ayant acquis la plus grande renommé dans les guerres - sera considéré comme le masque en chef. ça lui donne notamment le pouvoir de nommer les Bazo (prêtres du culte) qui assumeront les plus hautes responsabilités. En gros le plus grand masque nomme le pape qui lui même a le plus grand pouvoir pour juger des litiges.

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  6. Bonjour, je ne suis pas spécialiste de la question mais il y a toujours la tentation de tout culturaliser et je me laisse aller sur cette pente savonneuse, mais juste pour tester : 1) j'ai lu des comptes rendus de l'archéologie sibérienne (je ne sais plus où exactement, une revue probablement) et il est relevé à partir de squelettes trouvés dans des tumulus une très forte violence (ce qui semble avoir étonné les archéologues russes) ; en effet, tous les squelettes portent des traces de mort violente, ou de violence, plus ou moins. 2) J'ai des connaissances générales sur l'Amérique pré-colombienne et la guerre est un fait colossal (c'est toujours le cas). 3) Le passage par le Béring du point 1 au point 2 est la question ici. 4) Si on considère une unité mongole-sibérienne (?), il reste aussi les invasions du moyen âge (et l'origine de la Turquie), à comparer avec les Vikings et autres Varègues, et donc le problème de la culture slave (et de l'anthropologie de celle-ci au 19ième siècle, la culture des moujiks, qui est un autre problème). 5) Les relations entre les Hans et les Mongols... (toujours dans l'actualité avec les Ouïgours) ; je laisse un mail : jpjoffrin@hotmail.fr

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