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Une recension... et une réponse

La revue Clio a publié dans son dernier numéro un double compte-rendu, consacré à la fois au livre d'Alain Testart, L'Amazone et la cuisinière (auquel j'avais moi-même consacré ce billet) et mon Communisme primitif. Agnès Fine, qui en est l'auteur, se réclame manifestement de la pensée structuraliste de C. Lévi-Strauss et de F. Héritier ; si le bilan qu'elle tire du livre n'est pas négatif, elle émet tout de même plusieurs réserves, dont certaines auxquelles j'aimerais répondre. Mais tout d'abord, voici le copier-coller le la seconde partie du compte-rendu, qui traite spécifiquement de mon livre :
Le livre de Christophe Darmangeat, économiste marxiste, s’intéresse aux acquis de l’anthropologie sociale actuelle, en particulier aux travaux de Testart, dans un but différent de ce dernier. Il se propose en effet de réviser de manière critique le livre fondateur d’Engels paru en 1884, L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, sous-titré À propos des recherches de L.H. Morgan ». Il souligne en effet que les marxistes d’un côté, la majorité des anthropologues de l’autre, pour des raisons idéologiques opposées, n’ont pas réellement discuté les thèses d’Engels pour les actualiser, si l’on excepte quelques tentatives rapides de la part d’anthropologues marxistes (Godelier, Meillassoux, Leacock) dans les années 1960-1980. C’est donc ce qu’il cherche à faire cent trente ans après Engels. Son livre comprend deux parties indépendantes. La deuxième partie, sur laquelle je ne m’étendrai pas, intitulée « Une histoire de famille », s’attache essentiellement à présenter et critiquer les thèses de Morgan sur la parenté, en particulier son évolutionnisme et de manière plus large tout évolutionnisme quant aux formes de parenté. Elle forme un ensemble assez homogène, isolé du corps de l’ouvrage dans la deuxième édition, sans doute pour son caractère un peu trop « technique », mais surtout parce qu’il n’entrait pas directement dans les préoccupations centrales de l’auteur exposées dans la première partie.
Comme l’indique son sous-titre, Aux origines de l’oppression des femmes, celle-ci s’attache à formuler des hypothèses sur l’origine de l’oppression des femmes dans les sociétés primitives, thème sur lequel, selon l’auteur, « les tentatives pour reformuler la théorie marxiste en fonction du matériel ethnologique et archéologique accumulé depuis un siècle font le plus cruellement défaut » (p. 22). Le texte, agréable à lire pour sa clarté, expose les points principaux sur lesquels les recherches ethnologiques permettent de réfuter les analyses d’Engels sur la question. On se souvient que pour ce dernier, la transformation des rapports de production par le capitalisme aurait succédé à une organisation économique et de parenté de type « communiste domestique », dans laquelle hommes et femmes auraient occupé des positions égalitaires. C’est donc la société de classes qui aurait engendré l’oppression des femmes et il en concluait que seule sa suppression serait susceptible de les émanciper. Dans les premiers chapitres, C. Darmangeat critique la croyance en un communisme primitif, a fortiori en un matriarcat dont il rappelle, s’il en était besoin, qu’il n’a jamais existé ; puis, en mobilisant de nombreuses lectures sur des sociétés primitives, il montre que ces sociétés sans classes ni État ont très souvent édifié une domination masculine prononcée. Ce qu’a démontré par exemple de manière éclatante la monographie de Maurice Godelier sur les Baruya de Nouvelle Guinée publiée en 1982. Aucune proposition nouvelle pour les anthropologues dans cette première partie de l’ouvrage. Mais manifestement l’auteur s’adresse à un lectorat marxiste dont il suppose, sans doute à raison, qu’il ignore les acquis de l’anthropologie depuis plus d’un siècle et il les leur présente de manière pédagogique.
Par la suite, l’auteur cherche à répondre à la question posée par Engels sur l’origine de l’oppression des femmes et il s’attelle, comme son illustre prédécesseur, à examiner en marxiste les recherches des anthropologues pour renouveler une théorie largement périmée. Il recherche bien sûr du côté des structures économiques et la clé de l’énigme lui paraît résider dans la division sexuelle du travail. Son chapitre VI, intitulé « Des lances et des bâtons », traite donc de cette thématique en se fondant en particulier sur l’Essai d’Alain Testart paru en 1986, l’ouvrage posthume de ce dernier, présenté plus haut, n’étant pas encore paru au moment de la publication de son livre. Tout en reconnaissant l’importance des apports de l’anthropologue, C. Darmangeat critique l’idéalisme de Testart qui fait des croyances (ce qu’il appelle « l’idéologie du sang » et que Testart formule plutôt comme le refus de la conjonction des identiques) le socle de la division sexuée du travail, ce qui l’amène à poser trois questions (p. 214). Je les cite :
« 1 - Quelles sont les raisons objectives – car il y en a nécessairement – qui peuvent justifier l’existence d’une division du travail, si élémentaire soit-elle, dans les sociétés primitives ?
2 - Pourquoi cette division s’est-elle effectuée principalement, voire uniquement, sur le critère du sexe ?
3 - Pourquoi cette division sexuelle du travail a-t-elle pris une forme mythifiée, celle d’interdits religieux dont la portée s’est étendue bien au-delà des éventuelles nécessités objectives initiales ? »
Pour l’auteur, l’histoire de l’humanité a mis en évidence en quoi l’approfondissement continu de la division du travail apparaît comme la clé de la progression fantastique de la productivité. Ce qui l’amène à ne pas écarter a priori l’idée que la première spécialisation ait été une « avancée décisive » sur le plan de la production (p. 215). La division sexuelle du travail permet une meilleure productivité, c’est donc une nécessité sociale qui s’est imposée. Telle est sa réponse à la première question.
Il répond à la deuxième en soulignant que la première des divisions humaines observables étant la différence physique entre homme et femme, il est tout à fait logique que la division sexuelle du travail se soit faite selon ce critère.
Enfin, il répond à la troisième question en soulignant « qu’il n’y a rien de surprenant qu’une nécessité sociale (la division du travail) se soit manifestée en tant qu’idéologie magico-religieuse ».
S’agissant de sa réponse à la première question, on peut se demander pourquoi faire de l’augmentation de la productivité une cause de la division sexuée du travail et non une conséquence. Éternel problème de la poule et de l’œuf. En outre, on peut s’interroger sur le principe qui conduit l’auteur à distinguer les deux premières questions l’une de l’autre. Ne procède-t-il pas d’une représentation anachronique des sociétés primitives ? En les liant l’une à l’autre, l’analyse de Lévi-Strauss que j’ai évoquée plus haut, me semble une interprétation plus solide et non moins matérialiste que celle de l’auteur. Elle présente l’avantage de ne pas faire de distinction entre production et reproduction, l’importance de cette dernière étant singulièrement absente des analyses de C. Darmangeat comme de celles de Testart. Or, on s’en souvient, les interdits multiples concernent surtout et parfois seulement les femmes en âge de procréer.
Quant à la troisième question, elle est formulée dans les termes du marxisme classique qui distingue infrastructure économique et superstructure, les croyances et « la pensée sauvage » appartenant à cette dernière sous la rubrique contestable « d’idéologie magico-religieuse ». Il me semble que l’auteur ne se déprend pas suffisamment des concepts de l’analyse marxiste des sociétés capitalistes dans lesquelles les catégories de l’économique, du politique, du religieux, de l’idéologique sont distinctes alors qu’elles ne le sont pas dans les sociétés primitives. On perçoit cependant ses hésitations dans la formulation suivante : « On peut suggérer que le rôle central joué par l’idéologie et les croyances dans la division sexuelle du travail n’exclut nullement que certaines nécessités objectives aient fourni le terreau sur lequel ces croyances se sont épanouies » (p. 218).
Pour C. Darmangeat, l’origine de l’oppression des femmes est irrésolue aussi bien chez Lévi- Strauss, qui ne s’interroge guère sur la question, que chez Godelier. Il critique la position de ce dernier selon qui « la division du travail chez les Baruya ne peut expliquer la domination sociale des hommes sur les femmes puisqu’elle la présuppose » (p. 231). Pour notre auteur, l’oppression des femmes réside dans la division sexuée du travail. Mais comment expliquer cette dernière ? L’auteur n’a dès lors d’autres recours que la très classique explication naturaliste (p. 219) qui fait des  contraintes biologiques, vraisemblablement liées à la grossesse et à l’allaitement », le « substrat physiologique » de la division sexuelle du travail et de l’exclusion des femmes de la chasse. Or elle a été réfutée à maintes reprises par les anthropologues qui se sont réellement intéressés à la question, d’abord de manière magistrale par Paola Tabet puis par Alain Testart dont l’auteur connaît pourtant très bien les travaux. On n’est donc pas plus avancé finalement sur la question de l’origine de l’oppression des femmes qui reste largement mystérieuse.
Le chapitre suivant, « Évolutions, pouvoirs et contre-pouvoirs », se situe sur le terrain plus solide et bien documenté des analyses, nombreuses en anthropologie dans les quarante dernières années, sur les effets des facteurs économiques (rôle de l’intensification agricole) et du système de parenté (filiation patrilinéaire et filiation matrilinéaire) sur l’oppression des femmes, sur la répartition des pouvoirs masculins et féminins, politiques et économiques, dans les différentes sociétés. Le lecteur y trouvera son miel.
La conclusion générale résume les analyses précédentes pour aboutir à un constat important. L’auteur insiste sur les caractéristiques du capitalisme, un système économique dans lequel « non seulement les produits du travail mais la force de travail elle-même prennent la forme de marchandises ; c’est-à-dire qu’ils n’existent qu’au travers de l’échange contre un équivalent unique, la monnaie. Celle-ci, comme l’a montré Marx, représente le travail humain, mais un travail humain abstrait, c’est-à-dire indifférencié. Cela signifie que l’identité et les caractéristiques des producteurs sont en quelque sorte en permanence dissous, fondus dans un gigantesque creuset » (p. 309). Dans un tel système, rien ne distingue un travail d’homme et un travail de femme (sinon le prix inférieur qui est donné à la seconde). Le capitalisme créerait donc les conditions de la disparition de la division sexuée du travail. Selon l’auteur, « c’est uniquement la révolution sociale de l’avenir qui pourra donner corps à ce qui n’est aujourd’hui qu’une potentialité historique » (p. 313) et qui pourra réaliser l’égalité totale des hommes et des femmes avec la disparition de la division sexuée du travail. Laissons à l’auteur sa foi dans l’avenir et contentons-nous de constater avec lui qu’effectivement les conditions historiques pour une mise en cause de la division sexuée du travail sont réunies. Ce que démontrent les luttes pour revendiquer « À travail égal, salaire égal » et l’ouverture aux femmes de tous les métiers.
Sa conclusion paraît logique avec ses analyses précédentes, mais affaiblie par le fait que la question de la reproduction n’est quasiment jamais abordée. Or elle est indissociable de celle de la production. L’auteur sous-estime manifestement son importance dans l’organisation sociale et, par exemple, il ne dit rien du poids déterminant des changements apportés par les techniques de limitation des naissances dans les rapports entre les sexes de nos sociétés. On en voit pourtant les effets dans la fragilisation du mariage qui, dans notre système économique ayant aboli l’interdépendance des sexes, n’est plus une condition sine qua non de survie des individus. Le célibat et le divorce augmentent, l’hétérosexualité obligatoire diminue, en même temps que la division sexuée du travail s’estompe sous l’effet du capitalisme industriel, de l’urbanisation et des luttes féministes. Les quatre piliers des sociétés décrits par Françoise Héritier (interdit de l’inceste, division sexuée du travail, mariage ou union stable, domination masculine) me paraissent étroitement interdépendants, on les voit d’ailleurs tous ébranlés dans les sociétés capitalistes avancées. Dès lors, il convient, me semble-t-il, de ne pas les isoler les uns des autres dans l’analyse. Avec les limites des connaissances de son époque sur la parenté, Engels avait eu la juste intuition de relier l’oppression des femmes non seulement aux systèmes de production mais aussi à l’organisation familiale. Or, pas plus qu’Alain Testart, C. Darmangeat ne le fait, comme le montre la deuxième partie de son livre, totalement indépendante de la première. Il reste que la lecture de ce livre est agréable et stimulante, en raison de la clarté avec laquelle l’auteur expose les acquis de l’anthropologie, de la rigueur de son argumentation et de son honnêteté intellectuelle.

Quelques commentaires

Je tiens d'abord à remercier Agnès Fine (que je ne connais pas personnellement) pour sa recension scrupuleuse et relativement bienveillante, malgré les divergences et, parfois, les incompréhensions qui nous séparent. Je ne reviendrai ici que sur certains points de cette critique, d'autres ayant été abordés à de nombreuses reprises dans différents échanges ou billets de ce blog.
Pour commencer, il me semble que l'idée attribuée à Engels d'un capitalisme qui aurait directement succédé au communisme primitif relève du lapsus. De même, le fait que je réfuterais moi-même l'existence du communisme primitif au même titre que celle du matriarcat procède d'un malentendu. Tout indique en effet que quelle que soit leur diversité, les premières organisations sociales, qui ont caractérisé l'humanité durant des dizaines de milliers d'années, possédaient toutes la caractéristique de laisser peu de place aux différenciations socio-économiques et d'être fondées sur une forme ou une autre d'accès libre aux moyens de production, considérés comme un bien collectif. Que ces organisations, contrairement à ce que croyait Engels, ne soient pas nécessairement allé de pair avec l'égalité entre hommes et femmes - et, très vraisemblablement, qu'elles aient le plus souvent secrété des formes plus ou moins organisées de domination masculine, c'est tout à fait vrai ; mais cela n'enlève rien à leur communisme économique.
J'en arrive au chapitre sur lequel Agnès Fine concentre le feu de sa critique : celui qui touche aux origines de la division sexuelle du travail. Il y a quelque chose de paradoxal à se voir attaqué précisément sur le point où l'on explique qu'il n'existe aucune réponse satisfaisante (en tout cas, aucune réponse assurée par autre chose qu'un raisonnement spéculatif) ; mais il s'agit d'un fait récurrent (notamment sur ce blog) et sans doute d'autant plus légitime que j'ai moi-même sous-titré mon bouquin Aux origines de l'oppression des femmes
Cependant, parler de mon idée du rapport entre l'augmentation de la productivité et la division sexuelle du travail comme celui de la poule et de l’œuf c'est, me semble-t-il, passer à côté du raisonnement que je propose. Je n'ai jamais eu la naïveté de croire que des groupes humains avaient institué la division du travail dans l'intention consciente d'augmenter leur productivité. Je dis simplement (mais cela me semble déjà un pas en avant) que quelle que soit l'époque à laquelle cette division s'est instituée, et quels que soient les mécanismes qui ont présidé à cette institution, celle-ci représentait un avantage productif, et que là réside sans doute la clé de son succès. On peut ensuite, sur cette base, échafauder différents scénarios : celui d'une division sexuelle du travail très ancienne, apparue par des mutations génétiques et s'intégrant dans le patrimoine comportemental de toute la lignée des homo ultérieurs. On peut au contraire penser que la division sexuelle s'est imposée beaucoup plus tard, comme une innovation purement culturelle (par exemple au paléolithique supérieur). Les groupes humains qui l'auraient instauré auraient alors peu à peu éliminé les autres, par affrontements directs ou, plus pacifiquement, en résistant mieux aux périodes de pénurie. Mon intuition (que rien de solide ne permet d'étayer) est que la vérité se situe sans doute quelque part entre les deux, tout comme il en va vraisemblablement de la prohibition de l'inceste.
J'en viens à la critique, qui s'adresse tout autant à A.Testart qu'à moi-même, selon laquelle, dans la naissance de la division sexuelle du travail, nous aurions négligé la dimension essentielle de la reproduction. Agnès Fine nous renvoie à Claude Lévi-Strauss, dont la thèse « semble une interprétation plus solide et non moins matérialiste ». J'avoue bien humblement ne pas voir étudié l'article de C. Lévi-Strauss dont il est question, et je me trouve actuellement trop loin de Paris pour pouvoir le consulter. Aussi dois-je, pour le moment, me fier à ce qu'en écrit A.Fine elle-même :
Pour lui, la division sexuée du travail revient à interdire à chacun des sexes de se suffire à lui-même et organise leur interdépendance. En rendant un sexe dépendant de l’autre pour sa propre survie, il rend le mariage obligatoire, ce qui permet d’assurer la continuité de la société.
Or, il me semble qu'il y a là bien davantage une pétition de principe qu'une démonstration. Que la division sexuelle du travail crée l'interdépendance des sexes, c'est incontestable. Que, ce faisant, elle rende le mariage obligatoire, c'est déjà plus douteux : sans même parler de notre propre société, il existe certains cas de sociétés primitives (en particulier, les sociétés matrilocales avec maris dits visiteurs) où le mariage apparaît comme un lien assez secondaire, l'interdépendance économique des sexes intervenant bien davantage entre frères et sœurs. Et dans un cas au moins, celui des Na, le mariage n'existe tout simplement pas, ce qui n'empêche nullement la société de perdurer. Enfin, faut-il rappeler que la division sexuelle du travail est le propre des sociétés humaines, et que nos cousins primates l'ignorent ? Je ne discuterai pas pour savoir s'il est légitime de parler ou non de culture à propos de certains groupes de primates. Le point crucial pour mon argument est que ces groupes de primates perdurent, pour certains depuis des centaines de millénaires, sans connaître ni division sexuelle du travail, ni mariage (en tout cas, pas dans le sens que lui ont donné les sociétés humaines). Il faut donc en déduire que la division sexuelle du travail, pour les groupes de primates, est une possibilité, nullement une nécessité.
Olympe de Gouges qui, parmi bien d'autres, milita pour l'égalité
des sexes bien avant que la pilule ne fût inventée... 
Cette question de la reproduction revient d'ailleurs en miroir à propos de l'époque moderne. Là aussi, ma critique me reproche d'avoir négligé l'impact des innovations contraceptives et abortives dans l'essor de l'aspiration à l'égalité des sexes. Il est vrai que je n'aborde pas ce thème dans mon livre - celui-ci est déjà bien trop épais, et je ne peux pas parler de tout. Je ne sais pas jusqu'à quel point ces innovations techniques ont effectivement pesé - la prudence me dicte de considérer que si, d'un côté, elles ont représenté un facteur évident d'émancipation pour les femmes, de l'autre, leur usage reste combattu avec vigueur par les tenants du conservatisme, au premier rang desquels, comme toujours, les religieux. Mais là encore, le point essentiel est ailleurs : même si tout est lié, et même si tout réagit sur tout, l'impulsion première se trouve incontestablement du côté de l'évolution des rapports économiques, et d'eux seuls. A l'appui de cette idée, je ne vois qu'un seul argument, mais il me semble décisif : c'est que l'idée de l'égalité des sexes dans son sens moderne, ainsi que les luttes pour y accéder, sont antérieures de plusieurs décennies, si ce n'est de plusieurs siècles, aux progrès de la science et de la technique en matière de procréation. Ceux-ci ont donc, tout au plus, pu accélérer une évolution qui a pris naissance en-dehors d'eux, et à laquelle ils sont au départ tout à fait étrangers.
Sur ce point, comme sur bien d'autres, il me semble donc, à la différence d'A.Fine, que le marxisme, même s'il ne prétend pas donner une réponse satisfaisante à toutes nos questions, constitue une clé de compréhension des réalités et des évolutions sociales bien plus efficiente que le structuralisme. En tout cas, il indique dans quelle direction il convient de chercher les réponses qui nous font encore défaut.

4 commentaires:

  1. Mais il reste une critique non répondue, celle de la tendance "naturaliste" au sujet de l'origine de l'oppression (qui bien sur, comme vous dites, n'est qu'une hypothèse, la citation d'Agnes Fine: "Pour notre auteur, l’oppression des femmes réside dans la division sexuée du travail. Mais comment expliquer cette dernière ? L’auteur n’a dès lors d’autres recours que la très classique explication naturaliste (p. 219) qui fait des « contraintes biologiques, vraisemblablement liées à la grossesse et à l’allaitement », le « substrat physiologique » de la division sexuelle du travail et de l’exclusion des femmes de la chasse. Or elle a été réfutée à maintes reprises par les anthropologues qui se sont réellement intéressés à la question, d’abord de manière magistrale par Paola Tabet puis par Alain Testart dont l’auteur connaît pourtant très bien les travaux. On n’est donc pas plus avancé finalement sur la question de l’origine de l’oppression des femmes qui reste largement mystérieuse." Est-ce qu'il n'y aurait pas une explication plus "matérialiste" de la division sexuelle du travail?

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    1. Je ne suis pas bien sûr de comprendre la question. Plus « matérialiste »... que quoi ? Mon raisonnement (avec toute la prudence que ce sujet appelle) est que certes, l'explication naturaliste, à elle seule, n'explique pas tout, mais que les explications purement idéologiques sont encore moins satisfaisantes. Et qu'il faut donc bien admettre qu'il existe une composante biologique à la division sexuée du travail. Je suis le premier à reconnaître l'insuffisance d'une telle affirmation, mais la question est : qui dit mieux ?

      Peut-être y aurait-il des choses à apprendre du côté de l'éthologie. C'est en tout cas ce que pense Christophe Lemardelé, dont on m'a récemment indiqué un billet de blog sur cette question. Il y conseille deux lectures apparemment éclairantes. Je vais tâcher d'y jeter un oeil attentif dès que possible, mais là en ce moment, je suis plutôt sur d'autres thèmes...

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    2. Plus matérialiste que naturaliste, et bien sur en dehors de la culture. Je vous soumets pour commentaire le travail de Chantal Kirsch, anthropologue: https://www.erudit.org/fr/revues/as/1977-v1-n3-as483/000862ar/
      qui se veut une approche matérialiste historique de l'origine de l'oppression des femmes. Elle dira que la maturation de plus en plus lente de la progéniture humaine combinée à l'apprentissage spécialisé et long de la chasse au gros gibier a produit de nouveaux rapports sociaux inégalitaires.

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    3. Merci pour ce texte, que je ne connaissais pas, et c'était une lacune. Son grand mérite est son honnêteté intellectuelle : il ne tord pas le bras aux faits, il signale ce qui est connu, ce qui peut être présumé et ce qui n'est que pure hypothèse.

      Je ne l'ai lu qu'en diagonale, mais je reste cependant sceptique. D'abord, parce que le raisonnement est presque entièrement constitué de spéculations (certes non déraisonnables, mais des spéculations tout de même). Ensuite, parce que, sauf erreur (mais j'ai peut-être lu trop vite), le processus (supposé) de la division sexuelle du travail est bien plus décrit que véritablement expliqué – elle ne dit pas, me semble-t-il, en quoi il était nécessaire, et l'a emporté sur d'autres formes d'organisation sociale. Enfin (et surtout ?) l'idée d'un problème de la sécurisation d'approvisionnement en main d'oeuvre pour la chasse collective masculine me paraît totalement sorti du chapeau et plaqué sur les données ethnologiques qui ne révèlent rien de tel - à ce qu'il me semble, la chasse est rarement collective, et quand elle l'est, elle est rarement purement masculine.

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