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Parution : « Les archéologues face à l'économie », Archéopages hors-série


J'ai eu le plaisir de contribuer au hors-série numéro 5 de la revue Archéopages, éditée par l'INRAP, consacrée aux rapports entre économie et archéologie. Sous le titre « Faut-il en finir avec les chasseurs-cueilleurs ? », j'y aborde les rapports entre le mode de subsistance et les structures sociales, en exposant les principales théories proposées sur ce point, en particulier concernant l'apparition des premières inégalités : furent-elles la conséquence de l'agriculture ? du stockage ? d'autre chose ? Et pour quelles raisons ? Évidemment, après avoir récapitulé les avancées réalisées, le texte se termine en insistant sur les questions qui demeurent aujourd'hui sans réponse.
Pour ceux qui ont suivi mes recherches, il n'y a là aucun élément véritablement nouveau : j'ai simplement essayé de ramasser les conclusions (éminemment fragiles, incomplètes et provisoires) auxquelles je suis parvenu ces dernières années sous une forme synthétique et accessible. Au passage, je réalise aujourd'hui que le schéma par lequel je conclus l'exposé – et qui, pour sa part, constitue un petit progrès sur celui que j'avais précédemment élaboré – mériterait une modification sur un point : la zone des biens que j'appelle « biens W », et dont je pense qu'ils ont joué un rôle décisif dans la naissance des inégalités, devrait s'étendre au secteur correspondant au stockage et aux inégalités sans paiements, qui inclut notamment les Inuits de l'Alaska. La formulation plus théorique de cette proposition est que les biens W conduisent usuellement à l'apparition des paiements, mais que dans certaines circonstances, en particulier là où ils jouent un rôle clé comme moyens de production, ils peuvent conduire à l'apparition de la voie « capitaliste » vers les inégalités de richesse.

7 commentaires:

  1. Testart, "Les chasseurs-cueilleurs...", c'est 1982, pas 1983 ;-).

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    1. En effet... et là, une série de trucs s'enchaînent, tous plus étranges les uns que les autres. Je reprends l'ISBN qui figure dans l'entrée Zotero du bouquin – celle qui comprend une date erronée – et effectue une recherche. Je tombe alors sur un tout autre livre, mais au sujet tout aussi alléchant : « Essai sur L'histoire du peuple tibétain ou la naissance d'une société de classes », par un certain V.A. Bogoslovskij (1972). De plus en plus en peine de comprendre comment de telles erreurs ont pu s'accumuler, je cherche alors sur le titre du livre et tombe sur sa recension effectuée dans la revue L'Homme et la société par un certain Louis Moreau de Bellaing, dont la conclusion comporte la phrase suivante : « Le livre est admirable par sa précision (Testart est d'origine suisse) ». Sur ce, je m'interroge sérieusement pour savoir si je n'ai pas été brusquement téléporté dans un univers parallèle.

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    2. Je ne te le fais pas dire, ça sent la quatrième dimension, voire la cinquième !

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  2. Dans sa préface à la première édition (1884) de " L'Origine de la famille ", Engels écrit : "Selon la conception matérialiste, le facteur déterminant, en dernier ressort, dans l'histoire, c'est la production et la reproduction de la vie immédiate.

    Mais, à son tour, cette production a une double nature.

    D'une part, la production de moyens d'existence, d'objets servant à la nourriture, à l'habillement, au logement, et des outils qu'ils nécessitent ;
    d'autre part, la production des hommes mêmes, la propagation de l'espèce.

    Les institutions sociales sous lesquelles vivent les hommes d'une certaine époque historique et d'un certain pays sont déterminées par ces deux sortes de production : par le stade de développement où se trouve d'une part le travail, et d'autre part la famille."

    Dans l'exemplaire de 1972 (Editions Sociales) dont je dispose, l'éditeur se sent obligé de corriger Engels dans une note de bas de page : "Il y a là une inexactitude d'Engels qui met sur le même plan, pour en faire les conditions déterminantes du développement de la société et des institutions, la propagation de l'espèce et la production des moyens d'existence. Dans le cours de son ouvrage, par contre, Engels montre lui-même, en analysant des matériaux concrets, que c'est le mode de production matériel qui est le facteur principal, déterminant du développement de la société et des institutions."

    Là où Engels présentait un modèle dialectique (à deux déterminants) ouvrant la voie à une grande diversité de combinaisons possibles, le commissaire politique vient lui tirer l'oreille pour le ramener dans le rang réductionniste (à un seul déterminant) et son modèle d'une évolution unilinéaire des sociétés humaines.

    Peut-être le moment est-il venu de suggérer que c'est plutôt Engels qui était dans le vrai ?

    Quelques années avant la publication d'Ancient Society par Morgan, Darwin avait publié le second volet de sa théorie de l'évolution : " The Descent of Man, and Selection in Relation to Sex " (1871), traduit aux Editions Syllepse en 2000 sous le titre " La filiation de l'homme et la sélection liée au sexe".

    On sait par tout le matériel préparatoire à sa "dialectique de la nature" l'importance qu'Engels accordait au travail de Darwin ; il n'est alors guère douteux que la formule "la propagation de l'espèce" qui hérisse l'éditeur s'y réfère explicitement.

    Ne peut-on, dès lors, envisager, dans la perspective d'Engels, mais avec les connaissances d'aujourd'hui, que l'origine des inégalités soit AUSSI à rechercher du côté de la "sélection sexuelle", c'est-à-dire des modalités selon lesquelles les sociétés et les familles tolèrent ou excluent que se nouent des unions sexuelles ?
    Non pas pour substituer un réductionnisme à un autre, mais pour examiner la diversité des configurations rencontrées à l'aune de la dialectique proposée par Engels.

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    1. Bonjour

      Sur ce point, je crains d'être davantage d'accord avec l'éditeur des éditions sociales qu'avec vous. Je crois (et je ne suis pas le premier) que la seule raison pour laquelle Engels ajoute cette mention sur la reproduction dans ce texte, c'est parce qu'il s'approprie la séquence proposée par Morgan sur le développement présumé des formes de famille et de mariage dans la lointaine préhistoire. Il lui faut donc en quelque sorte raccrocher deux séries évolutives animées chacune par un moteur différent : la famille et le mariage auraient été dans un premier temps mus par la sélection naturelle darwinienne en restreignant toujours davantage les unions consanguines permises, avant que ce soit la production et l'économie qui prennent le relais comme facteur explicatif. Or, les idées de Morgan (et par contrecoup d'Engels) sur le mariage de groupe, la famille punaluenne, etc. sont aujourd'hui et depuis longtemps considérées comme des spéculations qui ne résistent pas à l'examen.
      J'ai déjà lu sous bien des plumes marxistes ou marxisantes qu'en même temps que de modes de production, il faudrait parler de modes de reproduction, chaque étape historique ayant ses propres nécessités de gestion de la main d'oeuvre et donc de la famille. Sur le papier, cette déclaration de principe sonne de manière flatteuse et très marxiste ; mais je crois que je n'ai jamais lu, et pour cause, le moindre écrit qui s'attelle à montrer ce qu'ont été au juste ces "modes de reproduction" et en quoi ils sont reliés (ou pas) aux modes de production (eux-mêmes pas si faciles que cela à cerner, c'est un euphémisme).
      Quant à voir (même partiellement) l'origine des inégalités dans la sélection sexuelle, je ne vois tout simplement pas de quoi vous parlez. Si l'on parle bien d'inégalités socio-économiques, c'est-à-dire d'inégalités de richesse, quel rôle les règles concernant les unions sexuelles pourraient-elles selon vous avoir dans leur émergence ? Personnellement, je ne vois absolument pas.

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    2. Sur ce dernier point, je me souviens d'une publicité télévisuelle - qui date un peu aujourd'hui - pour de grosses berlines allemandes qui se concluait en ces termes : " il a la voiture : il aura la femme !" Si plusieurs personnes convoitent le-a même "partenaire", le choix final du ou de la "partenaire convoité-e " crée inévitablement une "inégalité" entre les prétendant-e-s. Au sein d'une espèce sociale comme la notre, on ne peut pas en vouloir aux "éconduit-e-s récurrent-e-s" de chercher dans la société des avantages que la génétique ne leur a pas donnée (dans la mesure où l'on postule que c'est une relation a priori réciprocitaire qui est recherchée).

      Concernant le modèle théorique de l'évolution des sociétés, c'est clair que celui d'Engels cherchant à établir un rapport de continuité entre l'évolution de la famille et celle de la société ne tient plus la route aujourd'hui. Reste que sa formulation invitant à penser à la fois "évolution du travail" et "évolution de la famille" ne peut pas être écartée d'un revers de main. Il est par exemple évident que la "famille nucléaire absolue", telle qu'on la rencontre en Angleterre au XV° siècle offre un terrain beaucoup plus favorable à "l'expropriation des producteurs" (conclusion du Livre I du Capital) par l'enclosure des communaux que la "famille communautaire" que l'on trouve à l'autre extrémité du continent eurasiatique au XX° siècle.

      Stephen Jay GOULD, qu'on pourrait qualifier de "Pape de l'évolutionnisme contemporain" s'il n'avait pas revendiqué sans jamais faiblir face aux pressions son ancrage scientifique dans la pensée de Marx, propose un modèle théorique de l'évolution du vivant (y compris du vivant social) fondée sur ses recherches en paléontologie, osant une critique matérialiste du darwinisme originel et articulée autour des concepts d' "individu évolutionniste" et " d'évolution hiérarchique". Dans son testament scientifique (La Structure de la théorie de l'évolution, nrf Essais, 2006) il identifie ainsi des individus évolutionnistes "de différents niveaux" : les "gènes", les "cellules", les "organismes", les "dèmes" et les "espèces" (les sociétés humaines trouvant leur place dans la catégorie "dèmes") chacun évoluant concomitamment aux autres selon des ressorts qui lui sont spécifiques "en fonction de sa structure et de son histoire" ; un "niveau" pouvant en outre exercer son influence sur les autres ( par exemples : une "cellule" peut, au sein d'un organisme, se reproduire de manière anarchique et compromettre la pérennité de l'organisme : ça s'appelle un cancer ; et le mode de production industriel, dominant en régime capitaliste, a aujourd'hui un impact sur l'évolution de l'ensemble du vivant et même au-delà), l'ensemble produisant une évolution qui pour âtre "complexe" n'en est pas moins "intelligible".

      Il me semble que ce modèle théorique - résumé ci-dessus de manière outrageusement caricaturale - est pertinent pour penser l'évolution du vivant social de manière unifiée, même s'il reste malheureusement confiné dans les Sciences de la Nature du fait de l'émiettement disciplinaire (de disciplines communiquant de moins en moins les unes avec les autres, excepté en ce lieu particulier qu'est l'archéologie), qui est, dans le champ universitaire, le pendant de l'obsession pour "l'innovation brevetable" du mode de production capitaliste.

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    3. C'est bien possible... j'avoue qu'à ce niveau-là, je suis très embêté parce que je sens que je ne maîtrise pas du tout suffisamment le sujet, qu'il s'agisse de l'évolution biologique ou sociale. Mais ce sont des questions passionnantes, sur lesquelles j'aimerais me sentir apte à écrire un jour.
      Au passage, Gould avait beau se réclamer du marxisme, il donne par exemple dans La vie est belle une version de l'évolution qui privilégie outrageusement la contingence sur le déterminisme et qui, appliquée aux sociétés, reviendrait à balancer aux orties le matérialisme historique (je n'ai pas lu le livre dont vous parlez).

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