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Archéologie de la guerre : aux origines de la violence

Un très bon épisode de l'émission La science, CQFD, hier sur France Culture, avec Bruno Boulestin et Philippe Lefranc, pour parler de la guerre dans les sociétés sans État – y compris chez les chasseurs-cueilleurs (je ne reviens pas sur les arguments qui, à mon avis, contredisent l'idée défendue par ce dernier collègue, selon laquelle le taux d'homicides chez les chasseurs-cueilleurs mobiles serait très faible et que la guerre apparaîtrait seulement avec la sédentarité).

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7 commentaires:

  1. Les traces de violences collectives pour le Paléolithique supérieur, comme pour le Néolithique, ne reposent que sur des découvertes archéologiques bien sûr, sur des squelettes dont l'exhumation montre que un individu est mort de blessures volontaires (ce qui n'est pas très probant) ou que plusieurs individus sont morts au même moment de coups violents (ce qui est plus probant). Or, au paléolithique supérieur, avec 0.01hab/km2 et environ, estimation personnelle grossière, 0.03hab/km2 si l'on tient compte des zones inhabitables ou très difficilement habitables, on peut supposer qu'un groupe d'une vingtaine d'individus dispose en moyenne de 700km2. Combien alors d'affrontements territoriaux, et surtout quelles chances d'en découvrir les traces? Cela pour dire que plutôt que la sédentarité, je mettrais en avant la démographie, et son corollaire la proximité compétitive, le chevauchement des territoires, pour expliquer les violences intergroupes. Démographie croissante, qui permet de multiplier les découvertes archéologiques. La sédentarité pouvant toutefois évidemment exacerber les conflits puisque par définition un groupe sédentaire s'approprie un territoire bien défini, selon lui, et particulièrement favorisé (type estuaire) puisque nos ancêtres n'étaient pas fous. Néanmoins avec une population de l'ordre du million d'habitants sur la zone Afrique-Eurasie et ses 84 millions de km2, ça laisse encore de nombreux choix d'implantation peu coûteux aux groupes qui n'ont pas "gagné au grattage", pour parodier un slogan bien connu.

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    1. Je me trompe peut-être, mais j'ai l'impression que votre commentaire mélange des questions qui doivent être distinguées. La réalité de la conflictualité préhistorique est une chose, sa visibilité en est une autre. Et c'est bien le problème central : dans quelle mesure l'augmentation des violences collectives perçue dans les données archéologiques avec la sédentarité traduit-elle une augmentation réelle, ou une simple amélioration de la préservation des traces ?
      Par ailleurs, et j'en parlais précisément dans un post récent, je ne vois guère de raison d'attribuer les conflits collectifs dans ces populations aux antagonismes territoriaux. En tout cas, ce que l'on voit clairement en ethnologie, c'est que les groupes de chasseurs-cueilleurs mobiles trouvent bien des raisons de s'affronter parfois très violemment, mais rarement pour cette raison.

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    2. Bonjour, vous avez raison. La question que vous reposez dans votre premier paragraphe est bien celle qui est à la base de mon commentaire, que je peux préciser comme suit: la préservation des corps (nécropoles, cimetières, tombes hypogées, standardisation des rites funéraires, entretien de la mémoire des défunts au sein d'un lieu habité...) est bien mieux assurée chez les sédentaires, par ailleurs bien plus nombreux et ultra-majoritairement plus récents dans l'histoire, et donc mieux conservés, que chez les chasseurs-cueilleurs nomades. Je souscris évidemment pleinement à votre remarque de votre deuxième paragraphe. C'est là que mon texte est mal construit: l'entrelacement maladroit entre l'existence de la violence inter-groupes chez homo sapiens et la focalisation sur les problèmes de territoire fonctionne très mal. Les chimpanzés de Goodall guerroyant pour le territoire voisin sont, si je ne me trompe pas, des sédentaires. Enfin, et pardon pour la référence (je suis tombé dessus par hasard et n'ai pas creusé), un article de paris-match (revue internationale de haut niveau à l'impitoyable comité de lecture) laisse entendre que les macaques rhésus de Lavool en Inde mène une rare guerre de vengeance interspéciste contre... les chiens! https://www.parismatch.com/Actu/Insolite/En-Inde-un-village-victime-d-une-guerre-entre-singes-et-chiens-1777466 A vérifier bien sûr mais cela montrerait alors des capacités à l'expédition punitive,voire à la tentative d'extermination, fort bien assises.

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    3. Merci de cette référence, il faut que j'aille voir cela. En tout cas, je gamberge depuis un moment sur les différents types de conflits (que ce soit sur leur forme ou sur leurs motifs) et la question de savoir ce qui est spécifiquement humain et ce que l'on trouve déjà dans les autres animaux est évidemment fondamentale.

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    4. M. Darmangeat,

      Vous m'excuserez de m'inviter dans ce débat, mais l'écoute de cette émission hier, et la lecture (encore en cours) de votre livre sur les origines de la division sexuelle du travail m'ont en effet interrogé sur ce point précis de la question du caractère sédentaire ou non des groupes humains dans l'apparition ou non d'actes de violence collectifs. Voyant le débat posé par Seb, et votre réponse, je me suis posé la question : est-ce que le caractère nomade ou non, considérant la faible démographie des populations du Paléolithique, ne viendrait pas malgré tout, indépendamment des problèmes de visibilité des traces archéologiques, constituer un point déterminant dans l'apparition de violences collectives ? On peut en effet aisément imaginer (je sais que cela reste de l'ordre de la supposition théorique) que si des groupes sont éloignés entre eux, cela minimise les risques de frictions en limitant les probabilités de contact tout court. (Cette causalité environnementale est en tout cas avancée par Descola pour un tout autre phénomène culturel, l'animisme, qui apparaîtrait de manière privilégiée dans les endroits peu peuplés, où les "autres" rencontrés au cours d'une journée seraient essentiellement non humains.) La comparaison ethnologique a-t-elle du coup un sens, dans la mesure où je suppose que la plupart des chasseurs-cueilleurs, même nomades, des époques récentes ne connaissent pas la démographie extrêmement éparse des populations Homo sapiens du Paléolithique (je parle sous votre contrôle, je ne suis pas ethnologue, et n'ai pas étudié la question) ? Par suite, la fixation sur un territoire du fait notamment d'une abondance de ressources, entraînerait une multiplication des risques de friction avec d'autres groupes humains pour le "contrôle" (l'exploitation) de ces mêmes territoires. Et des phénomènes de violences collectives. Mais ces derniers pourraient apparaître même en cas de non-sédentarité, à partir du moment où la démographie rend d'une part les "groupes" humains plus consistants, d'autre part plus nombreux au sein d'un même bassin géographique.
      Cela m'amène à m'interroger, dans un second temps, sur les origines de la domination masculine, dont vous trouvez dans votre livre la source dans la division sexuelle du travail. Si je vous ai bien lu, dans votre modèle, vous faites du monopole de la chasse et de la guerre le principal motif structurant de la domination masculine (p. 224), ce motif étant lui-même dû à une division sexuelle du travail dont les origines restent floues, mais probablement liées à une différenciation physiologique (p. 209). Or, si la division sexuelle du travail (les hommes à la chasse, les femmes à la cueillette, pour aller vite : j'ai bien vu qu'il y avait plein de contre-exemples) devait avoir pour origine une contrainte physiologique, la transformation de cette division sexuelle du travail en domination masculine via un monopole de la guerre et des relations extérieures ne pourrait-elle être de son côté liée à une causalité environnementale et démographique ? Pour le dire autrement, si les humains ont commencé très tôt à diviser leur travail selon le sexe, parce que c'était la division au sein de l'espèce qui leur semblait la plus manifeste, et la plus évidente pour des raisons pratiques (je suis assez convaincu par cette hypothèse), serait-ce quand ils ont commencé à faire la guerre (et non seulement la chasse) qu'ils auraient institutionnalisé cette division sexuelle en domination masculine ? Le fait que la chasse ait très probablement précédé la guerre en tant que spécialisation masculine ayant bien sûr aidé...

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    5. Cela fait beaucoup de question d'un seul coup !
      Pour ne parler que de la sédentarité et de son rôle éventuel dans l'apparition (ou l'intensification ?) des conflits, c'est une vieille discussion. Cherchez dans ce blog les échanges avec Bruno Boulestin et Jürg Helbling, vous trouverez pas mal d'arguments contradictoires sur ce point. Ma position est que la sédentarité peut avoir augmenté la conflictualité, mais que cela reste largement à prouver, et que les arguments que l'on tient généralement comme assurés sur ce point sont en réalité loin de l'être. Et en ethnologie, on a observé des tas de chasseurs-cueilleurs avec des densités assez diverses, certaines très faibles, d'autres moins. Il est très compliqué d'en tirer une règle générale, car bien d'autres facteurs interviennent, dans un sens ou dans l'autre. En Australie, par exemple, un des plus grands massacres (sans doute 70 morts en un seul épisode, ce qui à l'échelle de ces sociétés est dévastateur) a eu lieu en plein désert.
      Un dernier point : le Paléolithique, ce n'est pas qu'en Europe occidentale ! C'est partout sur la planète, avec des climats et des denstés de populations qui n'étaient pas partout ceux de la steppe à mammouths...

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    6. Merci de votre réponse, même partielle :-)

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