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Justice et guerre chez les Maenge de Nouvelle-Bretagne

Je n'oublie pas la discussion engagée avec Jürg Helbling à propos de la guerre et du feud, à laquelle se sont invités quelques fidèles de ce blog – une réponse de Jürg vient d'ailleurs de me parvenir. Mais avant de poursuivre ce débat, je fais un détour par la Mélanésie : dans mon périple mondial des guerres et des procédures judiciaires, j'ai en effet croisé la route des Maenge, documentés par Michel Panoff dans les années 1970.

Cet anthropologue nous a en effet laissé plusieurs articles très informatifs à propos de ce peuple mélanésien de villageois cultivateurs installé sur la côte sud de la Nouvelle-Bretagne – une île située au nord-est de la Nouvelle-Guinée. Panoff s'est en particulier intéressé à deux des thèmes qui me sont chers, à savoir la richesse et le complexe justice / guerre, au travers notamment de trois textes dont on trouvera les références à la fin de ce billet. Je reviendrai peut-être prochainement sur le premier thème ; outre les nombreux et très intéressants détails qu'il donne, M. Panoff contraste la modestie des trésors des Maenge et les sommes comparativement faramineuses accumulées par un autre peuple de la région, les Tolai, qu'il qualifie dans une boutade de « capitalistes ». Une étude comparative pour mieux comprendre ces différences serait sans doute fort instructive.

Pour en venir à la violence organisée, Panoff détaille les trois procédures qui en constituent semble-t-il le coeur chez ce peuple :

Le « combat à l'intérieur du village » (yaling enga maga lona)

Il est organisé lorsqu'un meurtre a été commis au sein d'un village et que l'auteur de l'homicide assume publiquement la responsabilité de son geste. On distribue sur la place de danse les armes entreposées dans la maison des hommes à tous les hommes valides, et ils se répartissent en deux camps – l'un est censé venger le mort, l'autre défend la cause du meurtrier.

Le combat dure jusqu'à ce qu'une femme unanimement respectée des villageois, épouse du « père du village » ou doyenne de l'un des sous-clans, l'interrompe en versant rituellement de l'eau claire sur un brandon enflammé et en prononçant les paroles sacramentelles de la réconciliation. Ensuite, la paix est rétablie.

La fin du combat peut intervenir avant qu'il y ait mort d'homme, mais aussi après que quelques combattants ont été tués. Dans ce cas, leurs groupes respectifs seront dûment indemnisés par le paiement d'un wergeld (consistant en un page, anneau taillé dans la coquille d'un bénitier, et qui représente chez ce peuple la richesse par excellence).

La lutte secrète

Il s'agit d'une attaque surprise, généralement effectuée à l’aube, et où on lutte au corps-à-corps, l'arme de prédilection étant le casse-tête. Les effectifs en jeu sont généralement réduits : une demi-douzaine d'individus en moyenne, même si les troupes comptent parfois jusqu'à 25 ou 30 hommes.

Il s'agit d'une forme fréquente, dont certaines variantes méritent d'être notées. Ainsi, ce n'étaient pas toujours les parents de la victime elles-mêmes qui prenaient les armes. On avait parfois recours à un champion, membre d'un groupe proche, voire à un tueur à gages – dans ces deux cas, l'exécutant était rémunéré.

Cette forme correspond aussi bien à des situations où il s'agit de tuer un individu - y compris dans le cas d'une peine de mort prononcée pour inceste – que de massacrer tout une collectivité.

La lutte ouverte (karakaranganà)

Elle se déroule sur un champ de bataille fixé à l'avancen opposant de part et d'autre une trentaine de combattants armés de lances et de bouclier. Elle s'engageait généralement après que des émissaires avaient accompli une démarche solennelle équivalant à une déclaration de guerre. De même, elle se terminait par une cérémonie de paix qui réunissait les belligérants, en présence des membres de groupes restés neutres, une fois que morts et blessés avaient été dénombrés dans les deux camps, que le problème des compensations avait été réglé et des cadeaux de nourriture échangés.

Une telle procédure semble avoir été relativement rare, et n'intervenir qu'à intervalle de plusieurs années.

Quelques commentaires

Ce qui est décrit ici rejoint très probablement, et avec une remarquable proximité, certaines des formes que j'avais identifiées à propos de l'Australie.

Le combat dans le village correspond indiscutablement à ce qu'appelais une bataille régulée, et qui n'est autre qu'un duel collectif régulé. La variante locale est que le degré de létalité ne dépend pas, comme en Australie, des relations entre les groupes en présence ou des traditions locales, mais qu'elle est, pour ainsi dire, laissée à l'appréciation de l'arbitre. Un point a priori étonnant est qu'on choisisse une procédure symétrique, où le groupe qui défend la cause d'un coupable avéré est armé sur le même pied que celui de la victime. L'explication tient probablement au fait que le meurtre dans le village semble intervenir principalement, sinon exclusivement, contre un sorcier redouté ou le prétendant d'une femme promise au meurtrier. La forme symétrique correspond alors au fait que du point de vue de la collectivité, les torts sont partagés. Que se passait-il lorsque le meurtre n'avait aucune justification, et que la culpabilité était alors unilatérale ? Le texte ne le dit pas. En tout cas, tout comme en Australie cette forme régulée intervient bel et bien lorsque certains éléments plaident en faveur d'une modération du règlement : d'une part, le conflit oppose des unités socialement proches (des sous-groupes d'un même village), d'autre part le coupable a fait l'aveu public de son acte.

La bataille ouverte, elle, évoque en tout point le gaingar de la Terre d'Arnhem, où des clans minés par une querelle qui s'envenimait décidaient de s'affronter en quelque sorte une bonne fois pour toutes. Bien évidemment, la bataille ne mettant pas fin aux causes profondes de conflit, elle ne pouvait les éteindre que temporairement. Le gaingar se caractérisait par son très haut niveau de létalité ; Warner, l'ethnologue qui le documente, évoque une quinzaine de morts à chaque affrontement. Malheureusement, le texte de M. Panoff reste muet ce ce point, et on peut seulement présumer que, dans le cas des Maenge, les batailles ouvertes lui étaient également comparables sur ce point.

Reste la bataille fermée qui, dans la description livrée par Panoff, paraît être utilisée tant pour une mise à mort individuelle (qu'il s'agisse d'une peine de mort proprement dite ou d'un assassinat de compensation) que dans une perspective plus collective. L'auteur ne fournit malheureusement aucun élément susceptible d'éclairer les facteurs qui entraînaient les affrontements vers l'escalade. Il ne fournit d'ailleurs aucune occurrence spécifique de meurtre de compensation : tous les exemples qu'il détaille se rapportent à des conflits directement collectifs, comme cet épisode survenu vers 1910, au cours duquel les Manusi de six villages lancèrent :

une expedition sur Lopo, contre les Maenge de la côte, qu'ils accusaient de faire des plaisanteries offensantes au sujet de leur nudité et, plus particulièrement, de leurs anus. Comme il était d'usage, la troupe Mamusi envahit le village à l'aube, et tuèrent la plupart des habitants de Lopo en quelques minutes.

Cette lacune de la documentation n'aide pas le lecteur à tenter de résoudre l'énigme soulevée par l'auteur, selon lequel « il est très difficile, voire impossible de distinguer chez les Maenge entre guerre et vendetta sur le plan conceptuel. » (p. 92) Sans doute une partie de la difficulté provient-elle du fait que les actes de guerre, chez ce peuple, étaient exclusivement motivés par la vengeance. C'est un fait d'autant plus remarquable que la richesse jouait un rôle essentiel dans les relations sociales : l'intuition suggère que les vols de trésors (page et autres biens) auraient dû représenter un but de guerre, au moins à titre de sous-produit. Ce n'est manifestement pas le cas, et comme j'ai déjà remarqué ce décalage chez d'autres peuples, cela suggère que les buts de guerre auraient en quelque sorte « résisté » à l'émergence de la richesse ; autrement dit, que la présence de la richesse dans les rapports sociaux constitue une condition nécessaire, mais non suffisante, de sa présence comme but de guerre. Reste à identifier les variables explicatives, si d'aventure elles existent...

Références

  • Panoff Michel, 1969, « Inter-tribal relations of the Maenge people », New Guinea Research Bulletin, n°30
  • Panoff Michel, 1980, « Objets précieux et moyens de paiement chez les Maenge de Nouvelle-Bretagne », L'Homme, tome 20, n°2, p. 5-37.
  • Panoff Michel, 1985, « La violence et la dette chez les Maenge de Nouvelle-Bretagne », Journal de la Société des océanistes, n°80, tome 41, p. 87-100

7 commentaires:

  1. A propos des Maenge :
    Le "combat à l'intérieur du village" ressemble fichtrement à une procédure de type "ordalie",
    auquel cas la "matriarche" serait là pour interpréter le verdict des puissances surnaturelles (de quel droit agirait-elle sinon, dans ce type de configuration socio-juridico-politique ?). Non pas sur la culpabilité du meurtrier, celui-ci ayant reconnu son acte, mais sur la légitimité des points de vue défendues par les deux parties (le meurtre doit-il ou non être considéré comme une faute ?). J'ai bien vu que Michel Panoff attribuait à l'une des parties la volonté de "venger le mort", mais la procédure employée me laisse perplexe quant à cette interprétation et celle vers laquelle elle oriente tout naturellement, à savoir son classement dans la catégorie "vendetta". Si les parents du défunt acceptent la procédure (plutôt que de choisir eux-mêmes, ce qui est quand même plus sûr, la manière de se venger) c'est qu'ils partagent l'incertitude commune sur la légitimité du meurtre.

    On regrettera au passage que Panoff ne précise pas : 1, ce qui déclenche l'arrêt du combat (quand l'une des parties à pris de dessus ?) ; 2, si l'indemnité pour les morts est à payer pour l'ensemble des victimes ou seulement pour celles qui appartiennent au groupe "vainqueur"; 3, qui doit la payer (le groupe "vaincu", pour l'ensemble des victimes ? les "leaders" de chacun des groupes dédommageant, comme à la guerre, les proches des alliés qui les ont suivis dans l'affaire ?, ...).

    Je ne sais pas quel est ton point de vue, mais j'hésiterais pour ma part à qualifier de vendetta une procédure ritualisée décidée par la collectivité (et dont le déclencheur primaire n'est pas le désir de vengeance de la partie qui pourrait s'estimer lésée, mais la volonté commune de savoir si une vengeance se justifie, et donc si l'acte du meurtrier peut être considéré comme une offense).

    Christian Jeunesse

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    1. Bonjour Christian

      Je pense qu'il y a plusieurs malentendus.

      Pour commencer, ni Panoff ni moi-même ne parlons de « vendetta » à propos du « combat à l'intérieur du village ». Une vendetta (ou un feud) peut se définir comme une succession d'assassinats destinés à chaque fois à compenser un ou plusieurs assassinats précédents, considérés comme illégitimes. Ici, il n'y a rien de tel : l'évènement est unique, met au prises deux groupes face à face, et peut se terminer sans qu'il y ait mort d'homme.

      Quant à parler d'ordalie, là aussi, il y a deux sens possibles. A proprement parler, c'est le « jugement de Dieu », une épreuve censée déterminer la culpabilité de l'accusé. Absolument rien de tel ici. Au sens plus large, appliqué à l'Australie, c'est une manière particulière d'infliger un châtiment corporel (éventuellement une peine de mort), dans laquelle le désigné coupable affronte une troupe de vengeurs sans autre arme que défensive. Là encore, rien ne correspond.

      Je le répète, le « combat à l'intérieur du village » décrit par Panoff correspond presque trait pour trait à la forme australienne que j'ai appelée « bataille régulée », et qui est un duel collectif. Et nous avons la réponse à la question 1 : le combat s'arrête lorsque la femme chargée de cette fonction le décide.

      Là où il y a un paradoxe, c'est qu'en Australie, cette forme correspond normalement à une situation où les torts sont sinon partagés, du moins disputés (quand une partie est clairement coupable, on la sanctionne, et donc pas à armes égales !). Mais ainsi que je le disais, ce paradoxe se lève sans doute du fait que les exemples donnés correspondent à un meurtre en quelque sorte avec circonstances atténuantes : le meurtrier a tué quelqu'un qui était dans son tort.

      Quant aux questions 2 et 3 que tu soulèves, je pense qu'on peut deviner les réponses avec ce que Panoff écrit par ailleurs : toute mort est compensée, et les page qui servent au wergeld ne peuvent être que la propriété collective du sous-clan local. Donc, en toute logique, à l'issue du combat, chaque sous-clan d'un de ceux qui aura tué un adversaire indemnisera le sous-clan de celui-ci.

      Amitiés

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    2. L’article de Panoff est décidément très déroutant.

      1, comment concilier le fait que l’un des groupes qui s’opposent « est censé venger le mort » et
      - a, que « la fin du combat peut intervenir avant qu’il y ait mort d’homme » ;
      - b, que « le combat à l’intérieur du village » est un « combat loyal » (Panoff, 94), avec la conséquence logique qu’il peut tourner au bénéfice du sous-clan qui soutient le meurtrier.
      Je maintiens donc que l’interprétation la plus raisonnable est celle de la divination (ordalie) appliquée à un meurtre dont la justification fait débat (et qui ne réclame donc pas obligatoirement une vengeance). Le problème est donc bien, comme tu le précises fort bien dans ta réponse à mon premier billet, que « quand une partie est clairement coupable, on la sanctionne, et donc pas à armes égales ! ». Mon hypothèse permet par ailleurs de rendre compte du fait que le combat peut se terminer sans qu’il y ait mort d’homme : il s’agit prioritairement de recueillir des signes, de voir de quel côté penche la balance, pas de tuer des adversaires ; les signes attendus peuvent être suffisamment explicites avant qu’un des belligérants ne décède.

      2, la notion de wergeld ne me semble pas appropriée pour décrire les paiements qui suivent le combat ; le wergeld est l’alternative à la vengeance privée et est versé en cas de meurtre ; or les mises à mort lors d’un « combat loyal » ne peuvent pas être assimilées à des meurtres. Ces paiements me semblent relever plutôt des « paiements de guerre », une catégorie de paiements complètement occultée par Testart dans le chapitre « A quoi sert la richesse dans les sociétés primitives » des « Eléments de classification » dans lequel il évoque 1, le prix de la fiancée ou la dot 2, le wergeld 3, les « amendes » (dont aucune des modalités citées n’est là pour compenser une mise à mort) (p. 28-31) (en passant : à côté des paiements de guerre, il oublie aussi les richesses souvent considérables investies dans les « pig festivals », les funérailles, la reconstruction des maisons d’origine, la construction des mégalithes, etc..., mais c’est une autre histoire). Comme l’ont parfaitement montré les travaux sur la Mélanésie, les « war compensations » génèrent infiniment plus de circulation de biens que le wergeld dont, soit dit en passant, Testart reconnaît lui-même qu’il s’agit d’une procédure rare dans les sociétés primitives (même réf. p. 31). Même si les apparences sont trompeuses (certains pourraient penser qu’étymologiquement la notion de wergeld est en rapport avec la guerre – wer/war -, ce qui est inexact), le wergeld n’a rien à voir avec la guerre.
      D’un autre côté, les paiements de guerre ne se limitent pas à compenser les pertes humaines, puisqu’ils sont là aussi, au moins en Mélanésie, pour réparer toutes sortes de dommages matériels.

      3, si on se livre au jeu des rapprochements tout en restant dans l’aire mélanésienne, ce qu’il y a de plus proche du « combat à l’intérieur du village », ce sont ces batailles « rangées » où s’affrontent, sans aucunes subtilités tactiques, deux groupes de guerriers qui s’avancent alternativement vers la ligne adverse pour envoyer un peu au hasard des traits (lances ou flèches), avant de se retirer précipitamment. Des guerriers expérimentés, rompus aux attaques nocturnes de villages et aux embuscades, s’y exposent curieusement sans grande précaution aux effets du hasard (notre point de vue ethnocentrique) ou aux décrets du monde surnaturel (le point de vue des sociétés primitives) (les duels entre « champions » pourraient selon moi relever de la même logique « ludique »). Il est intéressant, au passage, de noter que dans les groupes à big men (ceux des grands systèmes d’échange cérémoniel de type te ou moka), la participation à ces combats (les équivalents de ta « bataille régulée » ?) ne procure aucun prestige. Les big men n’y prennent d’ailleurs pas part, se contentant de suivre de loin la tournure des évènements.

      Christian Jeunesse

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    3. Bonjour Christian

      1. Je ne suis guère convaincu par cette idée d'ordalie. Pour commencer, parce qu'elle implique de postuler l'existence d'une dimension que Panoff n'aurait pas notée, alors qu'elle est censée être de première importance – au contraire, il précise que c'est un combat pour la vengeance. Ensuite, parce que l’utilisation du duel pour déterminer la culpabilité par des voies surnaturelles est loin d’être une règle générale. La page wikipedia sur l’ordalie explique très bien que dans la grande majorité des cas, l’ordalie est unilatérale – on soumet l’accusé à une épreuve. Il n’y a guère que notre moyen-âge occidental qui, durant une courte période, ait considéré l’ordalie bilatérale – le duel – comme un jugement de Dieu. Je crois que dans le cas Maenge, ce que nous savons suffit à expliquer ce qui se passe sans cette hypothèse supplémentaire : il y a des torts partagés entre un meurtrier et sa victime qui se signalait par un comportement déviant et répréhensible. On solde les potentiels conflits de loyauté en permettant aux deux camps de s’affronter, et en arbitrant sur la durée du combat – sans doute proportionnée à l’état de ressentiment entre les parties en présence. Le fait qu’il puisse ne pas y avoir de morts correspond à l’application locale du principe de modération que j’ai identifié en Australie, et qui s’exerce entre groupes amis (et a fortiori, au sein d’un groupe). Enfin, on compense pour les morts parce que sauf erreur, dans toute la Nouvelle-Guinée, quelles que soit les circonstances, celui qui a provoqué une mort violente doit la compenser.

      2. Sur le wergeld : au niveau le plus général, il me semble que le fond de l’affaire est que dans une société donnée, une vie humaine soit réputée équivalente à un ensemble de biens matériels, et que par conséquent, la dette née de la perte de cette vie puisse être soldée par le transfert de ces biens. Cette définition générale se décline en situations particulières, selon que le transfert intervient entre ennemis, afin d’éteindre un feud ou de conclure une paix après une guerre, ou qu’il intervienne entre amis, le chef de l’expédition ou celui qui a été à l’initiative du conflit, dédommageant ainsi ses alliés de leurs pertes. Le cas Maenge propose une option supplémentaire : le paiement qui intervient après un combat régulé. Si toutes ces variantes méritent évidemment d’être distinguées, elles se ramènent encore une fois à un même principe fondamental général (après, que le terme de wergeld soit approprié pour désigner ce principe ou, au contraire, l’une de ses variantes spécifiques, j’avoue ne pas m’être posé la question…). Enfin, que le principe de réparation pour mettre un terme à une guerre s’applique non seulement aux victimes humaines, mais aussi aux dommages matériels, cela montre la cohérence des conceptions néo-guinéennes, mais cela dépasse la question du « prix du sang ».

      3. Sur les batailles en ligne néo-guinéennes, je ne sais pas à quel exemple précis tu fais allusion. Je suis en train de lire sur le sujet en ce moment, et je découvre que certaines idées très communément admises sont vigoureusement contestées… J’aborderai en tout cas le célèbre exemple des Dani dans un prochain billlet.

      Amitiés

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    5. Bonjour Christophe

      1, Ordalie / divination
      L’ordalie est effectivement un terme trop connoté que, comme tu le suggères, il vaut mieux l’éviter. Je n’en dirais pas autant de la notion de divination (dont l’ordalie n’est au fond qu’une variante), omniprésente dans les sociétés « primitives », mais dont l’importance n’est pas toujours reconnue à sa juste valeur. Le problème posé par le fait que ce que tu appelles, à la suite de Panoff, un « combat pour la vengeance » puisse être remporté par les partisans du meurtrier reste pour moi insoluble.

      2, Compensation pour les victimes.
      Tu souligne que « dans toute la Nouvelle-Guinée, quelles que soit les circonstances, celui qui a provoqué une mort violente doit la compenser ». Je ne serais pas aussi catégorique. Quand 1, la guerre conduit à détruire un village et à tuer tout ou partie de ses habitants (les autres prenant souvent la route de l’exil) et que 2, ces derniers appartiennent à un groupe éloigné (avec lequel on n’échange pas régulièrement des biens et des femme), je ne pense pas qu’il puisse y avoir compensation pour les morts, et cela pour deux raisons :
      - Il ne peut pas y avoir de compensation « interne » (payée à ses alliés par l’initiateur d’un épisode guerrier), puisque nul n’a initié quoi que ce soit dans le groupe des agressés.
      - La compensation en faveur des ennemis est loin d’être systématique en Nouvelle-Guinée. Elle exprime une volonté de réconciliation, de retissage des liens distendus par la guerre ((en relançant un cycle d’échanges), entre des groupes proches. Cette volonté est absente dans les guerres les plus violentes, où les agresseurs sont mus par la volonté d’exterminer ou de bannir le groupe rival.

      3, la question du wergeld
      Il me semble que ce problème de vocabulaire mérite davantage d’attention. La notion de wergeld figure parmi celles qui, du point de vue juridique, sont les plus clairement délimitées. Sortir de ces limites pour engober y compris le « dédommagement pour les alliés décédés », qui n’est payé ni par celui ou ceux qui ont provoqué directement le décès, ni par les membres du groupe auquel ils appartiennent, mais par les proches de la victime, ne peux donc que générer de la confusion. Bon courage si tu souhaites défendre auprès d’un historien du droit l’hypothèse de l’existence d’une variante de wergeld dans laquelle l’indemnité est payée par un parent ou un ami de la victime….

      4, deux références sur la question des batailles en ligne :

      FEIL D.K., 1987, The evolution of Highland Papua New Guinea societies, Cambridge University Press, Cambridge, 313 p.

      SILLITOE P. (1979) Give and take. Exchange in Wola society, Australian National University Press, Canberra & London, 316 p.


      Christian Jeunesse

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    6. Hello Christian

      Sur le premier point, je maintiens que rien ne nous oblige à voir du divinatoire là où l'ethnographie n'en parle pas. Et ce règlement qui t'étonne correspond au contraire très bien aux duels australiens, qu'ils soient individuels ou collectifs : lorsqu'il y a un différend avec des torts partagés (ou même, un simple sentiment de rancune mutuelle), le duel est le moyen de vider la querelle, au point qu'on se moque parfois du résultat. Il y a même des cas australiens où on commence par une sanction unilatérale, et on prolonge par un duel, histoire de sceller en quelque sorte la réconciliation : le fait de se taper dessus dans un cadre régulé est censé éteindre celui de se taper dessus hors de cadre. Et tout cela correspond parfaitement à la description donnée par Panoff, celle de crimes commis vis-à-vis de gens qui posaient eux-mêmes problème.

      En revanche, pour ce qui est des deux autres points, je dois reconnaître que tu as raison. J'ai suivi Testart sur le fait que la compensation était systématique, mais en effet, il y a des cas de destructon complète de l'ennemi, qui ne laisse pas place à une telle coutume (je viens de dégoter un très beau témoignage à ce sujet sur un peuple proche des Chimbu, dont je ferai sans doute un billet un de ces jours).

      Quant au wergeld, j'admets que je ne m'étais jamais posé la question, mais que le terme devrait en effet probablement être restreint à la compensation payée par le coupable pour indemniser les victime et éteindre une vengeance. Reste que la coutume consistant à indemniser ses alliés est attestée en plusieurs endroits (Nouvelle-Guinée, comme ici, mais aussi les Iroquois, par exemple). Il faudrait donc trouver un vocabulaire adéquat pour désigner ce principe d'équivalence entre vie humaine et biens matériels, dont le wergeld est une des manifestations (mais pas la seule).

      Amitiés (et merci pour les références, je ne me souvenais pas que Feil parlait de ces aspects).

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