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Les Aborigènes, le dingo et la chasse

Deux Aborigènes avec des dingos.
Rapport de l'Administration des Territoires du Nord, 1957
J'ai depuis longtemps été surpris de l'affirmation réitérée à plusieurs reprises dans l'œuvre d'Alain Testart, selon laquelle les Aborigènes australiens n'employaient pas le dingo pour la chasse, mais uniquement pour certains usages que l'on pourrait qualifier d'agrément (comme servir de couverture chauffante par les nuits trop fraîches). Avant l'histoire, son dernier livre, revient avec insistance sur ce point, en rappelant qu'il était exposé dès le Communisme primitif de 1985.

La source principale, sinon unique, d'A. Testart semble être Mervyn Meggitt, qui dans un article de 1965, expliquait que les Warlpiri, bien que possédant des dingos domestiques, ne les utilisaient pas pour la chasse — au contraire, pourrait-on dire, ils préféraient pour cette activité utiliser les services (involontaires) des dingos sauvages. De là, A. Testart conclut tout comme en 1985 que sur l'ensemble du continent, « le chien australien, le dingo (...) n'est pratiquement d'aucune utilité. » (p. 287), et que sa domestication fait donc partie de ces inventions « virtuelles » ou « latentes » qui caractériseraient une société aborigène peu intéressée au progrès technique.

Or, il me semble qu'on trouve assez facilement des témoignages clairs, bien informés et concordants qui montrent que dans d'autres régions de l'Australie que le désert central, où vivent les Warlpiri, le dingo était bel et bien utilisé comme un auxiliaire de chasse — et un auxiliaire précieux.

Une Aborigène donnant le sein à des chiots,
coutume que rapporte par exemple Brough-Smyth
C'est d'abord James Dawson, qui écrit en 1881 à propos de la région de Melbourne, dite Victoria, au sud-est du continent : « Le dingo détient à juste titre la première place dans l'estime des Aborigènes. (...) Les dingos étaient dressés pour garder les campements (...) Ils étaient aussi dressés pour la chasse, qui était leur principal usage. Ils étaient ardents et habiles à tuer les kangourous, et ne se faisaient que rarement blesser par les puissantes griffes postérieures de ces animaux. Lorsqu'ils en tuaient un, ils hurlaient pour faire savoir à leur maître où ils se trouvaient. Quelques chiens bien entraînés revenaient même au campement et guidaient leur maître vers la proie abattue. » (Australian Aborigines..., ch. XX).

Pour cette même région du Victoria, William Buckley (familier des lecteurs assidus de ce blog et observateur privilégié) rapporte que : « Les indigènes considèrent les chiens sauvages et les rats kangourous comme des biens très précieux. Ils s'emparent des premiers lorsqu'ils sont jeunes, et les dressent pour la chasse. » (The life and adventures of William Buckley, p. 56) On trouvera une confirmation supplémentaire de ces affirmations chez Brough-Smyth (1878, p. 147). 

Pour une autre région, celle du Queensland (au nord-est), Narcisse Pelletier (bien connu, lui aussi des lecteurs de ce blog) raconte que : « La grande chasse, celle qui demande tout à la fois l'adresse et la ruse, celle que l'on ne peut faire sans l'aide des chiens, est la chasse à l'autruche. (...) Nous avons dit que les chiens sauvages sont très communs (...) il s'en trouve aussi de parfaitement dressés, et qui pourraient concourir avec nos meilleurs chiens d'arrêt [suit une description de la technique employée par le chien pour rabattre l'autruche vers le chasseur embusqué] » (p. 83-84)

Je n'ai évidemment pas entrepris une recherche systématique, qui livrerait vraisemblablement bien d'autres témoignages dans le même sens. Mais ceux que je viens de citer ne me semblent laisser aucun doute sur le fait qu'en plusieurs endroits au moins, le dingo était bel et bien un compagnon de chasse des Aborigènes, qui l'élevaient et le dressaient dans ce but. Sa domestication, loin d'être « virtuelle » était donc tout ce qu'il y a de plus réelle.

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