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Une critique (très critique) du Profit déchiffré par Denis Clerc

...parue cette semaine dans Alternatives Économiques :
Reconnaissons à l'auteur un grand talent, que n'ont pas la plupart des innombrables commentateurs et thuriféraires de Karl Marx, engoncés dans un jargon et des débats qui ont fini par écœurer bien des lecteurs potentiels, dont l'auteur de ces lignes. Les premiers de ces « essais d'économie marxiste », qui porte sur la plus-value, est remarquable d'accessibilité et de précision, même si l'on ne partage pas les convictions de l'auteur. Ce dernier, d'ailleurs, se garde bien d'aborder la délicate (et insoluble) question de l'hétérogénéité de la « force de travail » et donc de la difficulté à chiffrer la valeur travail d'une marchandise. De même que la façon dont il explique (et légitime) la transformation de la valeur travail en prix de production évite soigneusement les questions méthodologiques qui fâchent. C'est lisible et intéressant, même si son éloge de la disparition du profit n'est pas vraiment convaincant.
Le deuxième essai – sur la distinction travail productif - travail improductif – retombe dans les ornières habituelles de la dispute sur le sexe des anges, même si la confrontation des analyses d'Adam Smith et de Marx sur ce point est éclairante (et si l'auteur, pour une fois, se permet de critiquer – un peu – le vieux barbu). Quant au troisième essai (sur la rente), il reste largement inabouti, puisqu'il aborde essentiellement la rente agricole, alors que celle d'aujourd'hui est plutôt liée à la concurrence imparfaite.
Je ne crois pas utile de répondre dans les détails à des lignes qui, après le compliment initial, comptent à peu près autant de reproches que de phrases. Je me bornerai à signaler que des deux points concernant le profit, celui qui est censé être insoluble et disqualifier la théorie de la valeur-travail a été plusieurs fois exposé, par exemple dans ce chapitre de l'excellent livre d'Isaac Roubine.
Quant à ma discussion sur le travail improductif, si Denis Clerc n'y a guère vu que des sexes et des anges, j'en conclus que la seule manière de ne pas avoir de problèmes théoriques, c'est de refuser d'avoir une théorie.
Enfin, son jugement sur mon essai sur la rente semble indiquer que je ne mérite pas vraiment l'éloge par lequel s'ouvre sa critique. Si j'avais écrit aussi clairement qu'il le dit, il lui serait apparu au premier coup d’œil que mon texte ne prend comme exemple la rente agricole que pour exposer les mécanismes de toute rente en économie capitaliste, et que le « prix de monopole » que je fais intervenir à maintes reprises (à la suite de Marx) n'est qu'un autre nom de ce que d'aucuns préfèrent appeler la concurrence imparfaite.

Edit : la critique est désormais disponible en ligne sur le site d'Alternatives économiques.

2 commentaires:

  1. Oui, sur la question de la rente, Michel Husson a une toute autre analyse que celle de Denis Clerc.

    Un extrait de l'article de Michel Husson dans le Monde Diplo de juin 2016 :
    "Il adopte la même démarche dans le troisième essai, consacré à la rente, sans doute l’exposé le plus clair des analyses de Marx sur la rente foncière. Mais, là aussi, Darmangeat montre comment ces schémas théoriques valent également pour des phénomènes contemporains, comme la rente pétrolière ou immobilière, même s’il ne partage sans doute pas l’idée de l’économiste Philippe Askenazy selon laquelle nous serions «tous rentiers». Si le sous-titre, Trois essais d’économie marxiste, annonce clairement la couleur, nous sommes cependant très loin d’une marxologie indigeste, et ce livre constitue une précieuse introduction à une critique moderne de l’économie politique."

    Bon après, (c'est mon avis) mieux vaut avoir une bonne critique venant de la part de Michel Husson. En tout cas, pour moi ça m'a aidé à l'achat de ton dernier livre.

    Au plaisir de te relire.

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