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Insaisissable richesse ?

EDIT du 29/03 : suite aux commentaires de BB ci-dessous, je suis bien obligé de reconnaître que je me suis enthousiasmé un peu vite et que, comme je le redoutais, ma solution ne résout en fait pas grand-chose. En l'état, si elle donne une formulation plus rigoureuse du problème, elle ne parvient pas vraiment à intégrer ces très pénibles Inuits de l'Alaska, dont je n'arrive toujours pas à caractériser la richesse ! Donc soit il est possible d'aménager mes propositions pour qu'elles fonctionnent, soit il va falloir repartir sur de tout autres bases : je cherche...

EDIT du 01/04 : nouvelle solution proposée dans ce billet
Attention, billet ardu ! (mais pas le choix : quand le vin théorique est tiré, il faut le boire jusqu'au bout, même s'il dévaste l'œsophage...)
J'ai consacré, il y a quelques mois, plusieurs billets au problème de la richesse, c'est-à-dire, à partir d'une critique des propositions d'Alain Testart, à rechercher un critère qui sépare les sociétés qui en sont pourvues de celles qui l'ignorent. J'étais assez content de moi, puisque après maintes cogitations, j'étais parvenu à une solution qui me semblait tout à fait acceptable. Et c'est d'ailleurs cette solution qui s'est trouvée imprimée dans L'Homme, dans le dernier numéro où s'est poursuivi le débat sur cette question.
On rappelle souvent, à l'armée, la vieille plaisanterie selon laquelle il ne faut jamais exécuter un ordre avant d'avoir reçu le contre-ordre. Je propose donc, en matière de recherche, d'envisager un adage selon lequel il ne faut jamais écrire une idée avant de s'être aperçu qu'elle était fausse. En effet, la solution que je jugeais tout à fait satisfaisante il y a quelques mois me paraît aujourd'hui intenable – ce qui signifie bien sûr qu'il faut en trouver une autre.

Rappel : la position du problème

Sans reprendre l'intégralité du débat – ce billet s'annonce déjà suffisamment long et ardu – j'en résumerai les principaux termes de la manière suivante : on sent, intuitivement, qu'il existe deux grandes catégories de sociétés. Dans les unes, les biens matériels ne jouent qu'un rôle très limité. On ne les accumule pas, on ne les recherche pas au-delà du nécessaire pour les utiliser soi-même. Il n'y a pas de riches ni de pauvres – la différenciation sociale, lorsqu'elle existe, s'opère selon le sexe, l'âge, l'aptitude à la chasse, à la guerre, le nombre d'épouses ou la connaissance du surnaturel. Ce sont des sociétés sans richesse, qu'Alain Testart appelait le monde I. Face à cela, il y a des sociétés dans lesquelles la possession des bien matériels joue un rôle évident : on cherche à les accumuler, car au-delà de leur simple rôle utilitaire, ils interviennent dans le jeu social. Les droits de propriétés sont importants, il y a des riches et des pauvres - en plus, éventuellement, de différences de statuts. Ce sont des sociétés à richesse, les mondes dits II et III (selon que les classes sociales y sont absentes ou présentes).
Comment délimiter ces deux mondes ? La réponse de Testart consistait à prendre pour critère l'existence de paiements pour des « obligations sociales », en particulier celles liées au mariage (le « prix de la fiancée »), et à la justice (le wergild). Or, cette solution soulevait plusieurs difficultés.
  1. Si la richesse fait son apparition sous la forme de biens transférés dans le cadre matrimonial ou judiciaire, il faut en déduire que les biens qui sont simplement troqués, ainsi qu’il en existe dans toutes les sociétés du monde I, ne constituent pas de la richesse. Or, une telle affirmation est difficilement acceptable dans la mesure où de nos jours encore, l’une des principales fonctions de la richesse consiste précisément à permettre à celui qui la possède d’acquérir d’autres biens. Alain Testart concédait qu’il s’agissait effectivement d’une forme de richesse, mais que dans le monde I, celle-ci n’était pas « socialement utile », une réponse qui, au mieux, repousse le problème sans réellement le résoudre.
  2. Cette définition de la richesse ignore totalement l’esclavage, pourtant considéré par Alain Testart comme « la richesse par excellence ».
  3. Plus globalement, on attend d’une définition de la richesse qu’elle s’applique également aux sociétés du monde III – c’est-à-dire aux sociétés de classe. Or, le critère proposé par A. Testart ne les concerne, au mieux, que de manière marginale : les paiements matrimoniaux sont en voie de diparition dans la plupart des sociétés modernes, et le cadre judiciaire est loin d’être le principal contexte d’utilisation de la richesse (si tel a jamais été le cas).
  4. Enfin, le point peut-être le plus décisif de tous : certaines sociétés, qui ignorent tant le prix de la fiancée que les paiements judiciaires, n’en sont pas moins marquées par d’évidentes inégalités de richesse. C’est cette configuration – que j’appelais de « type S » – qui prévaut, par exemple, chez les Inuits de l’Alaska, mais aussi dans l’aire sibérienne avec les Itelmen, les Koriak ou les Tchouktches.

Rappel 2 : la solution « politique »... et sa critique

Après avoir tourné le problème en tout sens (je renvoie le lecteur curieux ou maniaco-dépressif à la lecture de mes billets sucessifs sur ce point), j'en étais venu à la conclusion qu'on ne pouvait caractériser la richesse des mondes II et III par sa forme, et qu'on devait donc se contenter de la définir par ses effets. En l'occurrence, j'écrivais que :
Une société est dite ‘à richesses’ (et relève donc des mondes II ou III) lorsque sa détention en quantité se traduit par une position sociale dominante, de droit ou de fait, et que symétriquement, en être dépourvu conduit à une situation de dépendance, de droit ou de fait.
J'étais alors convaincu que tout en éliminant les problèmes soulevés par le critère des « paiements pour obligations sociales », cette proposition était solide et que sa cuirasse ne présentait aucun défaut majeur. Je le dis donc tout net : j'ai changé d'avis, et je m'en veux un peu de ne pas avoir perçu ses faiblesses plus tôt.
Le premier problème, c'est que du point de vue de la méthode et de la cohérence, il est quand même étrange – et pas vraiment satisfaisant – de se retrouver à formuler un critère portant sur un phénomène économique en termes politiques. Il s'agissait clairement, dans le meilleur des cas, d'une solution de repli, qui laisse penser qu'on passe à côté de la vraie réponse qui, elle, devrait se présenter en termes purement économiques.
Mais aussi, et surtout, cette solution ne fonctionne pas ou, plus exactement, elle ne fonctionne qu'à moitié. Dans un sens, toute société dans laquelle existent des dominations qui dérivent de la richesse est une société... à richesse – cette belle découverte n'est évidemment rien de plus qu'une tautologie. Le problème, c'est qu'en sens inverse, il existe des sociétés qui manipulent les biens dans certaines occasions sociales, tout en ayant multiplié les dipositifs empêchant ces coutumes de provoquer une différenciation entre individus - je pense notamment aux Indiens pueblos et, peut-être, à ceux de la côte orientale de l'Amérique du Nord auxquels fait allusion Rémi Haddad dans son article. Finalement, j'aboutissais à une erreur symétrique à celle que je reprochais à A. Testart : là où sa définition excluait du monde de la richesse les sociétés dépourvues de prix de la fiancée et du wergild, mais où régnaient des inégalités socio-économiques, la mienne excluait celles qui possédaient le prix de la fiancée et le wergild, mais pas d'inégalités socio-économiques significatives.

3. Vers une nouvelle solution (?)

Il faut donc, en quelque sorte, en revenir aux fondamentaux, et trouver un critère formel qui permette de classer d'un côté le simple troc, le service pour la fiancée, les assassinats de compensation, etc. et de l'autre, le prix de la fiancée et le wergild, mais aussi l'amende, la rente, et bien d'autres phénomènes encore.

3.1 La forme minimale de la richesse

Le raisonnement part d'une évidence : la richesse se rapporte avant tout aux biens et à leur rôle dans le jeu social. Or, les biens existent dans toutes les sociétés, et dans toutes les sociétés, certains d'entre eux peuvent être échangés contre d'autres biens. On doit donc commencer par distinguer la forme minimale de la richesse de ses formes développées. La forme minimale étant universelle, elle ne permet pas, à elle seule, de caractériser une société. Cependant, lorsque émerge la richesse que j'appelle développée, cette forme minimale acquiert une importance nouvelle – et c'est ainsi que dans la société capitaliste, avec sa division du travail et ses échanges généralisés, une fonction première de la richesse est d'acquérir des biens.
Pour commencer, je propose les deux définitions suivantes :
Définition 1 : Les biens constituent des richesses lorsqu'ils sont susceptibles d'être exigibles.
Cette définition appelle trois commentaires :
  • Les biens constituent une richesse si et seulement si ils s'insèrent dans des déterminations sociales spécifiques – c'est toute la différence entre une richesse et une (simple) ressource.
  • La richesse comprend les biens ainsi définis, mais ne s'y limite pas (voir plus loin).
  • la notion d'exigibilité renvoie à celle d'obligation juridique (sur ce point, je m'inscris dans les pas d'Alain Testart et de sa Critique du don). L'exigibilité peut naître soit d'un échange, soit d'un « transfert du troisième type » (t3t), c'est-à-dire d'un transfert obligatoire qui ne soit pas conditionné par une contrepartie.
Définition 2 : on parle de forme minimale, ou élémentaire, de la richesse, lorsque l'exigibilité du bien résulte d'un échange contre d'autres biens.
En d'autres termes, dans toutes les sociétés, il existe des biens susceptibles d'être échangés, et cet échange crée des obligations de part et d'autre. Ces biens incarnent la richesse sous sa forme minimale. Mais, je le répète, précisément parce que cette forme existe partout à des degrés divers dans toutes les sociétés, elle ne suffit pas à elle seule à caractériser le type de société.
Les San du Kalahari, un cas emblématique de société du monde I

3.2 Les formes développées de la richesse

Si, donc, la forme minimale de la richesse concerne l'échange de biens contre d'autres biens, en quoi consiste la forme développée, dont la présence pourrait donc être le critère des mondes II et III ? La réponse, dans sa formulation générale, découle de ce qui précède :
Définition 3 : la forme de la richesse est dite développée lorsque l'exigibilité d'un bien se fonde sur un autre motif qu'un échange contre d'autres biens.
Il est toutefois utile de ne pas s'en tenir là, et de distinguer les divers cas de figure qui se présentent au sein de cette catégorie.
  1. l'exigibilité du bien découle d'un échange contre autre chose qu'un bien. Cette possibilité en recouvre à son tour deux autres :
    1a. l'échange vise à acquérir un droit sur une personne
    1b. l'échange vise à acquérir les droits d'usus ou de fructus sur un bien, à l'exclusion du droit d'abusus
  2. l'exigibilité du bien ne découle pas d'un échange.
Le cas 1a correspond à l'acquisition, par cession de biens, d'un droit sur une personne. Ici, il faut avancer avec prudence, car en termes modernes, le « droit personnel » (qui s'oppose au « droit réel », droit direct sur une chose) est le droit d'exiger d'une personne qu'elle fournisse un bien – autrement dit, c'est le droit du créancier sur le débiteur. Le droit sur la personne dont il est question ici exclut précisément ce cas de figure. C'est un droit de commander, d'exiger une prestation, pour autant que cette prestation ne soit pas la fourniture différée d'un bien suite à un échange. Par exemple, c'est le pouvoir du père sur sa fille, qui sera transféré au mari contre paiement du prix de la fiancée. C'est aussi le pouvoir sur l'esclave, qui peut être acheté et vendu.
Corollaire : tout droit sur une personne pouvant être échangé contre des richesses constitue lui-même une richesse.
Ainsi qu'on le disait un peu plus haut, la richesse ne se limite donc pas aux biens susceptibles de transferts obligatoires. Dans la mesure où certains droits sur des personnes sont convertibles en droits sur des biens matériels (dans un sens et dans l'autre, par l'achat et la vente), ces droits sur les personnes relèvent eux aussi du périmètre de la richesse. Autrement dit, le droit qu'un père détient sur sa fille, ou un frère sur sa sœur, n'est pas une richesse dans une société ou en le cédant, il ne peut acquérir qu'un droit sur une autre femme (par « l'échange de sœurs ») ou une prestation en travail (par le « service pour la fiancée »). Il constitue, en revanche, une richesse dans une société où ce droit peut être vendu contre des biens matériels (par le « prix de la fiancée »).
Quant à la situation 1b, elle correspond au fait que le propriétaire d'un bien cède son utilisation et éventuellement ses fruits à un tiers, en échange d'un paiement. Cette configuration est celle de la rente, foncière ou non, du prêt à intérêt (monétaire ou non), etc.
Le cas 2, pour sa part, concerne donc des obligations de fournir des biens dans le cadre d'un « t3t » (transfert du troisième type). Celui-ci peut procéder d'un motif judiciaire, une catégorie qui inclut tant le wergild que l'amende ou les dommages et intérêts. L'obligation peut également découler d'un motif politique, comme dans le cas de l'impôt, d'une relation de parenté ou de dépendance.
L'érection d'un mégalithe dans la « ploutocratie ostentatoire » de l'île de Nias
Une pratique et une société typiques du monde de la richesse

Une conclusion et deux remarques pour finir

En conclusion, il me semble – mais peut-être des lecteurs avisés me montreront-ils le contraire – que ce jeu de définitions permet de discriminer efficacement les sociétés et que cette approche formelle est cohérente avec ce que dicte l'intuition. On remarquera que dans le monde II, le type de sociétés le plus commun, qui inspirait la proposition d'Alain Testart, est celui où la richesse développée existe sous les trois formes 1a, 1b et 2. Les sociétés que j'appelais de « type S », qui ignorent le prix de la fiancée ou le wergild, sont celles où les formes développées 1a et 2 sont inexistantes ou très peu présentes, et où c'est la forme 1b qui domine.
On pourrait se poser la question de savoir si ce bel échafaudage n'est pas mis à bas par ce qu'Alain Testart appelait les « prestations viagères » australiennes. En échange de son épouse, le mari ne doit-il pas fournir de la viande à ses beaux-parents tout au long de leur vie ? Une telle coutume ne constitue-t-elle pas une variante du prix de la fiancée, dont le paiement ne serait pas libératoire, mais qui représenterait en quelque sorte les intérêts d'une dette perpétuelle ? L'opinion d'A. Testart lui-même, et je le suis sans difficulté sur ce point, était que ces prestations peuvent tout autant, et même davantage, être vues comme un service à vie. Une telle interprétation est d'ailleurs parfaitement cohérente avec l'absence de toute forme développée de la richesse dans ces sociétés.
L'autre problème touche à ce que recouvre exactement, dans les définitions qui précèdent, le concept de biens. Ceux-ci se limitent-ils aux seuls biens matériels, ou incluent-ils également des biens immatériels autres que des droits sur les personnes : chants, danses, savoirs ésotériques, titres honorifiques, etc. ? On pourrait être tenté de choisir la première option. En effet, on a le sentiment que les seules sociétés dans lequelles on achète et on vend ce type de biens sont précisément les sociétés à richesse. Dans cette optique, il faudrait donc admettre que les biens immatériels forment une catégorie spécifique, et identifier une forme développée supplémentaire de la richesse définie par leur achat et leur vente. J'ai cependant l'impression que ce n'est ni nécessaire, ni souhaitable. Je ne vois aucune bonne raison de considérer différemment la situation où l'on paye pour se procurer une hache, que celle où l'on paye pour les services d'un chamane ou pour le droit d'apprendre un chant. Et si c'est manifestement dans les sociétés à richesse que l'on paye pour des biens immatériels, l'explication la plus simple est que ce sont aussi les sociétés où, d'une manière générale, on paye pour davantage de choses.

(Edit du 27/03) Éléments récapitulatifs :

Proposition 1 : Une société est dite sans richesse (monde I) si les biens ne peuvent y être exigibles qu'en échange d'autres biens.
Proposition 2 : Une société est dite à richesse (monde II ou monde III) si certains biens peuvent y être exigibles pour d'autres raisons qu'en échange d'autres biens.

26 commentaires:

  1. Je pense que vous êtes trop rigoureux... Oui c'est possible même en science. Il n'y a pas de réponse absolue. Pourquoi ?

    Simplement parce que nos représentations du monde se fondent sur des catégorisations, sur des discriminations, des tris. Or tout tri est imparfait. Car deux choses non abstraites ne sont jamais les mêmes.

    La classe "table" par exemple est très imprécise car des table il en a des ronde et des carrées, des faites en bois et d'autres en pierre, certaines ont trois pieds et d'autres quatre et j'en passe. Ne parlons pas non plus des table des calcul, des tables des nombres logarithmiques, des tables de la loi,. Et puis il y a des tables où on mange, des tables où on travaille...

    Vous chercher une catégorie universelle aux "richesses" mais c'est un leurre , vous n'y arriverez pas. La classe est toujours approximative, c'est une approximation englobante qui permet simplement d'établir un référent pour nommer ce qu'il contient

    Toute classe est insatisfaisante mais elle sont indispensable non seulement pour nommer les choses, les distinguer des autres et pour échanger (discourir) à leur sujet mais aussi et surtout pour les conceptualiser, en faire une réalité tangible. C'est d'ailleurs vain de vouloir lutter contre les discriminations puisque celle-ci sont indispensables pour "lire" le monde.

    Vous ne trouverez pas ce que vous cherchez. Soyez plus indulgent avec vous même. Pas besoin d'outil parfait pour labourer le savoir et y planter ses graine. C'est le chemin qui compte jamais le but à l'horizon qui est toujours repoussé.

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    1. Je vous avoue qu'en lisant votre dernier paragraphe, je me suis demandé un instant si je n'étais pas en train de consulter mon horoscope. En tout cas, ce que j'aimerais bien savoir, c'est si sur le fameux chemin, j'ai avancé ou reculé. Avez-vous identifié un ou plusieurs problèmes dans la solution que je propose ? Si oui, lesquels ?

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  2. Bonjour Christophe,
    Une réaction épidermique : l'exigibilité que tu exiges pour qu'un bien soit une richesse écarte d'emblée les dons. Or s'il y a des richesses dans la Côte nord-ouest, ce sont les biens qui s'offrent lors des potlatchs. Par ailleurs, dans au moins une partie des sociétés du monde II, il n'y a pas une catégorie générale de biens mais au moins deux, sinon trois : les biens "utiles" (alimentaires ou autres), ceux qui ne servent qu'à des prestations sociales et ceux qui ne servent que pour le prestige. Dans certaines de ces sociétés ces trois catégories sont étanches, dans d'autres les premières peuvent permettre d'acquérir les secondes et/ou les troisièmes, réciproquement, les dernières permettent, lors d'événements catastrophiques de se procurer des aliments. N'est-ce pas alors une voie d'évolution de la richesse ?

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    1. Hello Momo
      Non, le critère de l'exigibilité n'écarte pas les dons : il dit que que qui peut être uniquement donné n'est pas une richesse. C'est très différent ! Parce qu'inversement, ce qui peut être exigé (comme paiement) peut forcément être donné. Si, justement, les dons des potlatchs sont des dons de valeur, c'est parce que les biens ainsi transférés sont utiles par ailleurs : ils servent dans les paiements de mariage ou de justice – c'est d'ailleurs très exactement ce que disait Testart. Pour ce qui est des deux ou trois catégories de biens, je ne doute pas une seconde qu'il existe des dizaines de configurations et de voies d'évolution possibles (et il y en a d'autant plus qu'on considère les choses plus en détail). Dans ce billet, je n'explore pas ces questions, je dresse une série de définitions qui permettent de s'orienter – et de repérer le cas bizarre des sociétés dites « S ».

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  3. Je vois où Olivier veut en venir, à sa manière alambiquée :) La question est de savoir si vous cherchez à définir les richesses comme concept opératoire dans un cadre anthropologique, ou bien de manière plus générale. Jean-Marie Harribey a écrit un livre très intéressant "la richesse, la valeur et l'inestimable" dans lequel il cherche lui-même à établir une définition générale dans un cadre économique (appuyé sur Marx), écologique (appuyé sur différents auteurs, dont André Gorz) et sociologique. J'essaierai d'en faire un résumé à l'occasion :)

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    1. Encore une fois, la problématique de départ est celle à laquelle je fais allusion dans le billet : il y a des sociétés qui « ne jouent pas » avec les biens matériel et qui, de ce point de vue, sont égalitaires. Et puis, il y a des sociétés où c'est tout le contraire. Comment penser / comprendre cette opposition ? Testart avait proposé une solution, j'ai expliqué quels étaient ses défauts, et j'essaye d'en trouver une meilleure...

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  4. Intéressant! et que nous disent ces types d'échanges sur les modes de relations sociales ? Sur le niveau de hiérarchisation des sociétés ?

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    1. Attention, ce ne sont pas tous des échanges, justement ! Après, ils nous aident justement à raisonner à partir des bonnes catégories, et à tenter d'établir des corrélations valides. Par exemple, dans le monde I de Testart, on observe qu'il n'existe aucune forme d'Etat (ce qui me semble évident) ni de structuration politique (ce qui mériterait peut-être d'être nuancé). En tout cas, on sait que c'est un monde où les inégalités éventuelles ne peuvent pas se fonder sur la possession des biens, ce qui est déjà considérable.
      Après, on peut faire l'analogie avec la biologie. Si j'oppose les invertébrés aux vertébrés, je dis quelque chose d'essentiel sur leur structure interne, mais cela ne me renseigne ni sur leur type d'habitat, ni sur leur régime alimentaire, ni sur leur mode de locomotion, etc. C'est une catégorie générale pertinente à partir de laquelle on doit raisonner pour aller plus loin.

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  5. Il serait bon de mettre de l'ordre dans les numérotations : parfois on a 1a, 1b, 2 et parfois c'est 1, 2a, 2b. Ça ne contribue pas à la clarté de l'affaire.
    Avec ces définitions, je doute que l'on puisse classer les sociétés de "type S" (au moins certaines d'entre elles), ou des sociétés comme les Tareumiut dans les sociétés à richesse...

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    1. Effectivement, à force de faire et de défaire pour tenter de mettre de l'ordre, j'ai fini par m'emmêler les pinceaux en conclusion. Normalement, c'est rétabli.
      Pour ce qui est du fond de l'affaire, comme (trop ?) souvent sur ce blog, j'ai voulu réfléchir tout haut, je me suis avancé sur la base de mes souvenirs sans surveiller mes arrières. En allant revérifier sur les Tareumiut, je trouve la meilleure description dans le livre de Spencer (1959), qui n'est pas très explicite. Il place l'accent sur la notion de « biens de surplus » qui seraient l'essence de la richesse, mais un surplus de quoi par rapport à quoi, mystère. Ce qui est clair, c'est que la richesse est d'une part commerciale (ma catégorie « minimale »), d'autre part liée à la possession des baleinières. On lit que par sa générosité, le propriétaire doit attirer les hommes pour intégrer son équipage. Il leur fait donc des « cadeaux », et les assiste durant les périodes creuses. Sauf que s'il le fait, c'est forcément que toutes ces dépenses, qui s'ajoutent à la construction de la baleinière, sont contrebalancées par des recettes. Lesquelles ? La seule réponse que je vois est que les membres d'équipage ne perçoivent qu'une fraction de ce qu'ils pêchent, et que le propriétaire de la baleinière reçoit, en tant que tel, une part du produit. Ce qui signifie que d'une manière ou d'une autre, il reçoit quelque chose en contrepartie de l'usage qui est fait de sa baleinière. De là, soit on peut considérer qu'il reçoit des biens, et cela rentre dans ma catégorie 1B. Soit on considère qu'il s'agit d'un échange de ce droit d'usage contre un service, auquel cas il faut que j'ajoute une catégorie à la classification...

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  6. Il se trouve que j'ai aussi relu Spencer ce matin (lecture rapide... et seulement de quelques passages). On peut effectivement faire diverses interprétations, mais il y a un point qui m'apparaît quasi certain, c'est qu'en ce qui concerne les baleinières, rien n'est exigible. En fait, ça ressemble plus à de la clientèle qu'à autre chose : l'umealiq forme son équipage en faisant des cadeaux, mais les gens se rallient à lui ou pas et s'en vont quand ça leur chante. Et en ce qui concerne la chasse, la baleine est partagée (l'umealiq promet une bonne ration de baleine à qui vient avec lui, mais ça n'apparaît pas comme une contrepartie exigible du service). Par ailleurs, le prestige semble bien plus fondé sur la qualité de bon chasseur et sur la capacité à gérer un groupe d'hommes que sur la richesse, qui ne vient que secondairement. Il faudrait relire de plus près, mais ça ressemble beaucoup à la Sibérie par certains côtés, et tous ces gens-là échappent à la définition de la richesse, quelle qu'elle soit jusqu'à présent...

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    1. Je dois bien reconnaître que c'est aussi mon sentiment (même si le terme de clientèle ne me paraît pas idéal pour un rapport qui ici est avant tout économique). Et pourtant, chez ces gens, tout le monde, et eux les premiers, s'accorde pour dire qu'l y a des riches et des pauvres. C'est quand même rageant de se dire qu'un truc existe de manière incontestable, mais qu'on n'arrive pas à le définir correctement. La seule manière que je voie de m'en sortir est de dire qu'il suffit qu'il y ait « beaucoup » de richesse élémentaire pour qu'on soit dans le monde II, mais c'est aussi satisfaisant qu'un diagnostic médical sur la bonne mine du patient.

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  7. Disons que ça rappelle la clientèle, mais ce n’est effectivement pas un rapport de fidélité. En réalité, c’est plutôt une forme de coopération, chacun ayant besoin de l’autre : le pékin moyen qui n’a pas de baleinière ne peut pas aller chasser, mais le propriétaire de baleinière ne peut pas non plus sans un équipage. Là où l’on voit cependant que la baleinière est finalement plus ou moins secondaire, c’est lorsque l’on considère les Nuunamiut de l’intérieur : l’umealiq est chez eux le conducteur de la chasse au caribou, exactement de la même manière qu’il l’est pour la chasse à la baleine chez les gens de la côte. Il a le même prestige, c’est aussi un riche, mais il n’a pas de baleinière pour autant, et son prestige est fondé sur son habileté à la chasse et sa capacité à gérer un groupe de chasseurs. Tout ça ressemble finalement à la guerre : le bon chef de guerre a du prestige, pour autant il ne peut pas partir à la guerre tout seul.

    D’un point de vue plus général, plus j’avance et plus je considère que cette situation particulière, que l’on retrouve également en Sibérie, n’est ni vraiment du monde I ni vraiment du monde II, mais une sorte d’entre-deux (la voie ou une voie de passage de l’un à l’autre, peut-être ?). Les incompréhensions avec Charles Stépanoff viennent d’ailleurs en partie de là. « Certains » on balayé un peu rapidement ses arguments, alors qu’en réalité sa position reflétait une difficulté classificatoire bien réelle.

    Maintenant, si l’on tient vraiment à mettre une barrière entre monde I et monde II pour, entre autres, pouvoir dire de quel côté tombent ces sociétés, je persiste à croire qu’on s’en sortira non pas en cherchant une définition ultra pointue et restrictive de la richesse qui le permettrait, mais en en gardant une définition large et en se fondant sur le critère de son utilisation. Testart avait sans doute bien senti le problème, et il ne faisait pas autre chose lorsqu’il parlait de « richesse socialement utile ». La clé tient dans le « socialement utile ». Pour Testart, socialement utile = paiements servant à s’acquitter d’obligations sociales (PDF, wergeld, amendes), ce qui exclut ces sociétés intermédiaires, qui tombent de fait dans le monde I. Et une fois qu’on a payé ces obligations, avec ce qu’il reste on fait de l’ostentation. Mais avec les Tareumiut, Nuunamiut ou autres, on voit une chose : ils font de l’ostentation (typiquement, la Messenger Feast chez eux), ils distribuent, mais ils n’ont pas de paiements sociaux. Dit autrement, on a la case prestige ostentatoire, mais sans la case paiements (alors que pour Testart la case paiements venait en premier). Si l’on arrive à élargir, en le formalisant correctement, le « socialement utile » aux dons (dons OU paiements), pour ce côté du Pacifique on devrait pouvoir s’en sortir. Pour la Sibérie, il faut voir si ça suffit ou s’il faut encore élargir. Une piste comme une autre...

    Dernière remarque : on voit dans le cas de l’Alaska que le prestige lié à la richesse dérive d’autres formes de prestige. C’est au départ parce que l’umealiq est bon chasseur et bon leader (attributs typiques du monde I) qu’il a du prestige, et c’est ce prestige qui va lui permettre d’attirer du monde autour de lui, ce qui lui permet secondairement d’accumuler de la bouffe et des biens, ce qui lui permet en troisième lieu d’obtenir un prestige supplémentaire via la richesse, en redistribuant et en donnant. Je vois très bien quelque chose comme cela comme mécanisme de passage du monde I au monde II, plutôt que de la richesse qui sort de nulle part. Le modèle n’est pas complet, il faut encore un déclic pour en arriver à l’idée qu’un humain puisse avoir une valeur (wergeld, esclave...), mais on sent qu’on n’en est pas très loin...

    To be continued...

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    1. Que l'on ait un vrai problème de classification avec ces sociétés, et que cela constitue un élément central du débat avec C. Stépanoff, j'en suis bien convaincu depuis le début – d'où cette suite de textes et de billets, dont tout indique qu'elle est loin d'être terminée.

      En ce qui concerne les Inuits de l'Alaska, à mes yeux, il ne fait aucun doute qu'ils se rattachent au monde II : ils ont des riches, dont les possessions matérielles (en plus de leurs talents personnels de chasseurs ou de meneurs d'hommes) contribuent à l'influence sociale, en particulier parce qu'ils peuvent faire des dons à ceux qui n'ont rien à bouffer pendant la période creuse. Et comme tu le soulignes, ils ont même de l'ostentation (ce qui n'est pas toujours le cas dans le monde II, et ce serait une erreur d'y voir une condition nécessaire - je me demande même s'il ne peut pas y avoir ostentation dans le monde I, avec autre chose que de la richesse). En tout les cas, l'Alaska représente un (petit) pan du monde II qui échappe à la définition de Testart, et c'est bien tout le problème (je parie cent dollars sur le fait qu'il s'agit d'une voie évolutive alternative et non du cas intermédiaire typique vers les paiements).

      Alors oui, on est bien d'accord, on sent bien que la richesse c'est une histoire de biens qui sont « socialement utiles », parce qu'ils débordent en quelque sorte la sphère de la valeur d'usage et qu'ils interviennent dans le jeu social. Tout le problème, c'est comment formaliser cela. Par les conséquences, j'avais essayé, mais c'est peu convaincant. Ce que je cherchais avec ces histoires autour de l'exigibilité, c'est de formaliser que les biens, à un moment donné, se mettent à être convertibles en autre chose que des biens, et que c'est cela l'élément crucial. C'est une veille idée, pas vraiment originale. Le truc c'est d'arriver à lui donner une forme précise et à ce qu'elle englobe tous les cas...

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  8. Je ne crois pas à l’ostentation dans le monde I, mais je suis prêt à changer d’avis si tu as un contre-exemple.
    Si tu veux à la fois poursuivre dans la voie où tu t’es engagée et mettre l’Alaska et autre Sibérie dans le monde II, il ne me paraît pas possible de faire autrement que de : 1) faire sauter le critère d’exigibilité ; 2) ne pas se limiter aux échanges. Pour arriver à quelque chose du genre :
    – sans richesse : biens ne pouvant être transférés que contre d’autres biens ;
    – avec richesse : biens pouvant être transférés autrement que contre d’autres biens.
    En gros, ça revient à trouver un moyen pour inclure le don (qui n’est ni exigible ni un échange). Ça a accessoirement un autre côté positif : ça permet d’inclure le sacrifice. En effet, il n’y a (a priori) pas de sacrifice dans le monde I. Il doit bien y avoir une raison à cela, et je soupçonne qu’elle est liée au reste.
    Cela étant, il reste encore un problème, et pas simple : il faut encore éliminer le « demand sharing » et le « unsolicited giving » (style partage du gibier) du « sans richesse » tel que formulé ci-dessus…

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    1. Pour l'ostentation dans le monde I, c'est juste une position de prudence, qui n'exclut pas son existence par principe. Lemonnier m'avait parlé un jour de « compétitions de cueillette de noix de coco » entre groupes néo-guinéens qui, si je me rappelle bien, étaient censés être sans richesse (tout cela est à vérifier).
      Pour ta proposition de définir une société sans richesse par l'impossibilité de transférer un bien contre autre chose qu'un bien, je crois qu'il faut l'éliminer d'emblée : aucune société n'empêche le don.
      Par ailleurs, le sacrifice, j'ai l'impression que c'est dans une autre sphère que celle des biens, et que cela ne peut pas participer de la définition. Mais ce serait un très beau théorème social que de montrer l'implication entre les deux (un peu comme Testart avait montré, si je me souviens bien, que l'esclave pour dettes était un sous-ensemble du prix de la fiancée, et pourquoi).

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  9. Il me parait bien difficile aussi d'éliminer le don du monde I (d'où ma dernière phrase). Mais si d'un autre côté il y a des sociétés du monde II où les paiements sociaux sont absents et où la richesse ne s'exprime que par le don, ça prend des odeurs d'impasse...

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    1. Je ne sais pas jusqu'à quel point cela résout nos problèmes, mais en tout cas, je viens de tomber sur une synthèse qui affirme que la distribution des morceaux de baleine au sein de l'équipage était clairement exigible : « The division of the whale meat was conducted according to a jurally-defined system based upon the extent of a crew's participation in the kill (see VanStone 1962:49, Worl 1980:Figures 1, 2). The captain of the first crew took the prized flippers and his allotted portion of meat, followed by division of his boat's share among the crew members. The shares of the assisting crews were then allocated. Each crew member received blubber and skin, meat, baleen, bone, and parts of the viscera (Spencer 1959:345-346, Rainey 1947:261) » (Cassel, The Traditional lnupiat Whale Hunt, p. 102)
      Après, ça n'empêche pas de continuer à s'interroger sur l'importance relative du don dans cette société, ses raisons et ses implications.

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  10. Me méfiant toujours des citations de seconde main, je suis allé lire VanStone, p. 48 et suivantes (dispo en prêt sur Archive), et je n’ai vu nulle part que quoi que ce soit était exigible ou même relevait du droit ! Il y a des règles de partage du produit de la chasse qui sont suivies, comme il en existe partout dans le monde, y compris chez les chasseurs-cueilleurs, mais rien de plus. Ces règles concernent d’ailleurs le partage entre baleinières, mais ensuite chaque capitaine de baleinière partage pour son équipage de manière équitable, même s’il y a de rares exceptions. Et VanStone conclut d’ailleurs (p. 54) : « ...the custom of equally sharing all game illustrates well the cooperative aspect of whaling ».

    À part ça, on lit p. 102 que l’Église épiscopale a organisé un conseil de village en 1920, et qu’au moment où VanStone est sur place, il reste très peu de l’organisation antérieure… Dans son intro, il dit d’ailleurs clairement « In the present study, the major concern is with the functioning of a contemporary Eskimo community of western Alaska. » Les ethnos qu’il faut regarder de près sont celle de Nelson (1899), évidemment, celle de Murdoch (1892) et celle de Ray (1885). Je ne connais que Nelson, mais de mémoire il n’y a rien qui vient contredire tout ce qu’on a dit jusque-là.

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  11. Burch, dans "Alliance & Conflicts" indique que, lors de la fête du Messager, l'hôte signale à son partenaire le don (de nourriture) qu'il va lui faire et indique explicitement le contre-don qu'il attend. Il ne s'agit pas d'un échange mais s'agit-il vraiment de dons ? Les biens sont-ils exigibles ? Je signale qu'il existe aussi, chez les Tlingit, une institution du même type (mais portant sur tous les biens)qualifiée (oxymore ?) de "don obligatoire".

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    1. Il faut relire en détail ce que raconte Spencer au chapitre correspondant. Mais il ne me semble pas que le retour soit exigible : le donateur peut faire fortement sentir qu'il en attend au moins autant de son partenaire, mais ça n'en reste pas moins du don...

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    2. Bien vu pour ce qui est des sources premières, il faudrait aussi aller voir les autres. De toutes façons, je n'ai pas l'impression que ce soit le problème : que l'accord entre équipage et umialik repose sur un contrat formel ou sur un deal informel, on a du mal à se dire que c'est le critère qui doit présider à la classification de cette société.
      En revanche, un truc me gratte très fort dans l'extrait de VanStone cité par BB : si le partage est si égalitaire que cela, en quoi l'Umialik serait-il le riche, censé pourvoir aux besoins des autres dans les périodes difficiles ? Il faut bien admettre qu'il garde la part du lion, grâce à laquelle il constitue les stocks de viande avec lesquels il va montrer sa générosité.
      Dans cette affaire, les dons par lesquels les riches attirent à eux leur entourage (qui produira ensuite des biens servant aux fêtes ostentatoires) ne sont que l'effet de l'inégale distribution initiale du produit liée à la propriété des baleinières. Si tout le monde avait un stock de viande équivalent pour passer la morte saison, toute cette affaire n'existerait pas. À mon sens, la clé, c'est la possession des baleinières et ce à quoi elle donne droit, et c'est ce que j'avais essayé de formaliser avec ma catégorie 1B (mais c'est loin d'être gagné).

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    3. Il n'y a qu'un souci dans ton raisonnement, c'est que les voisins Nuunamiut ont des umealiq (je ne me souviens plus du pluriel...), mais qui n'ont pas de baleinière. C'est pourquoi je crois pour ma part que la possession de ladite baleinière ne joue qu'un assez faible rôle dans la structuration de la société. À voir... Comme tu dis, c'est loin d'être gagné.

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    4. En tout cas, la description des règles de partage par Worl fait état à la fois de leur caractère prescriptif et de la part très significative qui revient au leader (jusqu'à 50% pour lui, le reste à se partager entre les membres de l'équipage).

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    5. Oui, j’avais vu ça. Mais qu’est ce que ça vaut ? Les données de Worl ont été collectées entre 1975 et 1977, période où ça n’avait plus forcément beaucoup à voir avec le fonctionnement traditionnel. Elle t’explique d’ailleurs que les types achètent leur équipement, dont la baleinière avec des dollars sonnants et trébuchants, lesquels dollars ont été gagnés en travaillant ! Du coup, même si elle parle de « customary laws », des lois coutumières qui remontent à quand ? Que veux-tu faire de ça ?

      VanStone, dont le terrain est plus vieux de seulement vingt ans (1955-1956), ne dit pas du tout la même chose, mais que le partage est généralement égal, avec un seul point qui fait que le capitaine en a un peu plus : il y a une part pour le bateau, qui dans les faits lui revient.
      « When the butchering operations have been completed, each captain divides the meat, blubber, and whaleskin among the members of his crew according to his personal agreements with them. Usually each crew member receives an equal share, the cook and the boy helper also receiving a full share. The boat also gets a share, and since it belongs to the captain he receives two shares. » (p. 52)

      Spencer, dont le terrain date à peu près des mêmes années (1952-1953) dit plus ou moins la même chose :
      « The umealiq's profit lay, on the coast at least, in actually getting a whale. The whale was divided, parts going to the boats which assisted in the catch, but since many tons of meat were involved, there was a great deal for the boat credited with the actual taking of the animal. This, together with the lesser share for any “assists," was divided between the crew members, being umeaktuat. But the umealiq received a choice share for himself, in the form of the much desired flippers, and the boat likewise got a share. Even here, however, the umealiq was expected to be generous and to feed the entire community. The whale meat was still sufficient to trade for goods which in turn were passed to crew members for their support. Similarly, the umealiq gave meat to his kindred and insured their continued backing. » (p. 180)

      Il faudrait voir si on a des données plus anciennes, mais pour l’instant je n’ai rien trouvé (il n’y a rien chez Nelson). Si l’on résume, être umealiq possesseur d’une baleinière apporte seulement d’avoir une part en plus et de pouvoir récupérer les nageoires. Après, vu la masse de viande que représente une baleine, si tu en tues plusieurs dans l’année, ça peut finir par faire une différence.

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    6. J'insiste : cela en fait nécessairement une, et une considérable. Sinon, on ne comprend pas le poids social de ces riches qui, durant la morte-saison, donnent (ou prêtent, si on lit bien Spencer) aux pauvres pour qu'ils tiennent le coup – voire à toute la communauté les mauvaises années.

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