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Deux traductions parues dans « Sociétés plurielles »

Le dernier numéro de la revue Sociétés plurielles comporte deux traductions effectuées par mes soins. Pour chacune, j'ai également rédigé une brève introduction que je reproduis ici. Ces deux textes sont particulièrement intéressants et, chacun à leur manière, éclairent la manière toujours renouvelée dont les identités nationales ou ethniques tentent, pour reprendre une expression galvaudée, de prendre la science en otage.

1. Agriculteurs ou chasseurs-cueilleurs ? Le débat autour de Dark Emu (Peter Sutton, Keryn Walshe)

Le livre Dark Emu (2014), écrit par Bruce Pascoe, plaide pour une révision drastique de la vision des peuples aborigènes au moment de la colonisation de l’Australie. Traditionnellement présentés comme des chasseurs-cueilleurs nomades, ceux-ci auraient en réalité été pour une bonne part des villageois pratiquant certaines formes d’agriculture et de pisciculture, autant d’éléments dissimulés par ceux qui voulaient s’approprier leurs terres, forgeant ainsi une version mensongère perpétuée par la tradition anthropologique. Cette thèse provocatrice a connu un immense retentissement en Australie, où elle a suscité de très âpres polémiques. Le livre de Peter Sutton et Keryn Walshe en constitue la première réfutation émanant de spécialistes académiques – par ailleurs, profondément impliqués dans la défense des droits des communautés aborigènes.

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2. « Voilà les anthropos » : à quoi sert un archéologue ? (John Whittaker)

À partir d’une chanson dénonçant les anthropologues et des préhistoriens comme irrespectueux des cultures qu’ils étudient, l’article propose une réflexion sur le rapport entre les cultures disparues et leur étude scientifique inspirée de l’expérience personnelle de l’auteur. Il examine ensuite le NAGPRA, loi fédérale sur « la protection et le rapatriement des tombes des natifs américains » qui, en 1990, a conféré aux communautés amérindiennes des droits étendus sur divers biens culturels et sites archéologiques. Il souligne notamment les effets paradoxaux, sinon pervers, d’un tel dispositif législatif, qui n’a pas forcément contribué à une meilleure connaissance (et reconnaissance) des sociétés précoloniales d’Amérique du Nord.

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6 commentaires:

  1. Marc Guillaumie16 mai, 2023 11:16

    Merci Christophe, pour ces deux beaux articles, et pour votre travail de traduction.
    Celui de John Whittaker expose très bien les ambiguïtés de la notion de "respect". La loi dite NAGPRA, sous des dehors progressistes, semble en réalité inspirée par l'indifférence ou le mépris à l'égard du passé. Elle ouvre la voie à des revendications identitaires délirantes : comme si nous autres Français, par exemple, réclamions le droit d'interdire à des historiens étrangers (p. ex. Eric Hobsbawm) de travailler sur le pétainisme ! Ce serait non seulement stupide, mais dangereux pour nous.
    L'autre article, sur le livre de Pascoe, est salutaire aussi. Il s'inscrit à mes yeux dans un mouvement extrêmement utile de dénonciation scientifique des pseudo-"révélations" tapageuses, comme vous l'aviez fait sur ce blog même avec Yann Kindo, à propos du livre de Federici. Apparaissent encore une fois la vulgarité et la suffisance de ces idées apparemment très progressistes, en réalité obscurantistes et rétrogrades, mais faciles à penser : indigénisme grossier, pseudo-féminisme, etc., qui ne s'encombrent pas du respect des faits.
    Pascoe semble (je n'ai pas lu son livre et n'en ai pas envie) souscrire sans s'en apercevoir à la vision la plus datée et la plus occidentalo-centrée, pour ne pas dire la plus raciste : pour lui, les cultures sont classables sur une échelle, en fonction de leurs réalisations techniques !
    Les deux articles sont un beau plaidoyer pour les valeurs humanistes qui animent les anthropologues.

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  2. Marc Guillaumie19 mai, 2023 15:55

    PS : j'attends avec une grande délectation anticipée le moment où tu auras le temps et l'envie d'écrire une note de lecture sur le livre de Yuval Harari...

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    1. Cela fait plusieurs années qu'on m'en parle mais franchement, vu ce que j'en entends, je n'ai pas trop envie de me coller à cela...

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  3. Je comprends... Mais c'est dommage, car ce best-seller mondial mériterait un sérieux déboulonnage, mené par un (ou des) spécialiste(s). D'ailleurs, peut-être cela a-t-il déjà été fait ? Je l'ignore.
    Sans être ce spécialiste, je relève parmi les âneries hararesques : le cerveau est un muscle, ou quasiment ; il y a eu en -70 000 une révolution cognitive, après quoi tout a changé ! (sans doute l'apparition du monolithe de "L'Odyssée de l'espace") ; etc.

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  4. Emmanuel Florac21 mai, 2023 17:52

    Il y a une excellente critique sur le blog "anthropogoniques" de Fabien Abraini :
    https://anthropogoniques.com/2020/05/09/yuval-noah-harari-sapiens-lecture-critique-1-une-revolution-culturelle/

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    1. N'ayant pas lu Sapiens, je me dois de rester prudent, mais j'ai un a priori favorable pour les options de Fabien Abraini, dont j'ai pu constater à plusieurs reprises qu'il est quelqu'un de très rigoureux.

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