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À propos de « Meurtre à Teviec »

Ces jours-ci – et, souhaitons-le, pour encore longtemps – on peut regarder en replay sur le canal de France 3 Bretagne un documentaire intitulé Teviec, meurtre au Mésolithique. En 52 mn est retracée l'histoire de la découverte d'un squelette appelé « K6 » (c'était le 6e de la sépulture), qui fut tué à coups de flèches il y a 8000 ans, et sont exposées les recherches plus récentes qui permettent d'éclairer ce cold case.

La première chose à dire de ce programme est qu'il est fort agréablement réalisé, mêlant comme il est d'usage interviews de spécialistes, images actuelles de sites et reconstitutions, ici sous la forme de séquences en dessins animés. Mais l'ingrédient sans doute le plus spectaculaire et, en ce qui me concerne, le plus inattendu, sont les films des premières fouilles, réalisées dans les années 1920 par une famille d'amateurs aux méthodes particulièrement modernes pour l'époque. Le commentaire est sobre et le film évite les effets racoleurs qui sont si souvent de mise dans ce type d'exercice.

On assiste donc à une enquête policière fort bien menée, avec dans le rôle du chef des « Experts Quiberon » le célèbre BB de ce blog, la mise en contexte étant assurée par Gregor Marchand, un des meilleurs spécialistes français du Mésolithique, qui travaille sur cette région depuis de nombreuses années.

Le bémol – car, malheureusement, il y en a un – concerne les interprétations proposées, étrangement orientées vers une seule hypothèse, et qui plus est pas la plus vraisemblable. Que dit en effet l'archéologie ? Que « K6 » était un homme, probablement d'une quarantaine d'années, en bonne santé ; qu'il avait reçu au moins deux flèches (celles qu'on a retrouvées fichées dans ses vertèbres, mais on ne peut exclure qu'il y en ait eu d'autres) ; que l'une avait été reçue dans le dos, sans causer la mort, l'autre, létale, étant tirée de face ; qu'il s'agissait probablement d'un individu important, sa tombe ayant été deux fois rouverte par la suite afin d'inhumer d'autres personnes sans lien de parenté avec lui ; enfin, qu'il vivait dans une société de chasseurs-cueilleurs côtiers, pratiquant probablement un stockage alimentaire significatif.

À partir de là, on pourrait lister l'ensemble des diverses possibilités, quitte à les soupeser ensuite les unes après les autres pour les retenir ou les écarter. En fait, et un peu curieusement, l'enquête est orientée (et restreinte) par deux présupposés implicite : d'une part, que K6 a été assassiné par le membre d'un autre groupe que le sien, d'autre part, que cette violence armée – perceptible par ailleurs de manière plus générale à cette période – avait quelque chose à voir avec les ressources. Dès lors, la question se résume à une simple alternative : doit-on privilégier des hostilités dues à des pénuries ou, au contraire, à la convoitise sur des stocks accumulés ? Même s'il prend soin de préciser qu'il ne s'agit que d'une hypothèse, Gregor Marchand explique pourquoi la seconde option est plus vraisemblable que la première, et c'est cela que retiendra le spectateur.

Pourtant, il existe bien d'autres possibilités qui ne sont pas envisagées : pour commencer, que K6 ait péri des mains de son propre groupe, dans le cadre d'une action judiciaire ou dans celui d'un conflit interpersonnel. Précisons que ces deux éventualités ne doivent sans doute pas être retenues. Si une exécution judiciaire est tout à fait compatible avec les blessures constatées, on imagine mal en revanche que la sépulture d'un condamné fasse l'objet de pratiques manifestement honorifiques. Quant aux différends qui survenaient au sein d'un groupe, l'ethnologie nous apprend qu'ils se soldaient rarement par des meurtres, divers mécanismes intervenant pour prohiber ce type de méthodes.

Il est donc vraisemblable que K6 ait été tué par un ou plusieurs individus d'un groupe extérieur. Mais pourquoi privilégier la piste économique, soit via la pénurie, soit via la convoitise ? Les données ethnologiques, qu'elles concernent des chasseurs-cueilleurs ou même de petits cultivateurs, démontrent la rareté d'un tel type de motifs. C'est vrai pour l'Australie aborigène, mais aussi pour les Inuit et pour la majeure partie des peuples sur lesquels des informations fiables sont disponibles. Sur tous les continents, les témoignages convergent sur le fait que les deux objectifs principaux, sinon uniques, des confrontations mortelles étaient les vengeances (pour des crimes réels ou supposés, ou suite à la contestation de droits sur les femmes) et la volonté de prélever des substances corporelles (dont l'emblématique « chasse aux têtes »). Rien ne venant appuyer ici la seconde piste, il aurait donc fallu privilégier pour Teviec l'hypothèse vindicatoire (qu'il s'agisse d'un feud ou d'une authentique guerre : faute d'autres cadavres, nous n'avons aucun moyen de le savoir).

Pour terminer, il faut enfin relever les affirmations de Marylène Patou-Mathis – dont on peut présumer que la présence doit davantage à sa notoriété qu'à son expertise – au sujet de l'arc. Celles-ci sont doublement contestables. Premier point, on ne voit guère en quoi l'arc (si tant est qu'il date effectivement du Mésolithique, ce qui reste à prouver) aurait joué un rôle dans la territorialisation des populations. Ensuite, on ne voit pas non plus ce qui permettrait d'y voir la première arme à avoir connu un double emploi, contre les animaux et contre les humains, hormis une ignorance coupable des données ethnologiques qui fournissent de nombreux contre-exemples.

2 commentaires:

  1. Hello,
    Documentaire d’autant plus intéressant qu’il soulève bien des problèmes au-delà du simple fait qu’un homme est mort au mésolithique, tué par deux flèches l’une fichée dans la colonne vertébrale, l’autre tirée par devant. Christophe en a suffisamment dit. Deux points supplémentaires m’ont intéressé : d’une part l’affirmation répétée qu’il y avait du stockage, d’autre part ces espèces de pièges à poisson utilisant simplement (et mécaniquement) le phénomène de marée. Du stockage a-t-on des preuves ? lesquelles ? Sous quelles formes ? Il est étonnant qu’on ne trouve aucune trace de poterie ou alors d’autres moyens étaient utilisés. Mais on pourrait aussi se référer à Alain Testart pour qui le stockage a un rôle important dans l’évolution de l’organisation sociale et l’apparition des inégalités - confirmant la possibilité que l’homme tué était un personnage important (un « chef »). Les pièges à poisson qui sont montrés, et qui sont impressionnants, sont faits en bois. Comment (à partir de quels restes) les a-t-on reconstitué alors que le bois ne laisse aucune trace (ou alors s’il y en a, dommage qu’on ne les montre pas). Je rajoute que ce genre de piège n’est pas unique : les Indiens de la Côte nord-ouest de l’Amérique en utilisaient, et même de plus élaborés. Bien sûr, on ne peut pas tout dire en un temps limité. La qualité de ce documentaire c’est qu’il apprend bien des choses aussi bien sur le travail des archéologues que sur leurs trouvailles, et qu’il amène à se poser des questions pour aller plus loin.

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    1. Hello Momo
      Je n'en sais pas beaucoup plus que toi sur ces questions, mais sur le stockage, on trouve assez facilement des articles (en français !) de chercheurs spécialisés sur cette période, par exemple N. Valdeyron (https://journals.openedition.org/palethnologie/1337), ou E. Guesquière (https://journals.openedition.org/rao/2828#tocto1n5).
      Sur les barrages à poissons, vite fait, Google m'a trouvé cela : https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02475834/document
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