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Une classification des buts de guerre

K. von Clausewitz

Je n'oublie pas la discussion avec Jürg Helbling, à qui je répondrai dans les meilleurs délais, mais chaque chose en son temps : pour l'heure, je remets une fois encore sur le métier la question de la classification des conflits collectifs armés. Depuis plusieurs mois, j'ai déjà esquissé plusieurs tentatives en ce sens, qui ont donné lieu à de riches discussions – le lecteur intéressé pourra aisément retrouver les billets concernés. Pour clore en beauté (?) cette année 2022, je tente donc d'avancer d'une case sans revenir explicitement sur chacun des points en débat, ce qui serait un tantinet fastidieux, mais en listant les aspects qui me semblent importants. Même si elle est un peu aride, cette forme aura je l'espère le mérite de la clarté.

1. Questions de classification

  1. La classification des conflits doit s'effectuer selon leurs buts et non selon leur forme militaire (raids, batailles rangées, ou autres...) – le mélange de ces deux approches constitue une erreur fréquente.
  2. La notion de but (ou de motif) révèle rapidement une double dimension. D'une part, celle qui relève de la nature du but poursuivi, d'autre part celle qui touche à l'ampleur que l'on souhaite donner au conflit. Ainsi que l'expliquait bien Testart dans son manuscrit inédit sur le politique, il existe des « engagements à finalité limitée » – cette limite ne provenant pas des contraintes liées à un rapport de force insuffisamment favorable, mais étant intrinsèquement liée aux motivations elles-mêmes. L'exemple princeps est fourni par les conflits de vengeance : dans leur version illimitée, ils peuvent aller jusqu'à l'extermination de l'adversaire. Dans leur version limitée qu'est le feud, ils visent à tuer un nombre déterminé d'individus afin de rétablir un équilibre des pertes. Or on retrouve cette dichotomie entre conflits à finalité limitée et conflits sans limites a priori pour d'autres objectifs que la vengeance.
  3. Point de vocabulaire : le terme de « conflits » est suffisamment général pour englober les deux catégories. Le terme de « guerre », pour sa part, devrait être réservé aux conflits sans limites a priori (le feud n'est pas une guerre). Je ne vois aucun mot qui puisse remplacer les « engagements à finalité limitée ». Je me demande cependant si le terme d' « engagement » ne rabat pas un peu trop le propos sur les opérations militaires stricto sensu. Comme le soulignait B. Boulestin, le feud et la guerre ne sont pas en eux-mêmes des formes d'affrontements, mais des états, des situations d'hostilité, qui induisent ces affrontements. Ma préférence irait donc à une locution telle que « conflits à finalité (ou à portée) limitée ».
  4. La classification des objectifs des conflits n'est pas une classification des conflits eux-mêmes ; elle n'en est que le nécessaire préablable. Pour employer une métaphore, la première est à la seconde ce que l'atome est à la molécule. C'est un aspect qui a suscité beaucoup de réactions lors des précédents billets, mais qui relève, me semble-t-il, d'une question de méthode. Dans la réalité se mêlent volontiers, et de manière complexe, plusieurs objectifs. Certains seront principaux, d'autres secondaires. Certains seront avoués, d'autres plus ou moins cachés, d'autres encore ne seront que des prétextes. Tout cela est absolument incontestable, mais le problème est que pour pouvoir mener l'analyse au niveau où les phénomènes se manifestent, c'est-à-dire au niveau de cette complexité, il faut commencer par la mener au niveau le plus simple, c'est-à-dire à celui de ses éléments constituants. C'est ce que je tente de faire ici.
  5. L'inventaire des buts de guerre soulève la question des guerres qu'A. Testart appelle « politiques » : celles qu'un État mène contre un autre. Ce type d'objectif soulève un problème particulier ; on imagine mal, en effet, qu'il puisse constituer un but en soi. Quand un État en combat en autre, c'est toujours en vue d'obtenir autre chose : des ressources, bien sûr, mais aussi de la puissance politique... dont on peut se demander si elle est autre chose que la garantie de ressources présentes et futures (une affaire d'œuf et de poule, en quelque sorte). Bref, les guerres politiques sont fort difficiles à intégrer dans une classification générale. A. Testart, non sans quelques hésitations, en faisait une catégorie à part ; je me demande si elles ne constitueraient pas plutôt une dimension supplémentaire qui se superposerait à celles que j'expose ici. Quoi qu'il en soit, et à mon grand regret, je considère pour le moment ce dossier comme ouvert et non résolu.
  6. Sur les bases précédentes, la principale difficulté concerne le traitement de phénomènes divers, qui possèdent une certaine cohérence d'ensemble, et dont le plus connu est ce qu'il est convenu d'appeler la « chasse aux têtes ». Selon quels critères, en effet, classifier de tels objectifs, que l'on retrouve par exemple chez les célèbres Jivaros, ou parmi différents peuples néo-guinéens, tels les Asmats ? Un conflit poursuivi dans ce but entre nécessairement dans la catégorie globale des conflits pour l'appropriation de ressources. Il pose toutefois un problème spécifique, dans la mesure où si l'on voit bien l'utilité de faire main basse sur des métaux précieux, des territoires, des esclaves ou des femmes, on voit nettement moins celle de risquer sa vie pour ramener des têtes ou des dents. Dès lors, il serait tentant de dinstinguer entre ressources réelles ou imaginaires.
    Une telle distinction n'est pas dénuée de pertinence : on peut soutenir qu'il y a une différence entre se procurer de véritables ressources, qui vont donc contribuer à augmenter objectivement la force de ceux qui les acquièrent, et des ressources qui n'en possèdent que le nom, et qui n'apporteront aucun effet. Cependant, une telle option reviendrait à mélanger deux niveaux d'analyse. De même que chez nous, pour l'analyse de la valeur ajoutée, l'analyse économique ne distingue pas entre productions utiles ou nuisibles, on ne voit guère pourquoi, dans les conflits visant à s'approprier des ressources, on devrait, en quelque sorte de l'extérieur, faire le tri entre ressources vraies et fausses. Du point de vue de ceux qui les convoitent, et donc des logiques sociales qui sont à l'œuvre, ces ressources sont toutes « vraies », et à ce niveau de l'analyse, c'est cela qui compte. Ceci apparaît d'autant plus clairement que l'on pense non plus à des substances organiques telles que des têtes, mais par exemple à l'ocre : faudrait-il le traiter différemment, par exemple, d'autres biens matériels, au motif que son utilité concerne des cérémonies religieuses ? Au demeurant, on ne se demande généralement guère en quoi des biens de luxe ou de prestige sont réellement des ressources. Pourtant, ce sont les buts de pillage les plus banals de tous, qui sont rarement employés à des fins productives...
    Aussi, l'approche proposée ici consiste à distinguer les ressources selon leur nature, dans la mesure où cette nature induit des logiques sociales ou militaires spécifiques. Ainsi, on doit distinguer, par exemple, les ressources humaines des ressources non humaines : l'appropriation des premières suppose nécessairement un exercice victorieux de la force (pour simplifier, une défaite militaire). Au sein des ressources non-humaines, l'appropriation de celles qui sont mobilières peut s'effectuer sans modification des peuplements ; inversement, la mainmise sur des ressources immobilières (terres, mines, lieux de pêche) suppose des déplacements de population ou, à tout le moins, une prise de contrôle politique des habitants. Au sein des ressources d'origine humaine, il faut impérativement distinguer celles qui supposent la mise à mort de l'individu de celles qui exigent au contraire qu'il reste vivant. Dans ce dernier cas de figure, il peut être intégré comme esclave ou en tant que membre de plein droit de la société victorieuse, avec tout le gamme des combinaisons intermédiaires entre ces deux options. Insistons sur le fait qu'au sein des ressources supposant par essence la mise à mort de l'ennemi, il n'y aurait en revanche aucun sens à opérer une distinction selon les différentes parties du corps concernées. Une telle classification ne recouvrirait pas des logiques sociales : on pourrait fort bien vouloir pour les mêmes raisons quérir ici des têtes et là des pieds, de même qu'on peut vouloir quérir des têtes ici et là pour des raisons différentes.
  7. Voici donc une proposition de classification. Les mentions portées dans les deux colonnes de droite ne prétendent évidemment pas à l'exhaustivité : comme je le disais plus haut, bien des conflits correspondent à une combinaison plus complexe de motifs. Mais ces éléments, bien connus en ethnologie, représentent en quelque sorte des formes pures, qui aident à fixer les idées.

    2. Quelques points supplémentaires

    a. Richesse et appropriation de ressources

    On a tendance à penser (c'était mon cas en entreprenant cette recherche) que la richesse, définie de manière rigoureuse, joue un rôle crucial dans les buts de guerre ; en gros, que les conflits pour les ressources apparaissent avec la richesse. Plus je lis, et plus cette idée me semble fausse, dans les deux sens – ou en tout cas, elle ne me paraît juste que de très loin. Pour commencer, il existe des sociétés sans richesse (le monde I d'A. Testart) dans lesquelles l'acquisition de ressources fait partie des buts de guerre. C'est par exemple le cas chez les Andamanais, où on lit sous la plume de Man (1886 : 383) que :

    La propriété du vaincu est traitée sans guère de formalités : tout ce qui est transportable est approprié, et tout le reste est endommagé ou détruit.

    Inversement, même dans les sociétés du monde II, où la richesse connaît déjà un développement certain, je suis frappé par la place relativement secondaire, pour ne pas dire accessoire, qu'elle occupe dans les buts de guerre. Je suis évidemment loin d'avoir fait le tour du monde, mais dans des aires telles que l'Amazonie ou la Nouvelle-Guinée, on est plutôt frappé par le fait que les conflits restent dominés par les questions de ressentiment plutôt que par l'appât du gain. C'est aussi valable, par exemple, chez les Iroquois, où domine la guerre de capture – avec un esclavage présent, mais semble-t-il assez peu développé. Tout se passe donc comme si la richesse avait tardé à prendre dans les buts de guerre l'importance qu'elle pouvait avoir dans la société. Si mon impression est justifiée, il y a là un paradoxe assez intrigant.

    b. La chasse aux têtes existe-t-elle ?

    Une tête chassée
    chez les Mundurucu (Amazonie)

    La question pourra paraître provocatrice, voire purement rhétorique, tant il est évident que de nombreux peuples ont décapité leurs ennemis. En réalité, le problème est de savoir s'il existe un phénomène spécifique autour de cette coutume (et d'elle seule). A. Testart avait commencé à réfléchir à la question, en distinguant soigneusement les cas où la décapitation est un simple sous-produit d'un affrontement qui existerait indépendamment d'elle, de celle où elle constitue le but des opérations militaires. C'est seulement dans cette seconde configuration qu'il convenait selon lui de parler de chasse aux têtes. Dans le premier cas, les têtes n'étaient rien de plus que des trophées – des prises dont leur auteur pouvait s'enorgueillir et tirer du prestige, voire de simples moyens d'attester la mort de leur propriétaire. Cependant, une fois le phénomène restreint à cette définition, il faut se demander d'une part si on ne continue pas à inclure, sous un même chapeau, des réalités différentes, d'autre part si l'on n'a pas écarté des phénomènes qui relèvent pourtant de la même nature.

    Dans la première catégorie, si l'on prend l'ensemble des cas où les têtes constituaient bel et bien le but des opérations, il existe au moins une situation limite : celle des Bugkalot de l'île de Luzon, où l'acte de la prise de la tête se confondait littéralement avec l'exercice du feud, comme l'indiquent les différents textes, fort détaillés, que l'on possède sur le sujet. Ainsi, par exemple :

    Tout comme la plupart des groupes de chasseurs de têtes d'Asie du sud-est, les Bugkalot considèrent la chasse aux têtes comme une source de fertilité, de bien-être, de vitalité et de renouveau (M. Rosaldo 1977, 1980 ; R. Rosaldo 1986). Cependant, ce n'est pas parce qu'en prenant les têtes, on acquiert la « substance de l'âme » ou « l'âme-substance » des victimes (Kruyt 1906, cité par Needham 1976). En fait, les Bugkalot constituent un cas exceptionnel en ce qui concerne le traitement de la tête. La tête coupée, en plus de ne pas constituer l'élément central ou le symbole dominant du rituel de la chasse aux têtes, n'est même pas ramenée au campement, mais simplement jetée au sol et laissée là. Les Bugkalot expliquent la chasse aux têtes non par les croyances spirituelles ou la cosmologie, mais par les désirs des hommes qui (à cause d'une insulte, d'un chagrin ou d'un sentiment d'inadaptation de leur jeunesse) ont ressenti un « poids » dont ils se débarrasseraient dans leur « cœur » en jetant la tête coupée. On dit qu'une chasse à la tête réussie « allège » des pensées troubles et perturbées, et procure aux tueurs, ainsi qu'à la communauté dans son ensemble, via la célébration, une énergie et une vitalité renouvelées (M. Rosaldo 1977, 168).

    On est donc clairement devant un cas-limite. Mais le problème le plus grave que pose la « chasse aux têtes » est d'exclure une série de pratiques qui, du point de vue de leur signification sociale, procèdent clairement de la même logique. Ainsi, par exemple, les Yagua, qui « chassaient » non les têtes, mais les dents, et sur lesquels Chaumeil (1985) écrit :

    [Les Yagua] ne ramenaient jamais au village, ni les corps laissés sur place, ni les têtes sectionnées de leurs ennemis qu'ils cuisinaient sur le chemin du retour pour en extraire les dents. Les lieux de cuisson des têtes étaient d'ailleurs tenus dans le plus grand secret et le retour était accompagné d'une chasse collective de plusieurs jours qualifiée d'extrêmement productive, en tout cas sans commune mesure avec les chasses habituelles. (...) Nous savons par ailleurs que les épouses des guerriers portaient tout spécialement les ceintures de dents au moment des semailles pour, disait-on, favoriser là croissance du manioc et des plantains. (...) Les dents sont donc le siège d'une « force vitale », appelée harie, dont tout individu est doté. La coutume qui consistait à extraire les dents des ennemis tués au combat pouvait alors s'interpréter comme l'appropriation d'une force vitale exotique, ou si l'on veut, comme la dissolution d'une force équivalente chez l'ennemi, donc visant à l'affaiblir. (p. 151-152)

    En fait, et même s'il serait beaucoup trop long de justifier ici cette proposition, je crois pouvoir affirmer que derrière l'ensemble des coutumes de chasse « aux têtes » ou à d'autres parties du corps, et quelles que soient les variations locales des croyances sur les bénéfices que ce butin est censé apporter (identités ; fertilité ; « âme » supplémentaire) il y a la fétichisation d'une réalité : celle d'un monde sans croissance économique ni démographique perceptible, qui engendre dans certaines cultures l'idée que la seule manière de renforcer la vie chez soi est de capter et de s'approprier la vie ailleurs. Si j'ai raison, alors il convient de ranger dans une seule est même catégorie, celle de la captation de substances vitales efficientes, l'ensemble de ces pratiques, quelle que soit la partie du corps qui a été fétichisée à cette fin.

    c. Encore quelques éléments pour terminer

    Un guerrier aztèque
    représenté dans un Codex (vers 1550)

    Ce billet est déjà bien long, mais je dois ajouter quelques pistes supplémentaires pour terminer. Pour commencer, à propos de la « guerre fleurie » des Aztèques, qui capturaient des prisoniers vivants, dans le but de les sacrifier en bonne et due forme pour recharger l'Univers en énergie et retarder sa fin.

    Du point de vue de la symbolique mise en oeuvre, cette guerre possède une indéniable proximité avec la captation de substances vitales efficientes : le fait que dans un cas, on tue sur place pour ne ramener que le morceau choisi et que dans l'autre, on ramène le prisonnier vivant afin de le tuer de manière à obtenir l'effet voulu n'est qu'un détail de forme. Il y a derrière les deux coutumes la même idée que la vie de l'ennemi, sous la forme matérielle de telle ou telle organe ou substance, est un ingrédient indispensable pour que se perpétue la vie chez soi. La différence frappante tient avant tout à l'échelle des opérations. Partout ailleurs, la captation de substances vitales efficientes s'effectue sur une échelle limitée : on tue un individu, au plus une maisonnée ou quelques membres d'un village. Chez les Aztèques, la tuerie prend des porportions véritablement stupéfiantes : les historiens semblent s'accorder sur le fait que l'inauguration du Grand temple de Mexico-Tenochtitlan, on exécuta 80 000 personnes !

    Ce changement d'échelle tient évidemment au fait que les Aztèques étaient organisés en État, et possédait donc une puissance militaire hors du commun avec des sociétés telles que les Jivaro ou les Asmats. Mais il y a aussi, me semble-t-il, une autre dimension tout aussi importante : c'est que partout, la captation de substances vitales efficientes s'organise autour de l'idée que chaque tête, dent, etc. prise va contribuer à la croissance ou à l'identité d'un individu particulier. Tout comme dans le feud, on limite le nombre de victimes du fait même que le but consiste à équilibrer des pertes, dans la chasse aux têtes, on ne tue que dans la mesure où l'on doit « approvisionner » un nombre restreint et identifié d'individus. Avec les Aztèques, ce qui change, c'est aussi que l'énergie vitale n'est pas directement transférée de l'ennemi au vainqueur ; elle prend désormais le chemin d'un sacrifice, en étant affectée à un troisième acteur (les dieux, le cosmos) virtuellement insatiable. C'est aussi cette particularité idéologique qui ouvre la porte à des sacrifices toujours plus nombreux, menés sans doute aux dépens d'une « bonne gestion » de leur supériorité militaire et économique et qui a probablement contribué à leur perte.

    Restent encore deux questions sans réponse. La première, qui intriguait déjà Alain Testart, est de comprendre pourquoi la chasse aux têtes (et, plus généralement la captation de substances vitales efficientes) semble se concentrer sur le monde II et être virtuellement absente des sociétés sans richesse – alors même que, si j'ai vu juste sur l'origine du phénomène, les mêmes causes auraient dû produire, au moins par endroits, les mêmes effets. La seconde question tient à l'absence assez curieuse, dans ce complexe de croyances, du cannibalisme. Finalement, on favorise la vie chez soi en incorporant l'ennemi de diverses manières possibles au travers de rituels compliqués, ces rituels incluent parfois, à titre accessoire, des actes de canibalisme, mais à ma connaissance, nulle part on n'a observé une coutume consistant à favoriser sa propre existence de la manière la plus directe qui soit, c'est-à-dire en considérant que l'essentiel était d'ingérer l'ennemi.

14 commentaires:

  1. Hello

    Je me demandais bien quand tu allais dégainer ;-). Pour répondre pêle-mêle :
    – si on ne classifie pas les conflits armés par leurs buts, quel autre critère suggères-tu ? Je n'en vois que deux possibles : la forme des opérations militaires, ou le type de société concernée. Dans les deux cas, ça ne me semble mener nulle part...
    – limité / non-limité, oui, ce n'est pas génial, mais l'idée tourne bien autour de cela (sachant qu'il s'agit sans doute autant d'une gradation que d'une vraie opposition de nature, et qu'il y a des cas intermédiaires). « Portée circonscrite » ?
    – ressource et richesse, je continue à tiquer. D'une part parce que même dans le monde I, il existe une forme de richesse (celle que j'appelle « élémentaire »). Et que les Andamanais, par exemple, pillent à l'occasion, même si cela ne semble jamais être l'objectif principal. Et d'une manière générale, qu'on s'empare d'objets, de terres ou d'humains qu'on ne va pas revendre, ou qu'on s'en empare avec la possibilité, voire la volonté, de les revendre, qu'est-ce que cela change sur le fond ? Donc peut-être que je passe à côté d'un truc, mais pour le moment, tout ce que je peux tirer de mes lectures c'est que les conflits à propos des ressources économiques (qu'il s'agisse de richesses ou non) sont (très) rares dans le monde I, et qu'ils se développent progressivement dans le monde II - où ils se superposent aux conflits pour d'autres buts qui continuent d'y exister, voire d'y dominer.
    – « Où trouve-t-on des conflits dont le but serait d’intégrer des êtres vivants par adoption ou mariage? ». Euh... là où c'est écrit en toutes lettres dans le tableau ? ;-)
    – Pour la guerre fleurie, en fait, il y a diverses versions selon ce qu'on lit (et sans doute faudrait-il la positionner à cheval sur les deux colonnes). Il y a certes des cas où elle entre dans le cadre limité, mais j'ai aussi vu des textes affirmant qu'à l'occasion de batailles à grande échelle, on s'efforçait de faire le plus de prisonniers possible (et pour sacrifier ensuite 80 000 personnes, de toute façon, il ne faut pas mégoter sur les captures !)
    – La guerre fleurie vise clairement à obtenir de la matière sacrificielle. Les gens sont ramenés vivants dans l'unique but d'être sacrifiés et, durant le temps de leur détention, on n'en tire pas de profit économique (et on ne les adopte pas, sinon sous une forme très métaphorique). Bref, le mode sacrificiel exige que l'acte soit un peu différé par rapport à la capture, mais à mon avis il n'y a en l'occurrence aucune ambiguité, ni aucun recouvrement (et je le répète, cela pourrait être le cas, parce que la liste proposée inventorie des motifs que les situations concrètes peuvent fort bien combiner de manière plus complexe).
    Et avec un peu d'avance : bonne année !

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  2. Ces temps-ci, je suis long à la détente 😉 !
    – Critère :
    Je suis d’accord avec toi sur le fait que la forme des opérations ou le type de société ne peuvent pas fonctionner. Mais il y a peut-être autre chose à voir. Pour l’instant, rien de concret, je ne fais qu’y réfléchir.
    – Limité/non limité :
    On peut laisser cette question de côté pour l’instant dans la mesure où on a l’idée. Je me demande si l’opposition n’en reflète pas une plus fondamentale.
    – Ressource/richesse :
    Nous avons manifestement là un point de désaccord, mais qu’il va vraiment falloir éclaircir, parce que ça conditionne beaucoup de choses. Tout dépend de ce qu’on appelle richesse. Je suis d’accord qu’il y a de la richesse dans le monde I, tout comme il y a une richesse naturelle de certains territoires. Mais il n’empêche que si on parle de richesse socialement utile, au sens de Testart ou au tien, de celle des mondes II et III, donc, une ressource n’est pas équivalente à une richesse. Pour moi, différencier non seulement change sur le fond, mais est à proprement parler fondamental. Et sinon, les Andamanais ils pillent des ressources ou de la richesse, puisque socialement ils n’en font rien 😉 ?
    – Conflits d’intégration :
    Oui, j’ai bien vu que c’était dans le tableau, justement. Mais ça existe en vrai ? Tu as des sources ?
    – Guerre fleurie :
    • De ce que je connais de la guerre fleurie par les spécialistes du coin qui ont écrit dessus, et il semble qu’elle soit très bien documentée, elle a toutes les caractéristiques de quelque chose de limité. La différence est d’autant plus flagrante que les Aztèques faisaient aussi de « vraies » guerres, et que ce n’était pas du tout pareil. Après, qu’ils aient parfois capturé des centaines de pékins, c’est autre chose : il ne faut pas confondre le type de conflit et son ampleur.
    • Si tu ne vois pas où est le problème, il y a un problème 😁. D’abord, tu pars du principe que guerre fleurie et chasse aux têtes sont dans la même case. C’est possible (et tu sais que personnellement je le pense aussi), mais ça reste encore à argumenter plus avant (il y a du pour, mais aussi du contre). Mais si tu es objectif, tu ne peux pas faire autrement, selon ton critère, de classer les captifs de la guerre fleurie dans les êtres vivants. C’est avec ce qu’on en fait après que ça se subdivise (et là, je veux bien faire une troisième catégorie, encore qu’il n’est marqué nulle part que la dépendance doive être de nature économique). Le souci, en fait, c’est que tu subdivises les humains en deux catégories, mais avec des critères différents. L’opposition ne devrait pas être « substance vitale » (ce à quoi va servir ce que tu récupères) vs « vivant » (ce que tu récupères), mais soit « partie d’humain mort » vs « humain vivant » (ce que tu récupères) soit « substance vitale » vs « autre » (ce à quoi ça sert).
    Et bonne année aussi !

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  3. Chez les Iroquois, un raid peut être déclenché, par les femmes, pour faire des prisonniers (Viau, p. 85 ; je suppose que c’est à lui que tu te réfères). Ce n’est qu’ensuite que certains de ces prisonniers pourront être adoptés, tandis que d’autres seront torturés et tués et d’autres encore réduits en esclavage. De fait, je ne crois pas qu’on puisse dire que l’intégration est un but premier, au même titre qu’ailleurs capturer des esclaves et le but primaire et avéré d’un raid. Pour les femmes et les enfants, quand tu dis « souvent », j’aimerais bien savoir où : on parle bien d’intégration, pas de mise en dépendance, donc qui fait des raids expressément et dans le but premier de ramener des enfants à adopter ou des femmes à épouser ? J’ai tout de même l’impression que c’est partout un corolaire uniquement.

    Pour les substances, oui, il y a des cas publiés de scalp où les gens ont survécu. Ça ne devait d’ailleurs pas être si exceptionnel que ça : scalper n’est pas mortel en soi, c’est souvent la surinfection qui tuait. Donc, ce n’est peut-être pas si limite que ça. Pour la vertu attribuée à une matière organique humaine impliquant la mise à mort, il y a au moins un contre-exemple : tous les trafics autour des cheveux chez les Aborigènes australiens. Cela étant dit, sur la pertinence de la classification, je reste mitigé. Qu’il y ait éventuellement une parenté entre sacrifice et chasse aux têtes, beaucoup l’on écrit depuis longtemps, mais comme on ne voit toujours pas par quel mécanisme fondamental, ça reste une hypothèse. Qu’après ça doive forcément tomber dans la même case selon de tes critères, je n’en suis pas convaincu : il y a un côté tiré par les cheveux, sans jeu de mots.

    Sur la richesse et les buts de guerre, nous sommes donc en désaccord et il faudra d’évidence y réfléchir plus amplement. Je note simplement que si l’on te suit jusqu’au bout, il n’y a plus rien du tout de spécifique aux conflits du monde II par rapport au monde I, puisque tous les motifs de baston dans le premier existent dans le second. D’abord, ça me gêne considérablement. Ensuite, je vais m’assoir et te regarder essayer de convaincre de ça tous ceux qui estiment que la guerre pour le pillage n’existe qu’à partir du monde II (ce qui était le point de vue de Testart), ou essayer d’expliquer pourquoi on ne fait pas d’esclaves de guerre dans le monde I 😎.

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  4. C'est bizarre, parce que j'ai l'impression que plus on discute, moins on se comprend, et je n'arrive pas à savoir s'il s'agit d'une série de malentendus ou si cela traduit des problèmes plus profonds.
    Pour commencer, j'ai parfois l'impression que dans ton esprit, les buts qui figurent dans cette liste sont censés être d'une part exclusivement des buts de guerre (au sens de conflits « sans limites »), d'autre part des buts principaux. Je plaide en partie coupable, car le mot « guerre » figure dans le titre de cet article et j'aurais dû m'appliquer à moi-même les règles de vocabulaire que je formulais dans le texte : et donc parler non d'une classification des guerreq mais, de manière plus générale, de classfication des conflits. Donc, ainsi que l'illustrent les deux colonnes du tableau, je tente d'inventorier les objectifs d'opérations armées collectives, quelle que soit leur portée. L'autre aspect, c'est que ces objectifs sont inventoriés, qu'ils existent à titre principal ou secondaire. Certes, certains d'entre eux ne constituent semble-t-il jamais des buts principaux, et en tout cas pas des buts principaux de guerres (au sens strict). Ce type de constatation soulève la nécessité d'une explication, mais elle ne diminue en rien la nécessité de devoir les recenser.
    C'est peut-être cela qui est à l'origine de notre divergence d'appréciation à propos des Iroquois ; on peut certes discuter pour savoir si l'intégration / adoption des captifs constitue le but principal de leurs opérations militaires mais, à ce qu'il me semble, elle faisait incontestablement partie des buts. C'est peut-être aussi le même problème qui grève la discussion sur la richesse. J'en discute d'autant plus sereinement que mon idée initiale était la tienne : en toute logique apparente, la richesse avait dû bouleverser les motifs de conflits, et les objectifs des conflits du monde II devaient être très différents de ceux du monde I. En fait, ce n'est pas si net et, comme je le disais, j'ai plutôt le sentiment d'une gradation que d'une rupture. Les conflits sur les ressources (que ces ressources fonctionnent comme richesse ou non) sont rares, mais pas inconnus dans le monde I. Et ils deviennent plus fréquents, mais pas hégémoniques (tant s'en faut), dans le monde II - je me demande même si ce n'est pas avec le monde III qu'ils prennent vraiment une place décisive. Et je le répète : qu'on déclenche un conflit pour s'emparer, par exemple, d'un territoire sans pouvoir ensuite le revendre (une ressource) ou en pouvant le faire (une richesse), je ne vois pas bien ce que cela change de fondamental du point de vue de la classification des conflits. (...)

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  5. (... suite ...)
    Pour ce qui est des esclaves de guerre, la réponse à ta question est presque tautologique : l'esclavage étant virtuellement absent du monde I, il est également absent des buts de conflits (avec cependant le cas embêtant de nos amis les Yuqui, dont les esclaves ne sont pas des richesses, ne pouvant être vendus, et qui sont, au moins à l'origine, des captifs de guerre).
    Quant à la proximité entre les pratiques des Aztèques et, entre autres, la chasse aux têtes, elle me semble si criante que je ne vois pas bien ce qui te gêne. Dans les deux cas, on se bat pour utiliser le corps de son ennemi d'une manière a priori irrationnelle, voire contre-productive. Au lieu de s'en servir pour se renforcer démographiquement, socialement ou économiquement, on le met à mort en raison de la croyance que telle substance corporelle, convenablement traitée par les rites appropriés, participera à la perpétuation de ceux qui les accomplissent. J'ai vraiment l'impression d'un objectif qui, au-delà des variations de forme, est tout à fait cohérent sur le fond.
    Pour finir, je n'ai pas pigé ton allusion aux cheveux australiens. Je ne me rappelle pas quelle utlisation on en fait, sinon tresser des ceintures, mais surtout je ne vois pas que les Aborigènes aient organisé une mise en dépendance d'une partie de la population pour se procurer cette substance (à l'image de ce qui s'est fait ailleurs pour bénéficier notamment de services économiques ou sexuels). Or, c'est cela que j'avais en tête.
    To be continued (of course...)

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  6. On ne peut pas nier qu’il y a un petit côté dialogue de sourds… Il est certain que cette voie de communication ne facilite pas les choses : le ping-pong sur le blog, ça va quand il n’y a pas trop de divergences à débattre, mais à partir d’un certain point, ça devient compliqué. Cela étant, le fait de ne pas se comprendre n’est généralement pas bon signe sur le fond.

    J’avais tout à fait compris que la classification ne portait pas que sur les buts de guerre, malgré le titre du billet, mais plus largement sur ceux des conflits. C’est après que j’ai du mal à voir où tu veux vraiment aller. D’abord, tu dis tenter d’inventorier les objectifs, mais à ce compte-là le tableau ne sature pas toutes les possibilités. Pour ne prendre qu’un exemple, parce qu’on l’a souvent évoqué, où y ranges-tu le djihad et autres guerres saintes et de religion ? Ou, plus largement, tout ce que Testart classait dans les guerres politiques et qui ne ressortissent ni à la vengeance ni à l’acquisition de ressources ? Deuxième point, d’accord, on ne distingue pas les buts selon le critère principal/secondaire. Mais ta classification n’en est pas moins hiérarchique, et d’une part j’ai l’impression qu’elle range au même niveau des choses qui n’y sont pas, d’autre part les catégories ne sont pas exclusives. Ainsi, tu as beau dire, mais faire des captifs au cours de la guerre fleurie peut aussi bien se classer dans « acquérir des substances vitales efficientes » que dans « acquérir des êtres vivants ». Pour être taquin, c’est d’autant plus vrai que la guerre de capture des Iroquois sert aussi à faire des captifs à torturer, et que la torture a, au moins depuis Knowles (1940), été elle-même rapprochée du sacrifice méso-américain (et ce n’est pas si idiot que ça pourrait en avoir l’air). Et pour mettre une couche en plus, toujours chez les Iroquois les scalps et les captifs sont totalement équivalents et interchangeables. Bref, la subdivision que tu fais de la catégorie « humains » est vraiment discutable (de mon point de vue, s’entend).

    (.../...)

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  7. (.../...)

    Pour les points de détail :

    – J’ai rebalayé rapidement Viau, mais je n’ai trouvé nulle part que l’intégration/adoption faisait expressément partie des buts des opérations militaires chez les Iroquois. Tel que je le comprends, le but des opérations était uniquement de faire des captifs (ou de prendre des scalps, puisque ça revient au même). C’est seulement après que l’on pouvait faire différentes choses de ces captifs.

    – Je ne te suis toujours pas sur les questions ayant trait à la richesse et je continue de penser que la différence monde I/monde II devrait se traduire d’une manière ou d’une autre dans une classification des conflits. À mon avis, la divergence vient de ce que nous n’avons pas la même conception de ce qui différencie une ressource d’une richesse. C’est un problème de fond important (et même crucial dans le cas présent), mais il me paraît impossible d’en débattre ici et sans y avoir plus amplement réfléchi. Donc, mettons-le sur la pile des problèmes ouverts. Après, là aussi, quand tu écris « l’esclavage étant virtuellement absent du monde I, il est également absent des buts de conflits », ça me paraît en contradiction totale avec l’idée, que tu exprimes juste avant, que la richesse ne changerait rien de fondamental du point de vue de la classification des conflits (à partir du moment où on est d’accord que l’esclave est une richesse ; faisons abstraction des Yuqui).

    – Je n’irais pas jusqu’à dire que la proximité entre Aztèques et chasse aux têtes est criante. Certes, il y a des analogies entre les deux et une parenté n’est pas exclue. Mais les écrits sur la chasse aux têtes remplissent un plein rayonnage de bibliothèque, des tas de théories ont été émises pour expliquer le phénomène, y compris mettant en avant la dimension sacrificielle, et pour autant on est aujourd’hui incapable d’en donner une explication globale. Il n’est d’ailleurs pas certain que l’on puisse vraiment relier le complexe asiatique de la chasse aux têtes aux cas américains. Même Testart s’est cassé le nez sur le sujet. Alors, une idée commune de perpétuation, why not (en passant tu écris que ça ne sert pas à se renforcer socialement, ça c’est totalement faux), mais ça reste une hypothèse, et donc insuffisant pour aller classer d’emblée les buts de conflits dans la même case dans les deux cas, ce qui est un a priori.
    – Pour les cheveux, je me réfère à l’article de Testart sur les objets sacrés dans L’Homme, qui montre que les cheveux en Australie ne sont pas si éloignés que ça des substances vitales efficientes. Or, c’est la belle-mère qui fournit son gendre en cheveux, dans le cadre d’un « rapport de dépendance réciproque » (ce n’est pas moi qui le dis), au moins chez les Aranda. Alors, d’accord, ce ne sont pas des captifs, mais je n’ai jamais dit ça non plus : tu écrivais juste « on a l’impression que quand on attribue une vertu à une matière organique humaine, cela implique presque toujours la mise à mort », et je le donnais comme un contre-exemple.

    Comme on est un peu bloqués, je propose qu’on laisse tout ça décanter. Mais j’espère qu’il y aura d’autres interventions sur ce billet, histoire d’avoir d’autres avis, qui iront peut-être encore dans d’autres directions.

    To be continued, comme tu dis…

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  8. Je ne sais pas si la nuit porte conseil, mais très vite fait, sur deux points :
    – je suis tout prêt à reconnaître que cette liste n'est pas saturante, et j'en suis le premier embêté. Et oui, il faudrait y inclure d'une manière ou d'une autre (entre autres ?) les conflits type djihad et guerres de religion.
    – je me demande si un des nœuds du problème n'est pas la possibilité d'adopter, au sein des conflits d'acquisition, une double approche :
    a) selon la nature de ce qui est acquis (humain, objet matériel meuble, territoire...)
    b) selon l'utilisation sociale qui en est faite
    Dans mon arbre de classification, j'ai utilisé a) puis b), mais on pourrait également faire l'inverse, ou refuser de choisir et organiser tout cela non en arbre, mais en tableau. Je pense qu'on lèverait ainsi l'hypothèque sur ressources / richesses qui nous tracasse depuis le début.
    À suivre

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  9. La double entrée nature/utilisation est une piste qui mérite d'être explorée. De mon côté, j'ai jeté en vrac sur mon grand tableau blanc tous les motifs de baston qui me venaient à l'esprit et je complèterai au fur et à mesure. Ensuite, j'attendrai la divine inspiration pour essayer de sortir quelque chose du vrac...

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  10. C'est de la triche, moi je n'ai pas de tableau blanc, je serais obligé d'écrire sur les murs et ce serait dommage.

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  11. C'est ballot, Noël est juste passé 😁 !

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  12. La classification sophistiquée des raisons de la guerre et les arguments subtils de Christophe, ainsi que le débat entre lui et Bruno, me laissent avec un léger vertige et dans la perplexité. Je doute fortement que l'on puisse un jour trouver un terrain d'entente dans cette discussion sur les raisons de la guerre. Je n'aborderai pas ici les différents arguments, car nos opinions sont sans doute trop divergentes. Je voudrais simplement apporter une perspective légèrement différente et faire comprendre mes réserves.

    1) Toute énumération des raisons de la guerre me semble toujours un peu arbitraire. C'est pourquoi je pense qu'elle constitue une base trop faible pour classifier les conflits. Il n'est pas rare que les motifs de guerre soient confondus avec les résultats ou les effets secondaires d'une guerre (réussie) (en cas d’annexion de terres, de vol de femmes, des trophées, etc.). De plus, les motifs de guerre peuvent changer au cours d'une guerre et les acteurs impliqués donnent des raisons différentes pour une guerre (Koch 1974).

    2. Bruno (2020, 2021) affirme que les guerres n'ont pas de raisons politiques ou économiques. Cet a priori est surprenant et me semble peu compréhensible. Selon Bruno, les guerres sont menées : premièrement, pour se venger, deuxièmement, pour s'approprier des "substances vitales efficientes" et troisièmement, pour défendre ou s'approprier un territoire.
    Mais : l'appropriation et la défense d'un territoire ne sont-elles pas des raisons économiques de guerre ? Pourquoi exclure a priori les raisons politiques ? Pourquoi ne mentionne-t-on pas non plus les conflits liés aux femmes, que Christophe a identifié comme l'un des motifs de guerre chez les Aborigènes australiens ?

    3) Otterbein s'est également beaucoup intéressé aux raisons de la guerre et semble en attendre autant que Christophe. Mais les raisons les plus souvent citées dans le tableau d'Otterbein (1989 : 146, 148) dans les "nonstate societies" sont le pillage (plunder) et la vengeance (revenge and defense) avec 75% chacun, puis les trophées (trophies and honors) avec 44% et l'appropriation de la terre avec 19% seulement.

    4) On pourrait objecter que cette étude statistique et comparative d'Otterbein est un peu trop générale. Cependent, même si l'on se tourne vers des sociétés individuelles et que l'on y cherche les raisons des guerres, on n'obtient pas une image plus homogène, bien au contraire. Le tableau (Keeley 1996 : 201) montre que dans chacune des six sociétés tribales des hautes terres de Nouvelle-Guinée, les proportions relatives des motifs de guerre varient fortement, bien qu'il s'agisse de sociétés du même type.

    La fréquence relative de certains motifs de guerre dans les six sociétés ne varie que très peu : les conflits pour les porcs entre 16% et 30% et l'homicide entre 15% et 30%, sauf chez les Huli (63%). Les conflits concernant la possession de terre et les femmes varient en revanche assez fortement : la terre entre 0% (Ekagi-me) et 58% (Mai Enga) et les femmes entre 3% (Mai Enga) et 53% (Yali). Même les sociétés ayant des densités de population de 150 p/sqkm diffèrent fortement à cet égard: chez les Mai Enga : terre 58% et femmes 3%, chez les Ilaga Dani : terre 6% et femmes 40% et chez les Ekagi-me : terre 0% et femmes 42%.

    Au vu des données du tableau de Keeley, quelles conclusions peut-on tirer pour la classification des conflits ? Qu'apprend-on - en partant des raisons de la guerre - sur la guerre dans ces sociétés ?

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  13. La classification sophistiquée des raisons de la guerre et les arguments subtils de Christophe, ainsi que le débat entre lui et Bruno, me laissent avec un léger vertige et dans la perplexité. Je doute fortement que l'on puisse un jour trouver un terrain d'entente dans cette discussion sur les raisons de la guerre. Je n'aborderai pas ici les différents arguments, car nos opinions sont sans doute trop divergentes. Je voudrais simplement apporter une perspective légèrement différente et faire comprendre mes réserves.

    1) Toute énumération des raisons de la guerre me semble toujours un peu arbitraire. C'est pourquoi je pense qu'elle constitue une base trop faible pour classifier les conflits. Il n'est pas rare que les motifs de guerre soient confondus avec les résultats ou les effets secondaires d'une guerre (réussie) (en cas d’annexion de terres, de vol de femmes, des trophées, etc.). De plus, les motifs de guerre peuvent changer au cours d'une guerre et les acteurs impliqués donnent des raisons différentes pour une guerre (Koch 1974).

    2. Bruno (2020, 2021) affirme que les guerres n'ont pas de raisons politiques ou économiques. Cet a priori est surprenant et me semble peu compréhensible. Selon Bruno, les guerres sont menées : premièrement, pour se venger, deuxièmement, pour s'approprier des "substances vitales efficientes" et troisièmement, pour défendre ou s'approprier un territoire.
    Mais : l'appropriation et la défense d'un territoire ne sont-elles pas des raisons économiques de guerre ? Pourquoi exclure a priori les raisons politiques ? Pourquoi ne mentionne-t-on pas non plus les conflits liés aux femmes, que Christophe a identifié comme l'un des motifs de guerre chez les Aborigènes australiens ?

    3) Otterbein s'est également beaucoup intéressé aux raisons de la guerre et semble en attendre autant que Christophe. Mais les raisons les plus souvent citées dans le tableau d'Otterbein (1989 : 146, 148) dans les "nonstate societies" sont le pillage (plunder) et la vengeance (revenge and defense) avec 75% chacun, puis les trophées (trophies and honors) avec 44% et l'appropriation de la terre avec 19% seulement.

    4) On pourrait objecter que cette étude statistique et comparative d'Otterbein est un peu trop générale. Cependent, même si l'on se tourne vers des sociétés individuelles et que l'on y cherche les raisons des guerres, on n'obtient pas une image plus homogène, bien au contraire. Le tableau (Keeley 1996 : 201) montre que dans chacune des six sociétés tribales des hautes terres de Nouvelle-Guinée, les proportions relatives des motifs de guerre varient fortement, bien qu'il s'agisse de sociétés du même type.

    La fréquence relative de certains motifs de guerre dans les six sociétés ne varie que très peu : les conflits pour les porcs entre 16% et 30% et l'homicide entre 15% et 30%, sauf chez les Huli (63%). Les conflits concernant la possession de terre et les femmes varient en revanche assez fortement : la terre entre 0% (Ekagi-me) et 58% (Mai Enga) et les femmes entre 3% (Mai Enga) et 53% (Yali). Même les sociétés ayant des densités de population de 150 p/sqkm diffèrent fortement à cet égard: chez les Mai Enga : terre 58% et femmes 3%, chez les Ilaga Dani : terre 6% et femmes 40% et chez les Ekagi-me : terre 0% et femmes 42%.

    Au vu des données du tableau de Keeley, quelles conclusions peut-on tirer pour la classification des conflits ? Qu'apprend-on - en partant des raisons de la guerre - sur la guerre dans ces sociétés ?

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  14. Quelques questions que je me pose:
    Où place t-on les autosacrifices sanglants des nobles et des prêtres aztèques, qui n'impliquent pas de mort (en dehors des anémies et des infections induites accidentellement) pour exactement le même but que les sacrifices humains de prisonniers ou de volontaires (si,si, il y en avait...), à savoir faire en sorte que le soleil continue de se lever chaque matin?
    Différenciez-vous les BUTS et les MOTIFS des conflits? Un but est pour moi un objectif préalable de résultats, sans préjuger des autres résultats pouvant éventuellement arriver, un motif est la raison première du déclenchement des hostilités, faide, faute rituelle, etc... Ou bien est-ce inextricablement lié?
    D'après ce que j'ai compris, la richesse serait relative (indépendamment de la quantité de biens accumulés) dans le monde 1,et très limitée à ce que l'on peut emmener avec soi pour chaque individu. Mais à l'échelle d'une unité familiale ,clanique ou tribale, est-ce qu'un territoire parcouru et exploité pour ses ressources ne pourrait pas être considéré comme plus riche qu'un autre? (Et donc jalousé/convoité par un voisin?) Contre cela, les groupes humains nomades se contentent généralement de n'exploiter que ce dont ils ont besoin.Mais si la différence est trop flagrante?
    Quid de la densité de population ( Jürg Helbling y fait d'ailleurs une allusion)? On s'attendrait à ce que la densité croisse avec le temps et le développement des techniques (quelles quelles soient, de chasse ,de pêche ou de production agricole) , et avec elle les possibilités de conflits. Est-ce mesuré?
    Chasse aux têtes: qui chasse? je veux dire, quelle classe d'âge, quelle fraction (ou pas ) de la population? Un jeune guerrier qui a besoin de faire ses preuves pour obtenir une épouse, Un homme mûr qui veut accroître son prestige et son statut, ou pour le bien de la communauté, ou un besoin rituel,etc...? Peut-on dans ce cas les confondre dans une même catégorie?
    Enfin, si Jürg Helbling écrit directement en français, chapeau bas!

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