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L'arithmétique sociale de Marshall Sahlins
(sur la « Sociologie de l'échange primitif »)

Marshall Sahlins (né en 1930)
Le livre le plus célèbre de Marshall Sahlins, Âge de pierre, âge d'abondance, ne contient pas seulement l'essai qui a inspiré son titre (« La première société d'abondance », que j'avais assez longuement discuté dans ce billet). Il rassemble plusieurs autres textes, notamment une « Sociologie de l'échange primitif » qui, sur une centaine de pages (annexes comprises), propose une typologie des transferts de biens  dans l'ensemble des sociétés primitives. Malgré la prudence affichée en introduction et en conclusion par l'auteur, ce texte a rencontré un certain écho et il n'est pas rare d'en voir les thèses exposées dans des manuels ou des sites internet consacrés à l'anthropologie. Aussi, je me suis dit qu'un examen (passablement critique) n'en serait pas inutile. Comme toujours, le style de Marshall Sahlins n'est pas avare d'effets littéraires et de formules frappantes ; cela en rend, sans aucun doute, la lecture plaisante. Mais en tentant d'en suivre les concepts et les raisonnements de manière plus serrée, je dois bien avouer avoir été souvent désorienté et ne pouvoir affirmer avec certitude quelle était la thèse dont on tentait de me convaincre.

Redistribution et réciprocités

L'objectif avoué du texte est d'avancer « quelques suggestions portant sur l’interaction des formes, conditions matérielles et relations sociales de l’échange, au sein des sociétés primitives. » (237). Suivant en cela la tradition dite « substantiviste » incarnée en particulier par Karl Polanyi, M. Sahlins veut illustrer que dans les sociétés autres que capitaliste, il n'existe pas de sphère économique propre : les transferts de biens y sont indissociables des relations sociales au sens large, et on ne saurait trouver leur explication dans l'utilitarisme, ou des motifs tenant au pur calcul économique. Pour paraphraser l'auteur, dans ces sociétés primitives, les liens sociaux font les transferts de biens, et les transferts de biens font les liens sociaux. M. Sahlins développe, sur cette base, une typologie en deux temps.
Pour commencer, il distingue (plus qu'il n'oppose) les mouvements de biens « centralisés » des mouvements « réciproques ». Les premiers, dans lesquels les biens affluent vers un personnage central pour être ensuite répartis en sens inverse, sont typiques de la « redistribution » propre à ce que l'anthropologie évolutionniste américaine appelle les « chefferies ». Dans les seconds, ce personnage central n'existe pas : les individus sont, en quelque sorte, directement aux prises les uns avec les autres. Ce cas de figure, celui de la réciprocité, constitue l'essentiel de l'essai, et fait l'objet d'un second niveau d'analyse.
Il recouvre en effet des situations variables ; en particulier, la réciprocité ne met pas nécessairement en œuvre des biens équivalents. Or, selon M. Sahlins, ce sont ces situations « d'échanges non symétriques », ces « ruptures d’équilibre », qui sont à la fois les plus négligées par l'étude et les plus intéressantes. La réciprocité étant « une catégorie spécifique d’échange, un continuum de formes » (243), il convient de dégager les propriétés tant formelles que sociologiques de ce continuum.
On aboutit alors à une gradation ternaire : à une extrémité se situe la « réciprocité généralisée », dont on peut dire qu'elle est la plus désintéressée. Elle recouvre « l'aide et l'assistance librement consenties », les situations où « l'obligation de rendre [est] peu astreignante » (247). Le point médian du spectre est celui de la « réciprocité équilibrée (ou symétrique) », qui caractérise l'échange d'équivalents. Enfin, à l'autre extrémité, on trouve la « réciprocité négative ». Elle désigne l'appropriation violente, la recherche de l'intérêt égoïste, la tentative d'acquérir un bien sans contrepartie. Il s'agit donc de « la saisie intéressée, l'appropriation par la ruse ou par la force payée de retour par un effort antagoniste de même nature » (244).
M. Sahlins développe dans les pages suivantes les implications de cette classification ; il insiste en particulier sur le fait que dans une organisation sociale donnée, les trois niveaux de réciprocité s'organisent en cercles concentriques ; au plus près, dans la famille (ou le clan, ou la tribu) on pratiquera la réciprocité généralisée, donnant sans compter, obéissant à une éthique de solidarité, de partage et de générosité. Avec des individus socialement plus distants, on mettra en place des relations de réciprocité symétrique, qui seront une alternative avantageuse aux conflits. On nouera en particulier des partenariats d'échange, dans lesquels le souci de l'équilibre sera constant. Au loin, enfin, avec l'étranger ou l'ennemi, on pratiquera la réciprocité négative.
La thèse déborde également sur le rôle de la richesse matérielle dans ces sociétés, les voies de l'évolution de la réciprocité à la redistribution, ou encore le confinement spécifique de la nourriture dans la sphère de la réciprocité généralisée. De par l'ampleur des thèmes abordés, il y aurait sans doute énormément à dire pour discuter de tout ce qui mériterait de l'être ; aussi, dans le cadre limité de ce billet, je me limiterai pour l'essentiel aux fondements de la thèse, c'est-à-dire à cette classification elle-même, qui me semble poser problème sous bien des aspects.

Une terminologie étrange

La première remarque n'est sans doute pas la plus fondamentale, mais je la pense symptomatique de la manière toujours un peu élastique (les méchantes langues diraient désinvolte) dont M. Sahlins traite des concepts qu'il juge pourtant lui-même fondamentaux. La réciprocité, axe majeur de caractérisation des phénomènes sociaux, est en effet censée se situer quelque part le long d'une ligne allant de « généralisée » à « négative », en passant par « symétrique ». Indépendamment même de l'idée qu'ils sont censés exprimer, on ne peut que s'étonner du choix de ces adjectifs. Ce qui est généralisé ne s'oppose en effet pas à ce qui est négatif, mais à ce qui est particulier, ou restreint – Claude Lévi-Strauss ne s'y était pas trompé. Et le contraire de symétrique n'est ni général (ou restreint), ni négatif (ou positif, ou nul). En fait, tout se passe comme si, pour les gradations de son axe, M. Sahlins avait volontairement choisi trois termes se situant dans trois champs conceptuels différents.
On ne voit d'ailleurs pas très bien ce qui est censé être « généralisé » ou « négatif » dans les réciprocités dont parle M. Sahlins. En quoi un don altruiste s'inscrirait dans un schéma plus « généralisé » qu'une razzia m'échappe. De la même manière, le caractère négatif de la réciprocité d'un vol semble assez discutable. Du point de vue de la société prédatrice, le bilan est au contraire positif  – à moins, ce qui est possible, que ce qui soit avant tout négatif soit la socialité et la durabilité de la relation ainsi établie.
Bref, cela n'est pas très clair et, d'une manière plus générale, on s'interroge sur les raisons pour lesquelles la réciprocité se voit ainsi promue comme aune à laquelle devraient être évalués l'ensemble des transferts, fussent-ils non réciproques – j'y reviendrai. Toujours est-il que l'opposition initiale entre ces différentes réciprocités et la redistribution se voit elle aussi passablement brouillée, dès lors qu'il s'agit d'expliquer la transition de l'un à l'autre. On lit ainsi que « la redistribution est une forme d’organisation des conduites de réciprocité, un système de réciprocité » (241)... ce qui n'empêche pas redistribution et réciprocité de s'opposer radicalement, en raison du fait qu'elles « impliquent (...) une organisation sociale très différente » (241). Cette dialectique me laisse, je l'avoue, assez perplexe ; d'autant plus lorsqu'au rang des phénomènes censés illustrer la redistribution, on voit citée la mise en commun de la nourriture au sein de la famille (assimilée, pour l'occasion, à une chefferie, p. 242)... dont M. Sahlins explique par ailleurs qu'elle est le lieu par excellence de la réciprocité généralisée.

La dimension juridique maltraitée

Un chef Powhatan de Virginie, dessiné en 1612.
Cette région connaissait alors de nombreuses formations sociales
traditionnellement appelées « chefferies ».
Dans ce tableau à grands traits, une des premières choses qui surprend est l'absence de définition précise des critères présidant à la classification. Il y a, dans la division tripartite entre réciprocité généralisée, symétrique et négative, quelque chose qui évoque de loin la tripartition des transferts proposée par Alain Testart entre don, échange et transfert du troisième type (t3t) – pour un exposé critique des conceptions d'A.Testart sur ce point, je renvoie vers ce billet. La réciprocité généralisée est en effet celle du « don libre » (existerait-il des dons qui ne le soient pas ?) « pour lequel il est inconvenant, voire antisocial, d’exiger une contrepartie » (244) – mais que fait-on lorsqu'en dépit de la morale sociale, la contrepartie a bel et bien été exigée ? La réciprocité symétrique est celle de « l'échange direct », et de la contre-prestation équivalente – mais alors, comment caractériser un transfert où la contrepartie est exigée, mais non équivalente, et celui où elle est équivalente, mais non exigée ? Quant à la réciprocité négative, elle correspond à une appropriation à sens unique - on n'est donc pas peu surpris d'y trouver, à côté du vol et de la razzia... le troc, au nom du fait que celui-ci procède d'un marchandage préalable (249).
Tout cela illustre que la réciprocité ne constitue guère une clé d'entrée pertinente pour appréhender les transferts de biens. Certains transferts se caractérisent précisément par l'absence de réciprocité – tout au moins, de réciprocité obligatoire : qu'il y ait réciprocité ou non, ils se définissent en-dehors d'elle. C'est par définition le cas du transfert du troisième type, le « t3t », tel que l'impôt, la compensation pour meurtre ou le versement d'une certaine part du gibier chassé en raison des relations de parenté (car la famille n'est pas seulement un lieu de dons ; elle peut fort bien connaître, elle aussi, des transferts obligatoires). C'est aussi le cas du don, qui ne se définit nullement par la présence ou l'absence d'une contrepartie. Les cadeaux faits aux amis ne sont pas moins des dons, et il ne sont pas libres et moins désintéressés du fait que ceux-ci rendent des cadeaux en sens inverse. Comme l'a fort justement souligné A. Testart, ce n'est pas la présence ou l'absence d'une contrepartie qui différencie le don de l'échange, mais le fait que la contrepartie est obligatoire, et liée de manière conditionnelle au transfert considéré. Dans l'approche de Sahlins, toutes ces lignes sont brouillées. À tel point que tout transfert, fût-il un « don libre », est considéré comme faisant partie de la catégorie générale des échanges, une confusion affirmée dès le titre de l'essai et réitérée à plusieurs reprises au cours du texte. 
Le manque de critères juridiques clairs dans la classification de Sahlins trouve son pendant dans la surabondance de critères supplémentaires qui l'encombrent et ajoutent à la confusion. Les différents types de réciprocité recouvriraient ainsi les différences dans la « promptitude à payer de retour » (244) (mais un contre-don, tout comme le solde d'un échange, peut aussi bien être immédiat que différé), le « degré de parité du contre-don » (244) (mais il existe des contre-dons équivalents, et des échanges de non-équivalents) ou les « autres caractéristiques matérielles et purement mécanistes de l’échange » (dont je ne parviens pas très bien à voir ce qu'elles recouvrent). M. Sahlins revendique cette inflation :
« D’où la possibilité d’introduire d’autres critères empiriques d’évaluation du degré de ‘satisfaction mutuelle des parties’, outre ceux de la parité et de la rapidité de paiement : le transfert initial peut être volontaire ou involontaire, répondre à une obligation simple ou contractuelle ; la compensation peut être librement consentie, exigée, extorquée ; l’échange avoir ou non fait l’objet d’un marchandage, être ou non comptabilisé et ainsi de suite. » (246-247)
Ainsi, une correspondance est censée lier la forme du transfert aux intentions morales qui le sous-tendent, puisque « l’exigence de contrepartie nous renseigne sur l’esprit de l’échange, sur son caractère intéressé ou désintéressé, impersonnel ou pitoyable » (245). Il existe pourtant des échanges désintéressés, comme lorsqu'on accepte d'acheter une vilaine breloque à quelqu'un dans le besoin, et des dons on ne peut plus intéressés, tels ceux que ces mécènes font à des fondations, avec la ferme intention qu'une plaque et quelques cérémonies flattent l'honorabilité de leur nom. Bref, de quelque côté qu'on se tourne, la réalité refuse de se ranger sagement le long de l'axe imaginé par M. Sahlins.
Terminons en remarquons à quel point, à propos des chefferies, M. Sahlins privilégie systématiquement les aspects redistributifs en minorant leur caractère inégalitaire et oppressif. Marquée par cette réciprocité qui est censée pétrir toute la matière sociale, la chefferie semble n'être sous sa plume qu'une institution organisant la réciprocité, une caisse altruiste de sécurité sociale, et nullement le germe des futures classes sociales et le lieu d'une exploitation d'ores et déjà bien installée. On lit ainsi avec étonnement que : « souvent un rang élevé ne s’obtient ou ne se soutient que par un déploiement de générosité outrancière : l’avantage matériel est du côté des inférieurs » (261). Autant la première partie de la phrase est incontestable, autant la seconde en vient à déformer singulièrement la réalité. Dans toutes les sociétés primitives où un personnage se trouve au centre des flux de biens et où son autorité politique autorise à parler de chefferie, ce personnage bénéficie de privilèges matériels tout à fait tangibles. Sa générosité est certes une condition pour que la société la place et le maintienne dans sa position ; mais elle est, au moins autant, l'alibi qui lui permet de justifier ses prélèvements et ses privilèges, sociaux et matériels. Ainsi en allait-il, par exemple, chez ces aristocrates tahitiens, qui se signalaient notamment par « le soin méticuleux qu'ils apportaient à leur corps et qui n'est possible que chez ceux qui ne sont pas astreints au travail manuel. » (M. Herskovitz, Economic anthropology, p. 475).

Qui trop embrasse mal étreint

Un des derniers potlatch, photographié en 1914
Au fond des problèmes que soulève le travail de M. Sahlins, il y a, je crois, une faute de méthode : celle de rechercher une classification qui puisse organiser les faits tout à la fois dans leurs dimensions formelles et sociales. Cette ambition est clairement revendiquée dès le début du texte, qui affirme avoir comme but de proposer « quelques suggestions portant sur l’interaction des formes, conditions matérielles et relations sociales de l’échange, au sein des sociétés primitives » (237). Or, et c'est là un point qui me semble essentiel, il n'y a aucune raison de penser que ces trois aspects (dans parler de tous ceux que M. Sahlins mobilise au passage au cours des pages suivantes) coïncident et qu'il soit, par conséquent, possible de les ordonner de manière commune le long d'un axe unique. Quand bien même ce serait le cas, je crois qu'un tel résultat ne pourrait être établi qu'en deuxième intention, après avoir dressé une classification raisonnée et indépendantes, de ces formes, de ces conditions matérielles et de ces relations sociales, et constaté leur éventuelle coïncidence.
Pour tenter d'illustrer le fait que les faits sociaux ne sauraient être enfermés dans quelques équivalences trop simples, je prendrai l'exemple du don - défini, dans un sens strict, comme une cession de biens non exigible et non conditionnée à une contrepartie exigible. Or, même dans ce sens le plus restreint (mais le seul qui permette réellement de mener un raisonnement rigoureux à son propos), ce « don libre » peut posséder des contenus sociologiques bien différents, selon le contexte dans lequel il s'insère. Je prendrai trois exemples, tous issus du continent américain.
Le premier, issu des sociétés amazoniennes non structurées par la richesse, est celui de ces chefs décrits notamment par Pierre Clastres ou Francis  Huxley : « C'est le rôle du chef d'être généreux et de donner tout ce qu'on lui demande : dans certaines tribus indiennes, on peut toujours reconnaître le chef à ce qu'il possède moins que les autres et porte les ornements les plus minables. Le reste est parti en cadeaux » (Affables sauvages, p. 63).
Le second est celui des riches Iroquois qui décidaient, d'une manière qui évoque les évergètes de la Grèce antique, d'abonder au trésor public de leur clan ou de leur village, afin de pourvoir à une dépense inopinée.
Enfin, le troisième exemple est celui du potlatch, cette distribution publique et munificente, où celui qui donnait démontrait ainsi sa puissance économique aux yeux de sa communauté, mais où celui qui recevait les biens prestigieux se voyait également honoré et confirmé dans son rang de membre de l'élite.
Ces trois transferts sont incontestablement des dons libres et, à ce titre, des incarnations de la « réciprocité généralisée » de M. Sahlins. Pourtant, leurs significations sociologiques ne pourraient être plus dissemblables. Le premier est sans conteste le plus altruiste ; le chef amazonien ne tirera aucune gloire, aucun prestige social particulier de sa générosité. Son principal bénéfice en sera une charge de travail accrue – on pourrait certes mentionner la polygamie, seul privilège du chef dans ces sociétés ; mais il n'est pas certain que celle-ci ait été davantage qu'une nécessité indispensable pour pourvoir à ses charges. Le riche Iroquois, lui, donne pour s'enorgueillir de son don. Son nom sera loué publiquement, et sa générosité vantée devant tous ; ce qu'il a cédé en biens matériels lui sera rendu sous forme de prestige social. Quant à l'Indien qui fait étalage de sa richesse lors du potlatch, il fait pour sa part en quelque sorte coup double. Non seulement il s'honore et valide aux yeux de tous sa place dans l'élite, mais les biens matériels qu'il a donnés ont toutes les probabilités de lui revenir tôt ou tard. Si, dans notre société marchande, « on ne prête qu'aux riches », sur la Côte Nord-Ouest, on ne donne - en tout cas, les biens les plus prestigieux – qu'à ces mêmes riches, avec le ferme calcul que ce qui a été donné aujourd'hui sera rendu demain : « donner sans considération de ce qui peut revenir en retour est considéré comme le summum de la folie. » (McIllwraith, cité par A. Testart, Le potlatch entre le don et l'usure, p. 21). Pour le dire autrement, autant le don amazonien est un vecteur d'égalité et de solidarité, autant celui de la côte nord-ouest est un don de différenciation, un don aristocratique et intéressé.
Il me semble que la typologie formelle des transferts de biens a été largement effectuée par A. Testart, puis par F. Athané – bien qu'on puisse encore l'affiner, ce que j'ai tenté de faire dans un article à paraître qui prolonge leurs analyses. En revanche, je ne connais pas de classification sociologique de ces différents transferts. Je soupçonne qu'au moins en ce qui concerne le don, la principale question serait son caractère personnel et public, tant en ce qui concerne celui qui donne que celui qui reçoit ; le don le plus désintéressé et/ou égalitaire se situait du côté de la collectivité et de l'anonymat (comme dans le cas du don d'organe), le plus intéressé et/ou hiérarchique du côté de l'individualisation et de la publicité (c'est le cas avec le potlatch). En tout état de cause, cette hypothèse parfaitement provisoire mériterait d'être scrupuleusement vérifiée.

2 commentaires:

  1. Mr Christophe Darmangeat,

    Bonjour, j'apprécie votre contribution et la clarté de vos propos de manières générale, mais doit constater que vos critiques sont toute aussi critiquables. Dans les trois cas que vous décrivez dans votre dernier paragraphe, aucun de ces dons n'est réellement libre. Ni celui du chef Guyaki/amazonien de Pierre Clastre et Huxley, ni celui des chefs kwakiutl et dignitaires du potlach, ni le chef iroquois ne donnent réellement librement selon l'acceptation de don libre que vous empruntez " je prendrai l'exemple du don - défini, dans un sens strict, comme une cession de biens non exigible et non conditionnée à une contrepartie exigible.

    En effet, dans les trois cas, le status de bien non exigibles fait débat, si le chef amazonien ne fait pas de cadeau et ne se dépouille pas de tout ce que vous qualifiez comme "dons", alors il perdra rapidement sa place de chef et sera contesté.

    Dans le cas des chefs iroquois qui surviennent à une dépense inopinée, on peut également voir cela comme un investissement dont le retour sur investissement sera diffus, si il ne fait pas ce don, sa légitimité, son honneur et la place préférentielle qu'il occupe dans la cellule de production et de consommation sera remis en cause, et la capacité de la cellule en générale sera amoindris, ce qui amoindrira également la reconnaissance de la prédominance de son statut sociale et même le statut du groupe par rapport à d'autre groupes en compétition.
    Enfin, de même, le dignitaire kwakitl qui ne donne pas ou ne peut soutenir compétition se verra immédiatement sanctionner par une chute de son rang social.

    expliquez moi alors en quoi les trois exemples que vous citez sont des dons libres, voir-même des dons ? Dans les trois cas que vous citez, ce qui caractérise les systèmes sociaux, c'est que les statuts sont accordés ou rétrocédé en fonction de la capacité à soutenir un type d 'échange définis à long termes, en fonction des différents système de répartition de la richesse.

    De même, la contre partie, si elle n'est pas directement exigible, conditionne bien souvent la possibilité de donner, si le chefs n'avaient pas 4 femmes et 10 enfant qui "produisent" pour lui, il ne pourrait pas redistribuer et satisfaire au besoin de la tribu. Le don a priori libre apparaît donc comme une condition d’accès ou de maintien au pouvoir. Mais il est vrai que le don d'organe, sur lequel Margaret Lock à produit une très intéressante ethnographie, pose quand à lui des questions sur le don libre, puisque celui qui donne ne peut attendre ni réciprocité directe, ni diffuse.

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    1. Bonjour

      Pour commencer, le terme même de don libre me semble de nature à fausser la discussion ; c'est pourquoi, si je le reprends de Sahlins, c'est toujours entre guillemets. En effet, soit cette "liberté" concerne uniquement l'aspect juridique de l'acte, et alors l'expression est un pléonasme : car ce qui définit le don, c'est précisément de ne pas être obligatoire, c'est-à-dire passible d'une sanction judiciaire en cas de manquement. Soit la "liberté" porte sur l'absence de pression morale ou sociale, et jamais personne, je crois n'a nié que le don pouvait être soumis à ce genre de déterminations - chacun peut en faire l'expérience en venant à une soirée familiale de Noël en étant le seul à ne pas amener de cadeaux.
      Dans mon billet, j'en reste au premier sens, le seul qui à mon avis (et en fait, à celui de Testart, que je ne fais que suivre) permet de différencier le don des autres types de transferts. Que risquent les chefs amazoniens ou iroquois, ou les nobles de la Côte Nord-Ouest ? Perdre leur prestige, leur honneur, ou même leurs fonctions s'ils en ont une, certainement. Se retrouver endettés sur leurs biens personnels et devoir répondre de cette dette devant la justice tribale, certainement pas. Voilà pourquoi, sans aucun doute possible, il s'agit bel et bien d'un don.
      Cordialement

      PS : si vous voulez creuser l'argumentaire (limpide) qui m'a convaincu de ces critères, je vous recommande chaudement le livre Critique du don, d'Alain Testart, qui le développe en détail.

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